LES ELECTIONS A L’EPREUVE DE L’ECHEC DE LA RECONCILIATION NATIONALE
CONFERNCE DEBAT TENUE DANS LA SALLE DE L’IFES/KIS A L’INTENTION DE PARTIS POLITIQUES ET DES ONG MEMBRES DE LA SOCIETE CIVILE DE LA VILLE DE KISANGANI :
LES ELECTIONS A L’EPREUVE DE L’ECHEC DE LA RECONCILIATION NATIONALE
Orateur : Pierre Ngilinga
Discutant : Aristote Mulakirwa
Modératrice : Mariam Mozede
I. OBJECTIFS
1. Faire un bref état de lieu des crimes commis en RDC pendant les guerres
2. Démontrer l’échec de réconciliation nationale en RDC
3. Faire un bref état de lieu du processus électoral
4. Démontrer les éventuels dangers qui guettent les élections eu égard à l’échec de la réconciliation nationale.
II. SUBDIVISION
1. La transition et bref état de lieu des crimes
2. La réconciliation nationale en RDC : un échec
3. Le processus électoral : bref état de lieu
4. Les éventuels dangers des élections face à l’échec de la réconciliation nationale.
I. LA TRANSITION : BREF ETAT DE LIEU DES CRIMES
La transition en RDC commence le 24 avril 1990 avec le discours du feu président MOBUTU, consacra le multipartisme. Suite à sa longueur, nous pouvons l’analyser à trois périodes distinctes, notamment celle dominée par la conférence Nationale Souveraine(CNS) qui va de 1990 à 1997, celle dominée par les deux guerres qui va de 1997 à 2003 et celle d’après guerre de 2003 à 2006.
Notre attention va plus se focaliser autour de deux périodes de cette transition, notamment celle dominée par les deux guerres (1997 à 2003) et celle d’après guerre (2003 à 2006).
Le choix de ces deux périodes se justifie tout d’abord par l’ampleur des crimes qui ont caractérisé cette période et ensuite par la période fixée par le législateur pour la réconciliation nationale (2003 à 2006).
A. La période de 1997 à 2003.
Cette période est marquée par des violences non seulement politiques mais également et entre les communautés avec comme conséquences des exactions et des atrocités graves à l’égard des populations civiles innocentes. Parmi les manifestations de ces violences, nous citons tout d’abord la première rébellion , celle de l’AFDL qui avait pour but le renversement du régime MOBUTU, en 1996. Elle déboucha à la victoire de l’AFDL le 17 mai 1997, date de l’auto proclamation de KABILA comme président de la république.
Pendant cette guerre, les réfugiés Hutus rwandais abritaient dans des camps autour de la ville de Goma. Ces derniers avaient fui le Rwanda lors de la prise du pouvoir par l’AFPR en 1994
C’est dans ce cadre que le journal « Horizons et Débats » indique qu’à BUKAVU, on a pu noter des tueries de près de 3500 personnes et parmi les victimes congolaises, l’archevêque Christophe MUZIHIRWA. Le même journal rapporte que des réfugiés Hutus furent attaqués, non pas par hasard mais suivant des méthodes minutieusement planifiées. La même source soutient qu’à Tingi tingi, plus de 200000 Hutus furent massacrés. Notons également que pendant cette période, la guerre entre les communautés prend une grande ampleur. C’est le cas de la guerre entre la communauté hunde, nyanga, tembo,… contre la communauté tutsi.
Le 2 août 1998, débute une deuxième vague de rébellion soutenue par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Ceux ci visaient le renversement du régime de l’Afdl. En définitive, deux mouvements rebelles se partagent les provinces de l’Est y compris celle de l’Equateur. Plusieurs autres mouvements rebelles ont du naître, dont le RCD/KML et le RCDN et à celle ci nous pouvons ajouter le mouvement de résistance mai mai et la guerre en Ituri qui est l’exemple le plus emblématique de conflit entre les communautés.
Pendant presque 5ans nous avons assisté à une sorte de partition du pays par les différent mouvements. Chaque mouvement rebelle gouvernait sa partie sous contrôle conformément à l’accord de Lusaka et surtout qu’aucun de belligérant n’est parvenu à imposer sa volonté par la force.
Plusieurs pourparlers ont eu lieu et le plus important été celui de Pretoria, car il a dû déboucher à la signature de l’accord global et inclusif, source du pouvoir pendant la transition.
Durant ces guerres de rébellion, des congolais civils et militaires ont dû payer un lourd tribu. Ainsi, citant le rapport de l’organisme américain IRC, Christian HEMEDI, souligne que de 1998 à 2004, plus de 4000 000 de personnes sont mortes directement ou indirectement du fait des conflits armés. En plus des milliers d’autres congolais sont handicapés pour toujours, d’autres réfugiés, veuves, veuf et orphelin, des femmes violées, des villages brûlés…
C’est le cas de Makobola, Bunyakiri, Mwenga-centre, Kasika, Burinyi, Ituri,…
Kisangani, ville contrôlée par le RCD-Goma de 1998 à 2003 n’a pas non plus échappé au bain de sang. En effet, les habitants de cette ville ont été pilonnés à trois reprises par les armées rwandaises et ougandaises. A cet effet, des maisons ont été détruites et on a compté plusieurs victimes. Par ailleurs une tentative de contestation du pouvoir du RCD le 14 mai 200… à Kisangani par une foule des civils, des soldats et des policiers du RCD, ont été qualifiés de mutins et accusés d’être en connivence avec le gouvernement de Kinshasa. D’où un carnage humain.
Donc comme nous le constatons, des crimes graves se sont commis pendant ces périodes de guerre. Vu la gravité de ces crimes, il s’est avéré impérieux de faire la réconciliation nationale. C’est ainsi que celle-ci a été l’un des objectifs de la transition issue de l’accord global et inclusif.
B. La période de 2003 à 2006
Cette période constitue la transition actuelle. Elle tire sa légitimité de l’accord global et inclusif. Elle s’est fixée cinq objectif dont :
1. La réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l’intégrité territoriale et l’établissement de l’Etat sur toute l’entendu du territoire national ;
2. La réconciliation nationale ;
3. La formation d’une armée nationale, restructurée et intégré ;
4. L’organisation des élections libres et transparentes à, tous les niveaux permettant la mise en place d’un régime constitutionnel démocratique ;
5. La mise en place des structures devant aboutir à l’établissement d’un nouvel ordre politique.
Elle est caractérisée par la formule politique 1+4 à l’exécutif c’est-à-dire un président et 4 vices présidents qui sont les chefs des commissions et issues des composantes : ex-gouvernement, RCD, MLC, et opposition politique.
Le gouvernement comprend les ministres et les vices ministres. Le pouvoir législatif comprend l’Assemblée Nationale avec 500 députés et a pour fonction le vote des lois et le contrôle du gouvernement. Il comprend également le Sénat avec 120 sénateurs. Celui-ci est l’organe d’arbitrage entre les institutions, il est chargé d’élaborer l’avant projet de constitution à soumettre au référendum. Le pouvoir judiciaire comprend les juges, les cours ainsi que les tribunaux civils et militaires.
Cinq institutions d’appui à la démocratie sont également fonctionnelles :
- La Commission Electorale et Indépendante, chargée de garantir la neutralité et l’impartialité dans l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes ;
- La Commission Vérité et Réconciliation, chargée de consolider l’unité nationale grâce à une véritable réconciliation entre les congolais ;
- La Haute Autorité des Médias, chargée d’assurer la neutralité des médias pendant la transition ;
- L’ observatoire national des droits de l’hommes pour protéger les droits de l’homme ;
- La Commission de l’Ethique et de la Lutte contre la corruption, pour favoriser la pratique des valeurs morales et républicaines
Notons en passant que ces institutions jouissent de l’indépendance d’action entre elles et par rapport aux autres institutions de la république et disposent de la personnalité juridique.
Cependant de notre humble avis, nous constatons que cette transition est née avec quelques maladies notamment :
- Un calendrier précis ne tenant pas compte des aléas et de la complexité du processus ;
- Les objectifs ambitieux, irréalistes par rapport au calendrier fixé ;
- Le surdimensionnement des institutions. L’architecture pose problème : le schéma 1+4 c’est-à-dire la collégialité a montré ses limites ;
- La nordicité des ressources propres et la trop grande dépendance du pays à l’extérieure. Le pays n’a pas de ressources propres.
Tous ces objectifs de la transition devaient se réaliser pendant cette période de 3ans. C’est le cas également de la réconciliation nationale. Ainsi pour y arriver, deux formes sont prévues dans la constitution de la transition aux articles 154 et 199. il s’agit respectivement de la Commission Vérité et Réconciliation ainsi que de l’adoption et la promulgation de la loi d’amnistie.
II. LA RECONCILIATION NATIONALE : UN ECHEC
Tout d’abord, la réconciliation nationale est le rétablissement de l’harmonie entre deux ennemis. Elle implique le pardon, l’oubli et la justice. Au Congo, les communautés se sont fait la guerre elles sont devenues par conséquent des ennemis, les politiciens également se sont fait la guerre. D’où la nécessité de la réconciliation nationale.
Il sied de noter que le schéma de cette réconciliation devait être réflexif et symétrique. Elle devait se faire tout d’abord entre les communautés, ensuite entre les communautés et les politiciens et les politiciens et les politiciens entre eux
Pour y arriver, il a été institue une Commission Vérité et Réconciliation. Celle-ci a eu pour mission :
1. La consolidation de l’unité nationale grâce à une véritable réconciliation entre les congolais ;
2. La restitution de la vérité sur les événements politiques et socio-économiques qui se sont produits ;
3. La réconciliation des acteurs entre eux d’une part, avec le peuple d’autre part et le peuple avec lui-même ;
4. L’émergence et la consolidation d’un Etat de droit ;
5. Le rapprochement des gouvernants avec les gouvernés ;
6. Le rétablissement d’un climat de confiance mutuelle entre les différentes communautés et encouragement de la cohabitation interethnique ;
7. La reconnaissance des responsabilités individuelles et collectives des torts et des crimes ;
8. la reconnaissance des fautes commises contre la république
9. L’élaboration des recommandations nécessaires pour éviter que tels violations massives de droit de l’homme ne se reproduise à l’avenir ;
10. Le rétablissement de l’unité et la cohésion nationale.
Pour accomplir ces missions la commission vérité et réconciliation devait procéder de la manière suivante :
• Elaboration du projet de la loi organique ;
• Vulgarisation de la commission vérité et réconciliation ;
• Recrutement et formation des « commissaires »
• Mise en place des comités (bureaux ) de la commission
En plus, la phase opérationnelle consisterait à :
- l’enregistrement des plaintes ;
- l’enquête et l’audition ;
- l’orientation des dossiers vers les tribunaux.
D’une manière pratique, chaque victime devait orienter ses plaintes vers le bureau implanté dans sa commune, son village…le rôle des commissaires c’est-à-dire des techniciens formés pour cette fin sont l’enquête et l’audition dans le but de trouver le présumé coupable ; faire le rapport et orienté les résultats vers les tribunaux.
Mais fort est de constater que jusque là rien n’est encore fait. La loi organique devant régir la commission n’est pas encor adoptée. Le recrutement et la formation des techniciens ne sont pas fait. Il en est de même pour l’implantation des bureaux.
Le manque des moyens semble être à, la base de cette situation. Cependant, cela ne devait pas être le cas, car d’après les dispositions de l’accord global et inclusif les institutions d’appui à la démocratie telle que la commission vérité et réconciliation disposent d’une personnalité juridique. Donc elle peut contracter des dettes, recevoir des dons, donc disposer des moyens propres
L’enregistrement des plaintes des victimes au niveau des communes, villages ou localité, l’enquête et l’audition des plaignants faciliteraient la réconciliation entre les communautés. Ainsi, les présumés criminels seraient connus et identifiés. C’est une prélude de l’apaisement qui est un élément nécessaire de la réconciliation.
Dès lors que la non visibilité de commission se manifeste, cela augure un probable échec de la réconciliation nationale. Aussi, la limitation du fonctionnement de cette institution dans le temps à notre point de vue entravera certes son efficacité.
III. LE PROCESSUS ELECTORAL : BREF ETAT DE LIEU
Il est à analyser à trois phases dont :
- la phase préélectorale
- la phase électorale
- la phase post électorale
Dans la phase préélectorale, il s’agit de l’élaboration du cadre juridique ainsi que de son adoption. A ce niveau nous notons des avancés significatifs car la plupart des lois relatives à l’organisation des élections sont déjà adoptées : la loi sur la nationalité, la loi sur le fonctionnement des partis politiques, l’enrôlement des électeurs est déjà fait, le référendum, la loi sur l’amnistie,…
mais il reste encore à faire notamment l’adoption de la loi électorale et celle relative au financement des partis politiques.
Dans la phase électorale, il s’agit de l’organisation des scrutins électoraux à tout le niveau.
Enfin la phase post électorale consistera au dépouillement des bulletins de vote et à la proclamation des résultats par la CEI
IV. LES EVENTUELS DANGERS
dans cette partie de notre exposé, nous allons faire état des éventuels dangers que nous estimons entamés la réalisation voire la crédibilité des élections en RDC. Notre analyse se fera par rapport à la phase préélectorale, électorale et post électorale.
Par rapport à la phase électorale, notons tout d’abord l’élaboration de certaines lois sensibles taillées sur mesure. C’est l’exemple de la loi sur la nationalité et de celle sur l’amnistie
En effet, la première renferme un contenu flou, c’est-à-dire difficile à comprendre et à interpréter. Elle semble cacher une vérité quelconque, certes celle sur les personnes qui ne sont pas des congolais. En effet, cette loi devait déterminer clairement qui est congolais et qui ne l’est pas. Le flou de cette loi prouve que celle ci a été élaborée au profit des certaines personnes qui ne sont pas congolais.
En effet cette loi accorde la nationalité à un groupe de personne d’une manière automatique. Dès lors, ce groupe de personne intégrant ainsi la communauté congolaise est difficilement accepté par les autres communautés qui se réclament autochtone. C’est ainsi que nous pensons que cette loi est de loin réconciliatrice. La conséquence éventuelle est la non intégration et la non cohabitation pacifique.
La loi sur l’amnistie fait encore objet des controverses bien que celle-ci soit déjà adoptée par l’assemblée nationale…
Cependant au vue de l’échec de la réconciliation nationale et de l’inopération de la CVR, certaines personnes qui se porteront candidats aux différents postes en compétition au niveau local et national seraient sans doute parmi les assassins, criminels qui pouvaient normalement répondre de leurs actes et en principe être exclus compte tenu des faits qui leur sont reprochés, de la liste des candidatures ou mieux ne devraient pas être électeur ou éligible
Par rapport à la phase électorale il faut tout d’abord savoir que les élections sous-entendent la conquête du pouvoir par les urnes, afin de l’exercer le plus longtemps possible. Or en exerçant le pouvoir politique certaines autorités bénéficient d’une immunité qui fait qu’ils soient à l’abris de toute poursuite judiciaire. Ainsi les élection constitueraient un refuge pour les grands criminels afin d’échapper aux poursuites judiciaires
Par rapport à la période post électorale l’éventualité d’une instrumentalisation de la justice ou de la CVR risque d’être au rendez-vous afin de faire un règlement de compte
Eu égard de ce qui précède nous pouvons conclure cet exposé par les deux suggestions ci-après :
1. La réhabilitation de la commission vérité et réconciliation
2. L’enregistrement des plaintes des victimes ainsi que le début des enquêtes et audition par la commission vérité et réconciliation avant les élections, afin de permettre l’apaisement du peuple et surtout des victimes.
