« La Société civile de la RD-Congo se veut une composante de pleine participation et non un figurant pour la validation simple des programmes de développement »

Concerne : Conférence Internationale des multi bailleurs des fonds consacrée à la République Démocratique du Congo du lundi 15 au vendredi 19 Décembre 2003 à Paris

TRANSMIS COPIE POUR INFORMATION A :
- Son Excellence Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo à Kinshasa- Gombe
(Avec l’expression de nos sentiments respectueux) ;
- Son Excellence Monsieur le Vice-Président de la République Démocratique du Congo chargé des Questions Economiques et financières à Kinshasa-Gombe
- (Avec l’expression de nos sentiments respectueux)
- Son Excellence Monsieur le Ministre des Finances à Kinshasa-Gombe
- Son Excellence Monsieur le Ministre du Plan à Kinshasa-Gombe
- Monsieur le Représentant Résident de la Banque Mondiale à Kinshasa – Gombe
- Monsieur le Représentant Résident du P.N.U.D. à Kinshasa - Gombe
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- Aux Membres de la Délégation de la RD-Congo à la réunion de Paris
- A Tous les Bailleurs des fonds Publics et Privés
Dans le cadre du soutien à la Réunification socio-économique de la République Démocratique du Congo, nous saluons la réunion qui se tient actuellement à Paris du 15 au 19 Décembre 2003. Nous savons que c’est une grande Conférence Internationale des multibailleurs des fonds en vue de déterminer l’enveloppe nécessaire des ressources financières à accorder au pays, en sus de ce qui lui a déjà été consenti, notamment dans le cadre du Programme Intérimaire Renforcé, du Programme Multisectoriel d’Urgence pour la Reconstruction et la Réhabilitation ainsi que des Accords de Crédit récemment ratifiés par le Gouvernement de la République après débats au Parlement.
Eu égard à l’importance que revêt ce dossier par rapport à l’impérieuse nécessité d’assurer à notre pays un environnement intégré et une reconstruction réellement sans heurts, la Société Civile de la République Démocratique du Congo se propose d’abord de remercier la Communauté des bailleurs des fonds pour l’attention soutenue qu’elle accorde aux objectifs de réunification et de reconstruction de la RDC, en ces temps de crise généralisée de l’économie mondiale et de menaces persistantes sur la paix des nations.
Dans le même ordre d’idées, elle félicite le Gouvernement de la République pour son ouverture totale sur le monde et pour les efforts qu’il ne cesse de fournir en vue de la relance de la coopération internationale en ce début du siècle de la mondialisation qui en appelle vivement à la solidarité entre les peuples et entre les Etats.
Cependant, la Société civile de la République Démocratique du Congo constate qu’une fois de plus, elle n’a pas été associée aux différentes phases de ce processus. A nouveau et ce en dépit de multiples discours officiels de ses partenaires, elle se demande s’il s’agit-là d’un oubli, d’une fuite en avant, d’un manque de moyens ou d’un manque de considération.
Depuis un certain temps, il a été accepté de commun accord et consacré par tous que tout plan de développement de la République Démocratique du Congo doit être le résultat d’un travail de collaboration entre le gouvernement, le secteur privé/associatif et les bailleurs des fonds extérieurs. De cette acception, la Société civile de la RD-Congo a suffisamment démontré, par son expertise et sa capacité de mobilisation, qu’elle ne veut plus seulement être invitée à des séances solennelles de validation des programmes mais qu’elle est plutôt une actrice de terrain, porteuse tout autant d’avis créateurs de nouveaux ordres. Cette volonté a été fortement affirmée par tous lors des derniers travaux de lancement de l’élaboration du DSRP Final, tenus au Centre Nganda, du 8 au 11 décembre 2003.
Tout en restant attentif au processus en cours et en demeurant disponible à une pleine implication dans cette dynamique, et dans le souci d’apporter sa contribution aux débats qui s’annoncent et, surtout, en vue de rendre cette coopération réellement profitable à la Nation congolaise et de veiller à ce que l’aide attendue remplisse des critères d’efficacité et de rentabilité par rapport aux objectifs prévus, la Société Civile de la RD-Congo, bien que n’ayant pas été associée au déroulement des travaux prévus, invite les participants à la Conférence à tenir compte des considérations suivantes :

1. Le Contexte Economique de la RDC
La Société Civile rappelle aux participants à la Conférence les réalités suivantes qui caractérisent l’environnement socio-économique de notre pays et qui influeront inévitablement sur l’opportunité, l’efficacité et la rentabilité des aides financières que nous appelons de tous nos voeux en vue de la reconstruction effective de notre économie.
1.1. Situation socio-économique du moment.
Grosso modo, le géant potentiel de l’économie congolaise contraste horriblement et de plus en plus avec une situation socio-économique des plus piteuses et comprenant notamment les éléments caractéristiques ci-après ( la liste étant loin d’être exhaustive ):
n le mode d’exploitation des ressources naturelles qui a du mal à se départir de l’économie de cueillette reste fondamentalement dominé par la propension au pillage ;
n le Secteur informel occupe, d’après certaines statistiques même des officiels, près de 95 % de l’activité économique du pays ;
n le revenu par tête d’habitant oscille actuellement autour de 0.15 USD ( 15 cents ) par jour depuis l’année dernière ;
n le taux de malnutrition, soit 73 %, d’après le Rapport Mondial sur le Développement Humain 2003, est le plus élevé du monde ;
n l’Indice du Développement Humain, d’après le même Rapport, situe notre pays parmi les Etats les plus malheureux de la Planète, ...
Il est important de noter que des études des experts en économie établissent une corrélation directe entre la mondialisation et la progression de l’économie informelle d’une part, la mondialisation n’étant, d’après certaines analyses, qu’une transnationalisation des intérêts privés plus particulièrement en ce 21ème siècle que certains pronostics qualifient déjà de siècle de l’individualisme. D’autre part, la même corrélation est établie entre la progression du Secteur informel et l’approfondissement de la pauvreté, affichant la RDC parmi les pays les plus en proie à ces deux tares qui se chiffrent respectivement à 95 % pour l’informel et 0.363 pour l’IDH. Or la mondialisation est une réalité incontournable.
L’ampleur du Secteur informel est une pesanteur sur laquelle nous invitons tous les participants à une attention soutenue surtout lorsqu’elle est de proportion à consacrer l’inexistence de l’Etat et donc l’inefficacité des politiques gouvernementales.

1.2. Les limites des aides étrangères.
La relecture du processus de l’endettement de la RDC, plus particulièrement dans le contexte de la deuxième République doit constituer une référence que la Société Civile considère comme fondamentale. Car, ce n’est pas moins un miracle pour une nation que de partir de la porte d’entrée au sein du « Club des Dix » principaux bailleurs des fonds dans le monde, en 1971, pour un plébiscite, 33 ans plus tard, de membres de la catégorie des « de PPTE ».
Quelles que soient les erreurs de gestion et les bévues de détournement qui ont caractérisé cette époque, la Société Civile de la RDC vous invite à réfléchir sur les contraintes suivantes que nous impose le fonctionnement du système économique international :
n la détérioration continue des termes de l’échange, la fluctuation des taux de change et l’insuffisance même du volume des aides publiques au développement ne sont pas de nature à faciliter ou à rassurer sur la capacité effective de remboursement des crédits extérieurs, quelle qu’en soit la concessionnalité ; le risque persiste de passer de la catégorie de PPTE à toute autre nouvelle catégorie qui pourrait se créer sur ce chemin de la faillite des nations , tant il est vrai que l’accumulation excessive de la dette n’est pas forcément synonyme de l’abondance de crédits additionnels reçus mais plutôt le fait de la capitalisation des intérêts des services impayés, faute de capacité effective d’honorer, aux différentes échéances, nos obligations financières;
n l’appréciation des critères de risques, de rentabilité, et de solvabilité, tant qu’elle repose sur les méthodes de gestion de politiques monétaires usuelles dans les pays prêteurs, n’est pas moins un obstacle aux conditions d’efficacité de l’allocation des ressources quelque proche que soit la nouvelle approche de la réalité sur le terrain : le financement de l’agriculture ou, tout court, de l’exploitation du secteur primaire dont les produits ne peuvent répondre aux conditions de compétitivité face à la concurrence du marché subventionné des produits occidentaux, biaise la hiérarchie de nos programmes économiques, d’une part, tandis que d’autre part, l’inefficience des instruments de notre politique monétaire ne peut préserver notre gestion interne des chocs extérieurs induits par la rationalité des politiques dans les pays d’origine. L’expérience vécue dans nombre de pays démontre que dans une économie sans infrastructure financière, le choc des mouvements internationaux des capitaux est toujours nécessairement catastrophique.

1.3. Les programmes et politiques économiques.
Depuis l’indépendance de notre pays, la RDC avec ou sans la coopération internationale n’a expérimenté que les mêmes modules de programmes qui restent fondés sur les principes de la stabilisation du cadre macro-économique et l’ajustement des équilibres fondamentaux de l’économie comme préalables incontournables de la relance de l’économie, à tel point que :
n la politique monétaire reste essentiellement une politique d’austérité basée sur le contrôle strict de la masse monétaire et la lutte inexorable contre l’inflation. Son objectif reste, de tout temps, celui de la stabilité de l’indice général des prix, peu importent l’évolution du pouvoir d’achat de la population, l’assèchement de l’épargne locale et le tarissement consécutif du crédit intérieur. A ce jour, nul regard ne se porte sur l’inutilisation des capacités productives effectivement installées de nos entreprises de production de valeurs ajoutées ainsi forcées à travailler jusqu’en dessous de 10 % de leurs capacités réelles à cause de la prédominance de politiques de répression de la demande; nonobstant le rapport d’enquête de la mission du FMI qui avait en charge la restructuration de la Banque Centrale du Congo, fustigeant le déséquilibre odieux entre l’offre très insuffisante de la monnaie et la demande toujours insatisfaite des signes monétaires, aucune suggestion concrète n’a remis cet état de choses en cause. Au contraire, la politique monétaire, obsédée par la nécessité de présenter de beaux chiffres de stabilisation factice de la monnaie, n’a aucune répugnance à remplacer l’inflation par la déflation, au détriment de la vie même de tout système économique.
n La politique financière court tout autant sur les pistes du maintien des équilibres de sous-emplois appauvrissant autant l’Etat que les ménages. Avec un budget global qui ne vaut, en définitive que le cinquième des recettes touristiques de l’Egypte, la politique budgétaire de la RDC telle que le lui recommande les Accords de crédit extérieurs reste hantée par le spectre hallucinant des déficits inflationnistes du Trésor. En conséquence, face à ses obligations financières intérieures ou extérieures, l’Etat se livre, lui-même, à des actes de délinquance y compris à l’égard des entreprises de son propre portefeuille qui détiennent sur lui des créances « douteuses » de plusieurs centaines de millions de dollars, sans compter sa fonction publique dont les administratifs sont clochardisés à souhait. C’est la faillite de toute une Nation.
n La politique économique du Gouvernement, eu égard à ce qui précède reste étonnamment une politique de désinvestissement accentué, tant il est vrai que l’investissement, qu’il soit public ou privé, ne peut se concevoir que dans des conditions de prévision d’un marché en expansion et des bénéfices évidents. Il faut se demander en quelle année l’Etat congolais a construit sa dernière route d’intérêt public, bâti son dernier hôpital ou même entrepris d’achever les chantiers inachevés de ses barrages hydroélectriques comme tant d’autres projets à financement mixte. Il faut se demander de quand datent son chemin de fer, son réseau de téléphone, son central nucléaire....dans cet environnement mondial mouvant. Au contraire, jour après jour, l’Etat recule, laissant d’avantage d’espace au Secteur informel.

Face à la délinquance et à la pauvreté de l’Etat qui se replie, d’une part, et, d’autre part, en présence d’un Secteur informel fulgurant, comment pensez-vous qu’il soit possible d’endiguer la corruption, le chômage, la pauvreté et l’insécurité sociale ? Comment peut fonctionner la justice si le droit ne doit être dit que par des magistrats que l’Etat lui-même a dévalués ? Et comment peut-on avoir une administration fiscale responsable si l’inspecteur des impôts ne peut pas, en contrepartie de ses services rendus à l’Etat, avoir mieux qu’un SMIG de 1 dollar par jour alors qu’il se trouve en face des prédateurs qui doivent des millions de dollars au Trésor public ?
Il ne s’agit pas pour la Société Civile de marquer sa présence à ces importantes assises par une note exclusivement pessimiste, mais, plutôt, de dénoncer les vicissitudes de notre environnement telles qu’elles comportent les risques de saupoudrage des ressources attendues en annihilant tout impact positif d’une part, et, d’autre part, le risque de recyclage de ces mêmes ressources plutôt vers le Secteur informel qui a déjà englobé même les structures de l’Etat. Car si cela venait à arriver, c’est la compromission totale du développement économique de notre pays qui en sera le prix en même temps que la postérité congolaise ne devra jamais travailler que pour rembourser des dettes nées de nos égoïsmes et irresponsabilités.
Pour prévenir ces désagréments et sevrer, une fois pour toutes, l’Etat congolais du biberon de la Communauté internationale des bailleurs des fonds, la Société Civile formule les propositions reprises ci-après à l’attention de la Conférence .

2. Solutions Proposées.
Il importe de rappeler, premièrement, que toute politique ou tout programme économique repose nécessairement sur des principes enseignés par la Science économique. Il est un secret de polichinelle que l’économie politique qui étudie et analyse les comportements des hommes ou des institutions au sein d’un système des règles de jeu donné a prouvé ses limites et insuffisances face à la persistance et à la mondialisation de la crise économico- financière.
Les économistes s’orientent de plus en plus vers cette autre Science qu’ils appellent « La Nouvelle Economie politique » qui, au-delà de l’analyse des comportements des acteurs politiques et des conditions d’efficacité des décisions publiques ( le Public Choice ), s’intéresse à l’étude des systèmes eux-mêmes, à la façon dont naissent et s’éteignent les Etats, à la problématique des économies de transition et, aux véritables problèmes de développement économique après le constat de l’échec des économies de marché ( Economie Constitutionnelle).
Les partenaires de la Société Civile, s’appuyant sur les travaux - combien à propos - de cette Nouvelle Economie politique, partagent les avis que l’Etat, même dans la plénitude de sa dimension socio-politique, est essentiellement une réalité économique, eu égard aux notions fondamentales de justice sociale, de constructivisme rationaliste, de consensus social, de coût d’opportunité et même de fondements des Constitutions.
A cet égard, ils proposent les priorités suivantes dans la définition et la répartition de toute enveloppe d’aide financière, en ayant à l’esprit la sagesse chinoise qui dispose : « Si tu me donnes du poisson, je vais manger un jour ; mais si tu m’apprends à pêcher, je n’aurai plus jamais faim » :

2.1. Le renforcement des Institutions
Dans l’entendement de la Société Civile, l’Institution par excellence et qui doit appeler toute l’attention des participants c’est la monnaie congolaise, fondement de toute indépendance et de toute souveraineté d’un Etat. C’est elle, d’ailleurs, qui constitue, en prémisse, le cadre d’accueil de la coopération financière en négociation. A ce juste sujet, il est malheureux de constater d’abord que l’Etat congolais fonctionne avec une monnaie informelle qu’il a nommé « Franc fiscal » et qui tient lieu de monnaie officielle.
Nous sommes formellement convaincus que le problème fondamental de l’économie et de l’Etat congolais est bien celui de l’inconsistance de sa monnaie et, partant, de l’inadéquation de la politique monétaire. De même, le problème de l’endettement comme celui du désinvestissement ou de la pauvreté en termes d’inexistence du pouvoir d’achat sont avant tout des questions d’ordre monétaire. Voici quelques observations concrètes à ce sujet :
n le recours au franc fiscal dans les transactions officielles, par le Gouvernement de la République, tout comme celui aux devises étrangères dans les contrats, par les particuliers, traduisent simplement le fait que la monnaie nationale ne remplit pas les fonctions classiques de toute monnaie ;
n parmi les agrégats de la masse monétaire, l’absence absolue de M3 dont l’impact sur la croissance est significativement élevé alors que son impact inflationniste est très négligeable, suffit à expliquer le niveau du sous-développement économique de la RDC ;
n La trop faible proportion de M2 qui traduit, en quelques termes, le niveau de l’approfondissement financier ou du fonctionnement des établissements de crédit est la révélation de l’inexistence d’une infrastructure financière à même d’accueillir efficacement tout flux des capitaux étrangers ou même de gérer l’épargne intérieure ;
n La prépondérance dans le M1 de la monnaie fiduciaire au lieu des instruments scripturaux est la mesure suffisante du niveau de la culture financière dans notre pays et des erreurs d’appréciation des concepts d’expansion ou de surliquidité de l’économie justifiant plus d’austérité dans le contrôle de la masse monétaire ;
n la recrudescence de la crise des liquidités et de la pénurie des signes monétaires en RDC expriment simplement que la nature de la monnaie nationale est essentiellement matérielle au lieu d’être d’abord le symbole et le socle de la confiance qui fonde toute société organisée ;
n la monnaie nationale ne vaut plus que 0.3 % de sa valeur initiale tandis que sa valeur intrinsèque ne couvre même pas le seul coût de sa production, au point que son unité monétaire a déjà disparu de la circulation ;
n Près de 90 % des dépôts bancaires sont constitués en monnaies étrangères, d’office soustraites aux mécanismes de crédit intérieur, tandis que les dépôts en monnaie nationale restent inconvertibles, aggravant la crise du crédit en RDC ;
n Le taux de liquidité de l’économie congolaise est nul, c’est-à-dire, 0,0 % traduisant le degré semblable de monétarisation de l’économie nationale au potentiel paradoxalement gigantesque ;
n En conséquence, la RDC ne compte qu’un guichet bancaire – nous ne parlons pas d’établissement bancaire mais bien de guichet - pour plus de 2 500 000 habitants avec un approfondissement financier conséquemment nul ;
n l’inadéquation de l’offre de monnaie par la Banque Centrale justifie l’appropriation, par des exportateurs, des recettes en devises qui devraient constituer logiquement les réserves de change de la République ; ...
Dans ces conditions, quelle peut être l’efficacité de la politique monétaire dans ses divers axes de l’émission, du crédit, du change et, même, de la supervision des intermédiaires financiers en face d’un afflux des capitaux d’aides étrangères, quand on sait déjà les difficultés que la Banque Centrale rencontre chaque fois qu’il faut créer de la monnaie en contrepartie du rapatriement des recettes d’exportation ?
On comprend que l’émission d’une monnaie limitée à sa nature de simple substance se fasse à un coût qui frise l’inconscience au regard de sa valeur intrinsèque (l’impression d’une coupure de 10 F. par exemple, qui ne vaut que 0.027 USD soit 2 dîmes, coûte à la Banque 0.082 USD, c’est-à-dire, 8 dîmes) ; on comprend que la détermination du taux d’intérêt, fondement, par excellence de la politique de crédit, frise l’ignorance du marché, que la politique de change n’ait aucun rapport ni avec le flux des capitaux ni avec l’organisation d’un marché des changes et que, enfin, la supervision des intermédiaires financiers ait conduit le pays à la totale déperdition du secteur financier.

Donc, aider la RDC a disposer d’une monnaie et d’une politique monétaire viables à travers la restructuration de sa Banque Centrale est une condition nécessaire et suffisante pour donner à l’enveloppe d’aide en négociation les critères de son opportunité , les garanties de la solvabilité de l’Etat et l’efficacité même de l’aide, en pensant notamment à la possibilité qui pourrait en découler d’organiser un marché des capitaux pour éviter aussi bien la fuite de ces capitaux par leur rapatriement illicite dans les pays d’origine que leur évasion dans le secteur informel.

2.2. Le renforcement des capacités humaines.
Comme pour la monnaie, les pièges de faire de la RDC un Etat factice sont enracinés dans l’histoire de l’Etat Indépendant du Congo. Les explorateurs d’antan tout comme les dirigeants politiques et les puissances financières qui leur ont succédé ne parlent du Congo que comme si le Congolais n’existait pas. Il est plus considéré comme ressource à exploiter que comme un peuple propriétaire du patrimoine commun. Si la chicote et la corvée ont disparu, les conditions d’esclavage ne quittent pas nos destins : le SMIG de 1 dollar US par jour passe pour un record de bonne foi qui s’avère toujours difficilement réalisable, après que tous les programmes d’ajustement économique aient enfoui le Congolais dans les décombres des laissés-pour-compte. Le chômage involontaire qui cloue toute l’élite intellectuelle dans de sales besognes à défaut de s’exporter pour une autre forme d’esclavage dans l’anonymat ne constitue aucune préoccupation même pour les propagandes électorales.

La Société Civile considère que les vertus de la démocratie, de la justice sociale, bref de l’Etat, passent absolument par la prise en compte de la valeur humaine et, en particulier, de la prépondérance de son apport dans le processus de production. A cet égard, nous suggérons ce qui suit :
n l’expertise locale, du reste issue de la diversité la plus riche des universités du monde, constitue le concepteur et le responsable de suivi d’application du programme économique quel qu’il soit, en remplacement du savoir importé qui accompagne tout module de programme;
n l’affectation des ressources, notamment en faveur du renforcement de l’administration de l’Etat, veille au renversement des rapports de prise en charge entre les populations actives et passives : il n’est pas normal qu’en moyenne 5 % du personnel actif assume la responsabilité de 95 % de la population, en l’absence de toute structure officielle de sécurité sociale;
n la restructuration des entreprises du portefeuille de l’Etat doit inclure en priorité une expansion de l’activité économique du Secteur public tel qu’il puisse s’accompagner aussi bien d’une amélioration substantielle de la rémunération des agents que d’un accroissement exponentiel des effectifs des travailleurs . Cela va sans dire que, aussi bien le Rapport mondial du développement humain 2003 que les travaux des économistes new look que nous avons déjà susmentionnés ont stigmatisé, chacun à sa façon, les échecs des marchés, appelant une plus grande responsabilité et implication des Etats.
n La réelle prise en compte de la problématique de l’Education Pour Tous est la meilleure garantie de l’avenir de notre pays. Une augmentation des ressources budgétaires permettra une préparation de la main d’œuvre active, facteur essentiel du développement. Nous rappelons les engagements pris par les uns et les autres pour atteindre les objectifs de l’Education Pour Tous d’ici à 2015.
n Le secteur de la santé requiert également une attention particulière, car une population malade, comme la nôtre n’a aucune possibilité de contribuer au développement de notre pays.
n Nous continuons à revendiquer l’annulation totale de toute la dette extérieure, car son poids actuel ne permettra pas d’investir dans l’homme. Les différents mécanismes d’allègement et d’effacement d’une partie de la dette extérieure de notre pays ne doit pas être et demeurer un exercice ou un discours théorique et ésotérique. La population veut sentir les effets ici et maintenant.

2.3. Le réalisme de la bonne gouvernance.
De ce qui précède, on devrait conclure que le combat contre la corruption n’est qu’un leurre tant que l’Etat appauvri et subjugué demeurera lui-même si proche de l’informel ou que l’homme qui le gère ne se sentira pas, par dessus tout, l’artisan et le destinataire de la croissance économique.
L’efficience allocation des ressources financières ne doit en aucun cas considérer la promotion de la consommation comme une dépense improductive. Keynes lui-même, bien que catégorisé parmi les protagonistes de l’expansion de la demande, n’est pas moins un économiste de l’offre lorsqu’il encourage les investissements. Toutefois, il faut relever que le multiplicateur du revenu dont il parle n’est, en réalité, ni l’épargne ni l’investissement : c’est plutôt la propension marginale à consommer. Il en est de même de l’accélérateur des investissements dont parlent Clark et Aftalion. En somme, la bonne gouvernance repose, à notre avis, sur les préalables suivants :
n la remise en cause de la théorie économique qui a fondé jusqu'à ce jour le cadre de conception des politiques et programmes habituellement préconisés par les Institutions financières et monétaires internationales ;
n la reconstruction préalable de l’Etat, principalement par le renforcement de ce qui constitue le gage fondamental de sa souveraineté et de son indépendance, en l’occurrence, la monnaie ;
n le retour à la valeur - travail conformément aux principes classiques de combinaison des facteurs de production dans une économie donnée ;
n la reconsidération de l’homme au-delà de sa valeur quelconque comme facteur de production en faveur de sa dimension de l’être, propriétaire et mandant de la chose publique.
n La bonne gouvernance exige également que les mécanismes de pleine participation de la population dans les décisions des endettements actuels et futurs. Car, nous ne voulons pas laisser un poids de la dette inexplicable et non productive aux générations futures.

La bonne gouvernance ne doit pas se confondre avec l’impératif des équilibres budgétaires ou monétaires dans une économie de sous-emploi : ce serait un suicide collectif tel que l’impact est une série des effets pervers dont, notamment, l’aggravation de la pauvreté, le renforcement du Secteur informel, la dépravation des moeurs, l’insécurité généralisée, la déconfiture du tissus social avec, en tête d’affiche, la généralisation des maladies liées à la faim et la pandémie du VIH Sida.

En conclusion, comme le chômage et la pauvreté, le Secteur informel et l’insécurité multiforme sont, aujourd’hui comme hier, des fléaux communs à toutes les nations de la terre. La solidarité internationale, comme celle qui vous réunit aujourd’hui au chevet de la RDC, nécessite, pour un impact réel, plutôt le courage de la vérité dans l’analyse des problèmes qui concernent le fonctionnement des Etats et de leurs économies respectives. La mondialisation inéluctable suppose que chaque Etat se présente autour de la table commune avec toute son identité et sa souveraineté, à défaut desquelles, il devient le vecteur d’une crise systémique.

Comme les USA avec le dollar et l’Union européenne avec l’euro, la monnaie est, de tous les symboles de l’Etat, celui qui l’identifie le mieux et, plus que l’armée, lui confère la puissance.
Au cœur de l’Etat et de l’activité économique, figure l’homme comme cause et condition de succès de l’entreprise étatique.
Enfin, sur les socles qui précèdent, devra s’asseoir la bonne gouvernance inspirée par des politiques réalistes et adéquates afin que l’intégration dans le village global ne soit ni une violence ni une intrusion, mais plutôt l’aboutissement normal des mécanismes de solidarité entre les nations.

Pour terminer, l’aide que nous souhaitons recevoir doit plus nous mener à la transformation de notre potentiel de ressources naturelles en richesses réelles pour le bien-être individuel et collectif des Congolais . Nous avons de quoi sauver le monde : aidez-nous plutôt à le réaliser : il nous faut, certes d’avantage des investisseurs ; mais il est important de considérer deux cas de conscience suivants : Primo, le Tchad vient de démarrer, il y seulement un mois, l’exploitation de son pétrole avec un seul consortium. Sa production expérimentale est de 100 000 barils par jour, alors que le Congo dont l’exploitation remonte aux années 60, avec 5 consortiums on shore et off shore, n’a jamais dépassé 30 000 barils, plutôt, par mois. Secundo, l’Inde ne dispose plus d’aucun carat de diamant dans son sous-sol ; cependant, il réalise, chaque année, en moyenne, 4,5 milliards de dollars US de recettes d’exportation de ce produit. Comme pour dire, entre l’investissement et la réhabilitation des Institutions de l’Etat, il faut savoir distinguer ce qui urge.

L’enquête sur le pillage de nos ressources, diligentée par l’Organisation des Nations Unies, a démontré noir sur blanc que l’exploitation criminelle de nos ressources naturelles a rapporté aux pilleurs et à leurs complices plusieurs milliards de dollars. Ce pillage a été orchestré par des entreprises et des individus mieux identifiés par le rapport des experts des Nations Unies (multinationales, puissants groupes financiers et maffieux). Pour ce faire, nous réclamons que les mécanismes d’indemnisation et de compensation soient examinés, en vue de faire bénéficier au pays ce qu’il a perdu pendant la guerre.

Nous pensons également que notre pays a beaucoup perdu pendant la deuxième République de triste mémoire. Des richesses énormes ont été accumulées par nos anciens dirigeants, et doivent être déclarées comme des biens mal acquis. Il se fait que la plupart de ces biens et richesses sont gardés en occident, sous la protection d’un arsenal juridique savamment élaboré. La récupération de tous ces biens par l’Etat Congolais permettrait de réaliser une plus – value susceptible d’être investie pour le développement de notre pays. Nous voulons qu’un débat soit engagé dès à présent entre l’Etat Congolais et les Etats protecteurs.
Nous aimerions saisir cette opportunité pour demander que les nouveaux instruments juridico – économiques mis en place, à savoir le code minier, le code des investissements et le code forestier, ne soient pas considérés comme des instruments pour officialiser et formaliser le pillage de nos ressources, qui se faisait dans l’informel pendant la guerre. Un débat participatif devra être engagé sur ces instruments et des mesures d’accompagnement devront être prises, pour pallier aux faiblesses identifiées dans ces textes.

Enfin, nous voulons rappeler l’engagement pris par les pays les plus riches de la planète d’augmenter l’Aide Publique au Développement avec , en consacrant une partie de leur P.I.B., jusqu’à concurrence de 7 %.

Nous restons convaincus que notre pays ne tardera pas à décoller si tous les acteurs internes et externes s’investissent dans une gestion saine et équilibrée du potentiel qu’il regorge.

Veuillez croire, Chers participants aux travaux à l’expression de notre parfaite considération.

Fait à Kinshasa le 15 décembre 2003

POUR LE CONSEIL NATIONAL DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES DE DEVELOPPEMENT/ CNONGD

Félicien MALANDA NSUMBU RAMAZANI KABENGUA TATI

Secrétaire Exécutif Président du Conseil d’Administration