MEMORANDUM DE LA SOCIETE CIVILE SUR LES FINANCEMENTS EXTERIEURS DE LA RDC (suite)

LES RECENTES INTERVENTIONS DES BAILLEURS DES FONDS BILATERAUX ET MULTILATERAUX :
POLITIQUES, ECONOMIQUES ET EXIGENCES DE BONNE GOUVERNANCE
0. INTRODUCTION
L’Accord global et inclusif du 17 décembre 2002 qui a conduit à l’adoption de la Constitution de la Transition et à la mise en place d’un Nouvel Ordre Politique en R.D. Congo, mobilise tous les efforts, au plan politique, vers la consolidation de la paix et la réconciliation nationale. C’est un développement majeur dans la vie nationale pour la sauvegarde de l‘unité nationale et pour la concrétisation de la reprise de la coopération déjà amorcée par le Président de la République, S.E. Monsieur Joseph KABILA, depuis son avènement à la magistrature suprême.
Sur le plan économique, le pays a mis en place depuis 2002, le Programme Intérimaire Renforcé (PIR) qui a permis, statistiquement parlant, la maîtrise de l’inflation et la stabilisation du cadre macro-économique, conditions recherchées pour relancer la coopération notamment avec les Institutions de Bretton Woods, l’Union Européenne, la Banque Africaine de Développement et diverses agences étrangères de financement de développement (DFID, USAID, DGCI etc.). C’est sur cette même lancée que la récente réunion des partenaires de la RDC, tenue à Paris du 17 au 19 Décembre 2003, a débouché sur l’allocation, à notre pays, des ressources financières conséquentes pour la réalisation de ses programmes économiques.
Cependant, sur le plan social, tous ces programmes économiques, malgré leurs performances statistiques, n’ont pas eu d’effets escomptés au niveau de la population. Cela se traduit par des multiples mouvements de grèves dans divers secteurs de la vie nationale, la dégradation du système éducatif et sanitaire, la détérioration et de l’environnement et des infrastructures de communication, les pénuries incessantes et généralisées d’énergie électrique, l’accroissement de la dépendance alimentaire etc.
C’est au regard de cette situation dramatique et dangereuse qui ronge le pays que la société civile, sous l’impulsion du Conseil National des ONG de Développement (CNONGD), dans sa mission d’éclairer la population mais aussi en sa qualité de partenaire du Gouvernement, a organisé des « Journées de réflexion sur l’opportunité et l’efficacité des Financements Extérieurs à la RDC », au regard des indicateurs socio-économiques alarmants.
Cette profonde réflexion, qui a eu lieu en la salle paroissiale de Fatima du 12 au13 janvier 2004, a connu la collaboration des experts de tous les horizons et de beaucoup d’autres acteurs de la Société Civile en général. Elle a bénéficié d’un indispensable éclairage de l’expertise dont notre pays en général et notre société civile en particulier regorgent, notamment sur les aspects suivants :
1. Nature et finalité de récentes interventions financières des bailleurs multilatéraux, thème développé, au nom du Gouvernement, par M. MATONDO, Directeur technique au BCECO (Bureau Central de Coordination) ;
2. Bilan de la coopération financière de la RDC avec ses principaux partenaires, thème développé par le professeur MUBAKE MUMEME; spécialiste Economie publique ;
3. Problématique de la gestion de la dette extérieure de la RDC, thème développé par le professeur KABEYA TSHIKUKU; spécialiste en Economie du Développement ;
4. Financement du développement : avec quel système bancaire et quelle politique monétaire ? thème développé par M. Michel NSOMUE, expert en Economie monétaire ;
5. DSRP et Accord de Cotonou : liens et défis pour une croissance pro-pauvres, par Georges TSHIONZA MATA, journaliste économique.
I. CONSTATS ET ANALYSE SUR LES FINANCEMENTS EXTERIEURS DE LA R.D.CONGO.
A la lumière des présentations faites par les experts ci-haut cités, le débat entre participants a permis de dresser le constat et l’analyse de différents programmes économiques du Gouvernement de la R.D.Congo qui se résument en ceci :
1.1. L’Etat congolais ne dispose pas d’une politique économique cohérente et précise à court, moyen et long terme telle qu’on peut s’en rendre compte de par l’absence de :
n la politique d’investissement ou même de simple réhabilitation des capacités productives dans les secteurs qui concernent le mieux les domaines prioritaires de l’économie nationale ( agriculture délaissée, manufacture pillée, infrastructures délabrées,...) ;
n la politique d’emploi ou de gestion efficace des capacités humaines comprenant aussi bien la formation que l’affectation judicieuse des ressources ou compétences humaines ;
n la politique des revenus qui devrait prendre en compte principalement le rôle de la consommation tant publique que privée dans la promotion des investissements et de l’harmonie sociale.
Bref, la gestion des variables économiques endogènes en vue de la régulation efficace des dysfonctionnements du marché intérieur ou de l’équilibrage des rapports de force avec nos partenaires extérieurs ne transpire nulle part dans la politique économique du Gouvernement. En conséquence, la multiplicité des programmes de gestion du cadre macro-économique ( PIR, PEG, PIP, PNURC, PMURR, PIN,...) en l’espace de trois ans, nonobstant l’importance des ressources d’appui financier qu’ils ont drainé s’est plutôt accompagnée de la diminution annuelle de la consommation de 4,2 % par tête, de l’emploi de 7,5 %, de la bonne gouvernance de 3,0 %, du revenu journalier par tête d’habitants qui est tombé à moins de 0,20 dollars US alors que l’écart entre pauvres et riches s’est élargi de 18,9 % par an.
1.2. L’Etat ne dispose pas d’une politique responsable de gestion de la coopération financière telle que l’attestent les faits suivants :
n la faiblesse de la capacité de négociation des Accords conduisant le pays dans des programmes inspirés, contrôlés, voire, gérés par l’expertise étrangère, dans des financements qui appauvrissent davantage la population sans financer le pays, dans des contrats léonins notamment basés sur des choix technologiques inadaptés et l’accroissement de l’endettement extérieur, l’absence de critères fixés par le Gouvernement en rapport avec les intérêts de la population,...
n la faiblesse de la coordination de différents programmes telle que corroborée par les improvisations dans les interventions économiques, le recours, par la Banque mondiale, à des Bureaux d’études extérieurs pour la conception des programmes à contenu mitigé,
n la faible capacité d’absorption des ressources engagées notamment dans le cadre du Fond Fiduciaire, du Programme Intérimaire renforcé, du Programme d’Investissements Publics Prioritaires, du Programme national d’Urgence de Renforcement des capacités, du Programme Multisectoriel d’Urgence, de Reconstruction et de Réhabilitation, du Programme Indicatif National,...
n la gestion insuffisante du problème de la dette extérieure, notamment, dans le suivi de la matérialisation de notre accès au point de décision de PPTE, la mauvaise évaluation de la charge annuelle de remboursement au cas même où nous pourrions accéder au point d’achèvement PPTE, l’absence d’une attitude conséquente à l’égard des responsables de cet endettement et de tous les autres prédateurs de l’économie nationale ;
n le manque de transparence dans la gestion et la non prise en compte des intérêts de la collectivité notamment par le blocage du cadre de concertation et de dialogue national entre les acteurs non-étatiques, le Gouvernement et les bailleurs des fonds, l’absence de la Société civile au niveau de la conception, de l’élaboration, de l’exécution et de l’évaluation des programmes, la faiblesse du pouvoir de contrôle parlementaire,...
Bref, la R.D. Congo croupira encore longtemps sous le poids de la dette extérieure avec une charge annuelle toujours insoutenable tandis que le recours aux nouveaux emprunts rendra toujours et de plus en plus aléatoire son contrôle par le Parlement tout en renforçant la mainmise des agences des Institutions financières internationales sur les dépenses publiques.
1.3. La R.D. Congo n’a pas de politique monétaire appropriée et responsable ni pour bâtir une économie nationale viable ni pour assurer une coopération financière efficace. Au contraire, elle entretient des paradoxes suivants :
n l’absence de la monnaie nationale dans les principaux circuits de la vie économique, au profit de monnaies fictives ( Franc fiscal ) ou étrangères ( dollar US et Euro);
n l’absence du fondement de la gestion de la masse monétaire, c’est-à-dire, de ses agrégats, en vue de la poursuite des objectifs clairs comprenant la lutte contre l’inflation (M1), la mise en place d’une infrastructure financière opérationnelle (M2) et la recherche de la croissance économique (M3) ;
n l’absence d’instruments efficaces de gestion interne des flux des capitaux en vue d’assurer la disponibilité et la fluidité de l’épargne interne ainsi que la « tropicalisation » des aides extérieures pour leur intégration efficace aux objectifs de la balance des paiements ;
n la répression de la demande intérieure par la compression continuelle de la masse monétaire accentuant l’extraversion nocive de l’économie nationale, l’exclusion des investisseurs et consommateurs nationaux dans l’activité économique ainsi que la corrélation directe et étroite entre plus de croissance et d’avantage de pauvreté.
II. RECOMMANDATIONS
2.1. Recommandation générale
Toutes les politiques économiques ( investissement, revenu, emploi,...), financières (budget, coopération internationale,...) et monétaire ( émissions monétaires, crédit, change et supervision des intermédiaires financiers) souffrent gravement de l’absence d’une infrastructure financière qui devrait la première faciliter la mise en place effective d’une économie nationale. A cet égard, nous préconisons la re-fondation de l’Etat dans le circuit économique et notamment la prise en charge de ses obligations suivantes :
n la mise en place du Cadre incitatif adressé explicitement aux investisseurs nationaux, c’est-à-dire, un ensemble de dispositif légal en faveur de l’investissement national à l’instar des actuels Codes des Investissements, Miniers, Forestiers ... qui sont plutôt conçus en faveur des investisseurs étrangers. Ce dispositif doit tenir compte du niveau de pouvoir d’achat local, des besoins de la promotion de la consommation intérieure et de la nécessité d’assurer la promotion de l’utilisation de la monnaie nationale dans l’essentiel de la vie économique de notre pays ;
n la mise en place du Cadre de protection des investissements nationaux contre le bradage et le dumping pratiqués par les étrangers sur le marché intérieur en tenant compte, notamment, des subventions accordées aux entreprises étrangères dans leurs pays d’origine et de la qualité des produits qu’ils déversent sur notre marché, à l’instar des chinchards qui empêchent la pêche locale ou des déchets de charcuterie importés chez nous au détriment de l’élevage sain. Cette protection devrait se traduire notamment par le choix des secteurs et des sites d’investissement à imposer aux étrangers, la sélectivité des tarifs douaniers, ...
n la formation de la conscience nationale à travers les programmes d’enseignement et la stimulation de la création des centres de formation spécialisée au regard de la spécificité de notre économie. Il s’agit, par exemple, dans le premier cas d’inscrire, à l’Université, au sein de la Faculté des Sciences Economiques, le cours d’ « Histoire Economique du Congo » qui n’a jamais figuré au programme, et, dans le second cas, de former des agents spécialisés dans la taille du diamant ou dans le traitement des produits de café, ... pour en stimuler la consommation intérieure.
2.2. Recommandations spécifiques
2.2.1. Considérant le problème de politiques économiques, financières et monétaires, nous recommandons les mesures suivantes :
n la restructuration profonde de la Banque Centrale et de sa politique monétaire susceptible de (1) doter ce pays d’une monnaie réellement nationale, disponible et liquide, au lieu des monnaies fictives ou étrangères qui prédominent actuellement comme moyens de paiement dans l’activité économique ; (2) viser l’équilibre optimal entre la demande et l’offre de la monnaie en fonction des objectifs de gestion de la masse monétaire dans la lutte contre l’inflation (M1), dans l’instauration de la culture financière (M2) et dans la recherche de la croissance économique(M3) et (3) adapter les objectifs de la politique monétaire aux besoins de l’économie nationale y compris pour la tropicalisation des aides extérieures ou tous autres flux des capitaux étrangers qui ne sont que des résultats de politiques monétaires en vigueur dans les pays d’origine appelant du répondant dans les pays de destination.
n la redéfinition de la loi bancaire pour permettre non seulement l’émergence ou la création des banques à capitaux nationaux mais surtout un redéploiement de celles-ci en faveur de la promotion de l’activité productive et une culture de crédit qui rapproche le banquier de tout potentiel d’entreprise à l’exemple des « loan officer » en Inde. Il s’agit de remplacer les actuels « guichets » des banques étrangères par de vrais intermédiaires financiers couvrant l’espace national et de remplacer également leurs fonctionnaires « bureaucrates » par les « Messieurs Crédit » qui ont le flair d’identifier et d’encadrer toute opportunité d’investissement.
n la mise en place d’un cadre d’émergence du « marché financier » en tant que cadre concurrentiel de l’activité bancaire léthargique et incitatif des mécanismes de financement desintermediés pour offrir au potentiel d’investisseurs une variété de choix des mécanismes prenant en compte les aspects de rentabilité, de crédibilité et de prévisibilité pour une réelle économie de marché solidement assise sur le socle d’un système de paiements adéquat.
2.2.2. Concernant le problème spécifique de la dette extérieure, nous recommandons :
n l’annulation pure et simple de la dette antérieure étant donné que même au point d’achèvement, elle restera insoutenable alors que les principaux créanciers en ont déjà tiré de larges profits au détriment des intérêts vitaux de la population locale ;
n le renforcement des mécanismes de contrôle et d’évaluation de nouveaux financements par le Parlement et par des Organismes spécialisés de la Société civile ;
n la restitution au Ministère du Plan de ses prérogatives exclusives en matière de coordination des ressources extérieures et de planification des programmes nationaux en lieu et place des fax des capitales occidentales ;
n l’implication des experts de la Société civile dans les négociations de prochains accords de financements.
2.2.3. Concernant la transparence, la prise en compte effective des intérêts de la population et la garantie de bonne gouvernance de l’Etat, nous recommandons plus d’implication de la Société civile, notamment, par :
n la remise en force du Cadre de concertation tripartite tel qu’il avait fonctionné à la suite de l’ordonnance n°0013 du 17 mai 1996 portant création et organisation du Comité de Politique Economique et Sociale en sigle « CEPES » et fut actualisé par le décret n°008/01 du 23 février 2001 portant création du Cadre Permanent de Concertation Economique en sigle « CPCE » ;
n le respect de l’esprit et de la lettre de l’Accord global et inclusif et de la Constitution pour une cohabitation sans heurts de différentes composantes et institutions au sommet de l’Etat ;
n le renforcement des capacités des acteurs de la Société civile notamment par l’accès de celle-ci aux ressources du 9eme FED et aux autres facilités non encore élucidées dans le cadre de l’actuel financement des multibailleurs qui se sont réunis à Paris du 17 au 19 Décembre 2003.
Fait à Kinshasa, ce 27 janvier 2004
Pour la Société civile de la R.D.C.
Les Participants

III. CONCLUSION :
En conclusion, la Société Civile estime que pour un choix à faire entre le renforcement de la politique monétaire interne et le recours à la coopération financière extérieure, l’expérience du passé et le paysage du moment arguent en faveur de la mise en place d’une politique monétaire responsable. Cette recommandation fondamentale déjà formulée il y a près de 30 ans par l’Association des Banques Centrales Africaines réunies en séminaire sur la même question est restée, à ce jour, lettre morte alors que le diagnostic qui y avait conduit est plus que d’actualité. La conscience nationale passe par le renforcement des institutions internes dont la Banque Centrale, d’après la SADEC, est le socle qui doit polariser l’attention des responsables de tous bords dans son fonctionnement.
Dépôt légal n°10.121-92 3ème Trimestre
Copyrigth CNONGD