LA PROBLEMATIQUE DE LA REFORME JUDICIAIRE EN AFRIQUE Par Maître Célestin TANABANU – ma – DALU

LA PROBLEMATIQUE DE LA REFORME JUDICIAIRE EN AFRIQUE

I. APERCU GENERAL

Si, comme l’affirment certains penseurs « L’Afrique semble avoir été le foyer non seulement de l’humanité, mais aussi et de façon évidente, de la civilisation humaine ( ) ,l’organisation judiciaire en Afrique, en général, remonte à l’époque précoloniale.
On y trouvait une mosaïque de royaumes, ayant chacun à sa tête, une autorité plus ou moins confirmée ».

Ces peuples ont élaboré des règles de sagesse et avaient chacun son organisation sociale, politique et judiciaire, sécurisant et harmonisant ainsi les rapports sociaux et économiques au sein d’un même groupe. Ces règles ont constitué un ensemble de normes juridiques appelé « Droit coutumier ».

Par ailleurs, les institutions judiciaires de l’époque précoloniale sont mal connues à cause de l’absence des documents écrits. C‘est dire que « l’histoire de l’Afrique précoloniale est remplie d’obscurité » ( ).

La fonction judiciaire s’y trouvait liée, soit à l’exercice du pouvoir politique, soit à celui du pouvoir religieux, soit encore à es deux pouvoirs combinés.

Quant à l’époque coloniale intervenue avec la signature, en date du 26 Février 1885, de l’Acte de Berlin, véritable charte qui a consacré la colonisation et le partage de l’Afrique par l’Europe , le colonisateur , à son tour , ne découvrit pas toujours l’existence ou l’intérêt de telles institutions . C‘est donc souligner, ave CONAC, que « tous ( ) Les Etats africains portent la marque du fait colonial ; le cas de la République du Liberia demeurant une exception, où l’on peut, cependant, affirmer que cet Etat, Indépendant depuis sa création, a pu, durant longtemps, entretenir des liens très serrés avec les Etats – Unis d’Amérique. Que de ce point de vue, ce pays pourrait être considéré comme un protectorat déguisé » ( ).

Après quelques tentatives d’organisation des juridictions coutumières traditionnelles, le même colonisateur leur substituera, dans l’ensemble, un système d’inspiration métropolitaine dont les juridictions même lorsqu’elles se voulaient indigènes, n’avaient qu’un rapport lointain avec les institutions originelles africaines.

A titre illustratif, pour la République Démocratique du Congo, le Décret du 17 Janvier 1886 sur l’organisation judiciaire, a institué un code pénal pour les Européens résidant au Congo et a créé, à Boma, un Tribunal de Première Instance, ayant plénitude de juridiction sur tout le Territoire de l’Etat Indépendant du Congo , alors que les indigènes restaient soumis à la juridiction de leurs chefs et à l’application des coutumes locales.

A compter de cette époque, il se trouve condamné à disparaître en même temps que le régime colonial. Dans la plupart des pays d’Afrique noire, cependant, la décolonisation ne s’est pas réalisée en un seul trait de temps.

L’ancien régime a d’abord fait place à une communauté institutionnelle qui n’a duré que quelques années. C‘est ce qu’on a appelé « Le Régime de la Communauté Institutionnelle. Ce système sera suivi par la période de la balkanisation de l’Afrique ave comme corollaire :

1. La Fédération du MALI, qui avait entrepris l’unification totale des justices du Sénégal et du Soudan ;
2. Le projet envisagé par les Etats de l’Entente mais qui n’a jamais vu le jour ;
3. Les douze Etats de l’Union Africaine et Malgache de 1961, qui s’accordent sur la transmission des commissions rogatoires et l’exécution des jugements de leurs tribunaux respectifs ; selon la convention de coopération judiciaire de l’U.A.M signée à Tananarive le 12 Septembre 1969.
4. L’idée de création, en 1984, entre les pays indépendants de l’Afrique sub – saharienne, d’une Ligue des Etats Négro – Africains ( ).

L’éclatement de cette communauté devait consacrer la faillite du système du contrôle de la justice et remettre en cause les réformes qui avaient pu être réalisées pendant cette période intermédiaire.

Il reste à retenir que ces changements intervenus dans le domaine judiciaire ont provoqué l’avènement d’une littérature que nous voulons enrichir, notamment à l’aide des matériaux élaborés par maints penseurs , au ours de ces deux dernières décennies.

En effet, P. – F. CODENIC a produit une longue description du paysage juridique des Etats anglophones et francophones d’Afrique ( ).

Dans « la réforme de la justice en Afrique noire » ( ), M. JOEL s’est penché sur l’organisation judiciaire et le personnel des juridictions.

De façon typique, Pierre PIRON a esquissé le cas concret de la législation de la République Démocratique du Congo, particulièrement pour les années 1960 – 1970 ( )

Il en est de même d’Emile LAMY, conseiller à la Cour Suprême de Justice qui, au sujet du Congo alors appelé ZAÏRE, brossé le « Bilan actuel de l’intégration du droit zaïrois » et ses perspectives d’avenir » où il a livré un aperçu du « droit judiciaire » ( ). BAYONA BA – MEYA MUN KIMIMBA, Président de la Cour Suprême de Justice congolaise a, lui aussi, abordé cette question du « droit judiciaire », dans « Les pratiques judiciaires en marge de la loi ». ( )
Célestin TANABANU – ma – DALU est venu appliquer toutes ces recherches de portée assez générale, globale et théorique , sur une expérience spécifique d’une reforme judiciaire mise en place au Congo. ( )

II. LES DONNEES FONDAMENTALES PROPREMENT DITES DE LA JUSTICE AFRICAINE

Il convient de constater qu’il a existé deux sortes de données : données impulsives et données normatives. La réorganisation du service public de la justice fut nécessairement le produit de multiples influences qui pouvaient s’exercer sur le législateur et dont il n’est pas toujours facile de mesurer l’importance respective.

Il semble, toutefois, que la réforme judiciaire africaine ait été provoquée essentiellement par des facteurs d’ordre politique et économique. Plus nuancé apparaît le rôle joué par d’autres données d’ordre social, religieux et juridique qui, sans promouvoir véritablement les réformes, en ont infléchi le cours. Parmi les facteurs politiques et économiques de la reforme, on peut citer : la balkanisation de l’Afrique, la faiblesse des moyens ainsi que l’influence localisée des théories marxistes.

Quant au premier facteur, il importe de faire ressortir qu’ayant accédé à la pleine souveraineté dans le cadre géographique d’anciens territoires d’Outre – mer, les Etats africains, notamment francophones, sont désormais indépendants non seulement de l’ex – métropole mais aussi les uns des autres.

Que l’on impute cet état de choses à l’aménagement par l’occident du processus de libération ou à la répugnance des Africains pour une unification précoce de leur continent, un fait est certain et le législateur doit en tenir compte : L’Afrique est balkanisée et ce phénomène politique a une profonde répercussion sur le droit judiciaire. Tous les Etats, même les plus déshérités doivent envisager l’organisation d’une Justice Nationale, de la base au sommet, composée d’un personnel national, et appliquant un droit national.

Si pour des raisons pratiques, ces objectifs n’ont pas encore été totalement atteints, ils sont inéluctables dans les conditions politiques difficiles actuelles que connaît notre continent.

Par ailleurs, en imposant la reconstruction dans chaque Etat d’un appareil judiciaire entièrement national, le compartimentage politique de l’Afrique augmente démesurément les besoins de la justice, alors que ses moyens demeurent bien limités.

Les fonctionnaires des cadres locaux notamment insuffisants et l’augmentation immédiate de leur nombre peuvent expliquer la déconsidération de leur qualité. Certes, une solution commode est trouvée généralement dans l’utilisation de magistrats et de greffiers européens prêtés au titre d’assistance technique. Mais un tel palliatif, par nature provisoire et contraire à la politique nationaliste des Etats Africains naissants, ne saurait remédier sérieusement à la carence en personnel compétent qui, malgré les efforts de formation accélérée entrepris, continue de peser gravement sur les initiatives du législateur.

Les moyens matériels, si indispensables à la distribution de la justice dans un continent où les populations sont souvent éparpillées sur d’immenses étendues et où les conditions géographiques sont particulièrement défavorables, demeurent liés à des impératifs budgétaires fort stricts que les gouvernements ne peuvent transgresser.

Les sous – développement actuel de l’Afrique ne lui permet pas de gonfler sans mesure le budget de sa justice.

On comprend dès lors, dans ces conditions, que pour adapter des besoins brusquement accrus à des moyens qui progressent lentement , le législateur africain ait senti , dans son œuvre réformatrice , la nécessité d’alléger un tant soit peu , l’organisation judiciaire antérieure . Cette amélioration pouvait être réalisée, notamment par une unification des ordres juridictionnels existants et par une simplification de la composition et du fonctionnement des tribunaux.

Enfin, il est un dernier facteur où le politique et l’économique se rejoignent pour exercer une influence non négligeable. Lorsqu’ils ont cherché une solution politique au problème du sous – développement, les Etats africains ont eu tendance à se diviser en deux groupes d’importance inégale : les uns s’inspirent des principes des démocraties occidentales, les autres se rapprochant des méthodes des démocraties populaires.

Une telle tendance politique, liée d’isolement à l’égard de l’ancienne métropole, ne pouvait manquer d’avoir des incidences sur l’appareil judiciaire. En effet, cette première sorte de démocratie voit en la justice un troisième pouvoir indépendant des deux autres et chargé de veiller au respect des droits et libertés reconnus aux citoyens ; tandis que la seconde la considère comme un simple moyen d’action au service d’un programme politique.

De telles divergences de conception devaient aboutir nécessairement, sur le plan du « droit judiciaire », à un aménagement différent de statut de la magistrature, de régime de principaux auxiliaires de la justice, de l’organisation des voies de recours, des droits reconnus à la défense en matière pénale.

Les autres données qui conditionnent la réforme judiciaire proviennent du fait que s’il se trouvait littéralement contraint, pour des raisons politiques et économiques, de procéder à la réorganisation de sa justice, le législateur africain devrait tenir compte assez largement de deux considérations dont l’une tire son origine de l’Afrique précoloniale, tandis que l’autre est imputable à l’œuvre du législateur européen. Il s’agit d’une part, de la vitalité d’un « droit traditionnel » qui ne saurait s’accommoder de n’importe quelle réforme de la justice et d’autre part, de la place prise dans les habitudes et les mentalités par le « droit judiciaire » métropolitain.

Célestin TANABANU – ma – DALU avait stigmatisé cette étroite dépendance de l’ordre judiciaire vis – à – vis de la politique, dans un cas spécifique de la République Démocratique du Congo, où il révélé que « La reforme judiciaire née de l’Ordonnance – Loi n° 68/48 du 10 Juillet 1968 résulte du changement politique issu du coup d’Etat du 24 Novembre 1965 qui a décidé de la refonte du code de l’Organisation et de la Compétence Judiciaire , afin d’assurer son adaptation aux réalités sociales , politiques et judiciaires du moment » ( ).

Ce qui rend si délicat le problème de la Justice en Afrique, c’est, au-delà des complications politiques et des difficultés matérielles, la coexistence des deux morales : l’une indigène, née de la lente maturation des sociétés africaines, l’autre, imposée par le régime colonial. ( )

Le législateur étranger s’était quelque peu trouvé embarrassé par cette dualité juridique dont il était la cause ; puis, malgré ses tendances assimilatrices, il s’était résigne à organiser deux ordres juridiques distincts, correspondant aux deux ordres juridiques qui se chevauchaient.

Les deux ordres juridiques répondant à des besoins différents mais actuels, ont également droit de cité en Afrique et personne ne songe sérieusement à éliminer radicalement l’un au profit de l’autre.

La plupart des Républiques africaines envisagent, au contraire, une fusion de ces deux formes de justice traditionnelle et écrite, lorsqu’on aura concilié ce qu’ils ont d’incompatible.

Aussi, 202 écrivains se sont – ils retrouvés durant toute une semaine, dans un colloque organisé en RDC (Zaïre), afin de lever plusieurs options en vue de concilier les valeurs authentiques ou traditionnelles et le droit moderne. ( )

Au demeurant, les Etats se mirent d’abord à la tâche la plus urgente qui était de réorganiser leurs services publics de la justice. Utilisant en partie les tribunaux du droit antérieur, ils construisirent sur leur territoire national un appareil juridictionnel nouveau, se suffisant à lui – même.

Par ailleurs, n’ignorant pas cette vérité selon la quelle la valeur des institutions dépend beaucoup des hommes qui les servent, les Etats africains entreprirent ensuite de doter leurs juridictions d’un personnel qualifié et s’attachèrent également à ce que son statut garantisse les qualités morales et professionnelles que le justiciable est en droit d’attendre de ses magistrats et de leurs auxiliaires.

CONCLUSION

Aussi, à l’issue de cette recherche, notre vœu le plus ardent est que tous ceux qui sont épris de l’ordre et du progrès dans l’indépendance nationale et de chaque peuple à disposer de lui-même et de son avenir, conjuguent leurs efforts pour doter l’Afrique, en général, et la RDC, en particulier des structures et institutions fondamentales qui nous permettrons de nous développer dans la concorde et la sécurité. Ceci en instituant une forme d’Etat national et des institutions publiques stables, fondées sur un système de législation et de juridiction assurant cette « légalité » qui est la base et la garantie de la sécurité du droit, sauvegarde de tous les citoyens adonnés à leur œuvre de reconstruction économique et leurs travaux pacifiques journaliers.

Par ailleurs, il importe également de souhaiter que le pouvoir judiciaire, naguère miné et dévasté par les velléités laxistes, fera désormais œuvre utile dès qu’il aura recouvré son indépendance réelle.

Aussitôt affranchie des interférences multiformes et réfractaires au droit, la justice africaine sera le rempart de la raison et de la légalité, le glaive pointu et pointé vers le tort et l’arbitraire, réalisant l’équilibre inexorable de sa balance.

Que l’égalité des hommes devant la loi écrase désormais le caste des intouchables impénitents empêtrés dans les méandres du système désuet. Alors, sommes – nous prêts à vivre dans ce nouveau contexte légaliste ? Si oui, il est temps de nous départir de notre mauvaise conduite néfaste à la paix et au progrès social.

Dorénavant, la Justice n’aura pour seul maître que la loi et comme seules servantes la jurisprudence et l’équité. C’est de cette manière uniquement que la loi apportera sa pierre à la construction de l’édifice de la Nation ; et ce, par le regain d’un Etat de droit longtemps rongé par une crise sans précédent, dans chacun des pays africains.

Célestin TANABANU - ma – DALU
Assistant en Droit
Magistrat Emérite et Honoraire.