SEMINAIRE-ATELIER SUR « LE DROIT A UN PROCES EQUITABLE EN RDC : MYTHE OU REALITE ? » au Centre d'Accueil Kimbaguiste
Rapport général
La justice congolaise souffre actuellement de plusieurs maux, dont l’un des plus caractéristiques semble être son incapacité à protéger convenablement les citoyens faibles, les gagne-petits. On a de plus en plus l’impression qu’elle se présente comme un instrument au service des plus forts, des nantis, dont la raison est toujours la meilleure. Devant un tel constat, peut-on encore affirmer que les Congolais jouissent effectivement du droit à un procès équitable consacré par de nombreux instruments juridiques ? Si non, qu’est-ce qui a bien pu conduire à une telle dérive ? Et quels remèdes peut-on y apporter pour permettre l’éclosion d’une justice efficace et égale pour tous ?
Pour répondre à ces questions, le Conseil National des Organisations Non Gouvernementales de Développement du Congo (CNONGD) a organisé, en partenariat avec le Programme de Sensibilisation des Citoyens à la Justice de la Fondation Konrad Adenauer, un séminaire-atelier sur le thème : « Le droit à un procès équitable en RDC : mythe ou réalité ? ».
Destiné à 100 personnes choisies en fonction de leur intérêt pour les questions de justice et de bien-être individuel et collectif, ce séminaire-atelier s’est tenu du 27 au 29 septembre 2004 au Centre d’Accueil Kimbanguiste de Kinshasa, et s’est assigné les objectifs spécifiques ci-après :
- interpeller et rappeler aux citoyens congolais la nécessité d’une justice égale pour tous, sans laquelle il est impossible de parler d’un Etat moderne ;
- déterminer le rôle et la responsabilité des acteurs de la société civile dans l’éveil de conscience de la population pour l’avènement d’un Etat de droit ;
- relever les attentes de la population vis-à-vis des opérateurs judiciaires ;
- sensibiliser l’opinion publique sur les méfaits d’une justice mal rendue.
Pour atteindre ces objectifs, les organisateurs ont eu recours à des conférenciers retenus pour leur expertise et leurs qualifications, et dont les exposés, suivis de débats riches et nourris, ont pour ainsi dire balisé le chemin pour des travaux de réflexion en ateliers.
Mais auparavant, les participants ont eu à suivre le mot de bienvenue de Madame Jeanne Mujing, Secrétaire Exécutif a.i. du CNONGD et l’allocution de Monsieur Ingo Badoreck, Représentant Résident de la Fondation Konrad Adenauer en RDC, Superviseur du PSCJ.
Dans la conférence inaugurale, intitulée « Lutte contre l’impunité et Etat de droit en RDC », le Professeur Ngoma-Binda est parti du postulat selon lequel il n’est pas possible de stabiliser et de développer une nation sans l’instauration de l’Etat de droit, notamment par une lutte acharnée contre l’impunité, voie d’enlisement des nations et des peuples dans la misère. Par Etat de droit, a-t-il souligné, il faut entendre celui qui est caractérisé par la primauté du droit, la négation d’un espace désordonné où règnent l’injustice, le désordre social, l’immoralité ainsi que la loi du plus fort. Un tel Etat est essentiellement constitué des éléments suivants :
- des lois prédéfinies, stables, échappant à la libre volonté de quiconque voudrait les modifier à son profit personnel, et s’imposant à tous ;
- des lois justes, tenant compte des aspirations et de la volonté éclairée de la population concernée ;
- un corps de magistrats indépendants, capables de trancher les litiges avec intelligence, sagesse et intégrité morale ;
- l’application rigoureuse de la loi et l’exécution correcte des décisions judiciaires ;
- la démocratie, qui implique la vertu morale.
La RDC, pays en transition vers la démocratie, n’est évidemment pas encore un Etat de droit, et notre système judiciaire fonctionne jusque-là dans des conditions qui ne permettent pas à ses acteurs de jouir de l’indépendance morale que requiert une bonne administration de la justice. Ce qui favorise l’impunité dont jouissent surtout les criminels économiquement et politiquement forts. Et on peut craindre, avec raison, que le contexte actuel de la transition, qui veut promouvoir la réconciliation et l’amnistie, ne favorise davantage cette impunité. Néanmoins, le pays s’efforce de se doter d’instruments de lutte contre l’impunité, à l’instar de la Commission Vérité et Réconciliation, mécanisme non juridictionnel de lutte contre l’impunité, dont l’orateur a décrit la mission, les attributions et les compétences. Il a insisté sur le fait que, dans le cadre de cette lutte, et en dépit de l’amnistie et de la réconciliation qu’elle promeut, cette institution d’appui à la démocratie dispose d’une sanction comportant deux formes principales : la contrainte à dire la vérité et l’obligation de réparation.
Tout en appelant les participants à ne jamais tarir de créativité pour concevoir constamment de nouvelles stratégies de lutte contre l’impunité, qui est une lutte permanente, il a relevé trois pistes qui, à ses yeux, peuvent permettre une lutte plus efficace contre ce fléau : - la détermination à créer un système politique véritablement démocratique ; - la responsabilisation radicale des individus et collectivités à la base, à travers notamment le fédéralisme, pour la promotion de l’autorégulation des libertés et de l’autodiscipline ; - la création d’une Cour Africaine de Justice.
La communication donnée par Monsieur Jean-Louis Esambo a eu pour thème : « Les droits des justiciables et le fonctionnement de la justice en RDC ». Après avoir rappelé que tout justiciable est titulaire d’un certain nombre de droits garantis par la loi, et après avoir indiqué que le fonctionnement de la justice doit être entendu comme la manière dont celle-ci est rendue, l’intervenant a axé son propos sur trois points principaux.
Il a commencé par un bref aperçu de l’organisation judiciaire congolaise, en se focalisant sur les juridictions civiles, à l’exclusion de celles militaires. Il s’est ensuite attelé à recenser les droits des justiciables dans la procédure pénale congolaise, en distinguant les droits se rapportant à la phase pré-juridictionnelle de ceux relatifs à la phase juridictionnelle. A ce sujet, on a noté que pendant l’instruction pré-juridictionnelle, le plaignant a droit à la gratuité de la justice, à l’assistance d’un avocat ou un défenseur judiciaire de son choix, à être informé de la suite réservée à son dossier ; tandis que l’inculpé est titulaire, entre autres, des droits à la vie et à l’intégrité physique, à la présomption d’innocence, à connaître les motifs de son arrestation, et bien d’autres droits. Pendant l’instruction juridictionnelle, les justiciables doivent bénéficier de l’égalité devant la loi et d’une égale protection des lois. Ils bénéficient aussi, sous certaines conditions, du droit de recevoir de la visite et de correspondre avec l’extérieur lorsqu’ils sont détenus.
Poursuivant son analyse, Monsieur Esambo a indiqué comment, sur le plan théorique, devrait fonctionner la justice, et comment devraient se comporter les opérateurs judiciaires. Mais dans la réalité des faits, le fonctionnement de la justice congolaise se heurte à de nombreux obstacles qui gênent son déploiement optimal, et les personnes chargées de distribuer la justice sont souvent citées comme auteurs de violations des droits de l’homme. Il a ainsi émis le souhait de voir les opérateurs judiciaires s’efforcer, malgré les conditions difficiles de travail, de rassurer ceux qui leur soumettent des différends et de faire leur travail dans les règles et procédures établis par les textes.
La communication du professeur Luzolo a porté sur « l’administration de la justice en RDC face aux exigences de la justice internationale ».
L’intervention a été focalisée sur le statut de Rome, qui a institué la Cour pénale internationale. Les effets de ce nouvel ordre juridique international, dont l’incidence peut paralyser l’ordre politique congolais sont notamment :
- la responsabilité pénale individuelle des chefs de guerre ainsi que de leurs exécutants ;
- l’imprescriptibilité qui veut que les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale ne s’éteignent pas par suite de l’écoulement d’un certain laps de temps ;
- la subsidiarité ; principe qui oblige les Etats à engager les poursuites en premier et que la Cour pénale internationale ne peut intervenir que lorsque les Etats sont défaillants ;
- le défaut de pertinence de la qualité officielle ; principe selon lequel le statut de la Cour pénale internationale s’applique à tout le monde de la même façon sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle.
Peuvent être déférés devant cette cour, tous les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et, plus tard, le crime d’agression commis à partir du 1er juillet 2002, date de son entrée en vigueur.
Si tout cela est clair sur le plan des principes, il y a pourtant des difficultés pour la RDC Aujourd’hui, notre pays se trouve à la croisée de deux justices : une justice interne et une justice internationale obligée de venir à la rescousse de la justice interne. La loi d’application du statut de la Cour pénale internationale tarde à être adopté par le Parlement.
Monsieur Dieudonné Nzuzi Phukuta a, quant à lui, axé son exposé sur une interrogation hautement existentielle : « Quelle justice pour la lutte contre la pauvreté en RDC ? ». Avant de répondre à cette question, il a commencé par indiquer que la justice, entendue comme l’ensemble des cours et tribunaux, leurs activités et les différents secteurs auxquels s’appliquent ces activités, peut et doit participer, à côté d’autres institutions de l’Etat et dans l’Etat, à la lutte contre la pauvreté. A son sens, lutter contre la pauvreté en RDC équivaut à faire en sorte que la pauvreté matérielle, culturelle, et surtout spirituelle, cède la place à une richesse non pas individuelle, mais nationale, et que cette richesse ainsi créée puisse être conservée et rendue accessible à toutes les personnes méritantes par l’effet de leurs prestations au bénéfice de la nation.
Pour l’orateur, la stratégie principale pour la création de la richesse nationale, accessible à tous, est le travail assidu, organisé et inlassable, devant impliquer tous les Congolais et devant concerner tous les domaines de la vie.
La justice participera au processus de création de cette richesse par son déploiement concret, c’est-à-dire par la manière dont elle est concrètement rendue. Son rôle consistera, à cet effet :
- à éduquer la population au travail productif, notamment par le biais de la répression des infractions attentatoires à la création des richesses et par d’intenses actions de prévention de tels comportements ;
- à sauvegarder la paix publique, sans laquelle aucune activité de création de richesses n’est possible ;
- à assurer le respect du droit par tous en assainissant, par des actions rigoureuses et courageuses, les mœurs politiques ; en inquiétant ceux qui se comportent mal pour décourager toute tentative de récidive ou d’imitation ;
- à renflouer les caisses de l’Etat et à vérifier que les fonds produits par son travail ne soient pas détournés.
Pour arriver à assumer ce rôle, la justice de lutte contre la pauvreté doit être scientifique, démocratique, apolitique et non mercenaire, modérée et spécialisée. Elle suppose, en outre, que les détenteurs du pouvoir politique acceptent de payer le prix de la justice, que les justiciers évitent la corruption et la cupidité, que les justiciables soutiennent la bonne administration de la justice et s’impliquent dans la lutte pour l’instauration de la démocratie en RDC, notamment à travers le processus électoral. Il faut que tous les citoyens cultivent la « rationnélité » qui culmine dans le souci constant de plus de vie et de bien-être pour tous et pour chacun. En définitive, seule une justice rationnelle peut participer avec toutes les autres individualités et instances de et dans l’Etat à la lutte contre la pauvreté ou à la création des richesses nationales.
La dernière communication, celle de Madame Marie Mossi, a tourné autour de la dialectique entre la justice et les droits de l’homme en RDC.
La prémisse dont l’oratrice est partie est que le pouvoir judiciaire dans notre pays n’a jamais joué le rôle de régulation que lui reconnaissent les textes juridiques fondamentaux et n’a jamais été réellement indépendant vis-à-vis des autres pouvoirs, à telle enseigne qu’il ne sait pas bien remplir sa mission de dire le droit. Sa dépendance à l’égard du pouvoir exécutif se manifeste aussi par l’insuffisance de ressources financières, matérielles et humaines. Ce qui est à la base de graves violations des droits de l’homme dans nos juridictions.
L’intervenante a ensuite passé en revue plusieurs normes internationales adoptées par les Nations-Unies en matière de justice. Ces normes se répartissent en normes relatives : aux conditions de détention ; à la torture et aux mauvais traitements ; aux disparitions et aux exécutions sommaires ou arbitraires ; au rôle des Barreaux ; à la protection des mineurs ; ainsi qu’aux mesures de substitution à la détention provisoire.
Elle a conclu en disant que pour qu’il y ait effectivement respect des droits de l’homme dans notre pays, la justice devrait jouer un rôle primordial qui va dans le sens d’assurer, d’une manière indépendante, l’application des textes nationaux et internationaux relatifs à ces droits. Une action concertée est également nécessaire entre tous les acteurs de la société pour arriver à mettre fin aux violations des droits de l’homme perpétrées par les opérateurs judiciaires.
A l’issue de ces communications, les participants ont réfléchi en profondeur et avec enthousiasme, en ateliers, autour de quatre thèmes retenus par les organisateurs sur base des préoccupations principales qui se sont dégagées des exposés et des débats. A partir des rapports de ces ateliers, qui ont été adoptés après des débats très enrichissants et très animés, des résolutions et recommandations forts intéressantes ont sanctionné leurs réflexions.
Au titre des résolutions, les participants se sont engagés à :
- sensibiliser les victimes des violations massives des droits de l’homme à se pourvoir devant les instances judiciaires, et notamment devant la Cour pénale internationale ;
- revendiquer, par toutes formes de manifestations pacifiques, le respect des lois et procédures par les opérateurs politiques et judiciaires ;
- encadrer la population à travers les associations de base (églises, partis politiques, ONGD, ONGDH, ordres professionnels) ;
- refuser et dénoncer la corruption ;
- exiger la transparence dans l’utilisation des fonds provenant de l’étranger et destinés au peuple ;
- organiser des journées portes ouvertes pour permettre à la population de s’imprégner des notions de droit et des réalités judiciaires ;
- créer des comités de plaidoyer social dans lesquels on trouverait des para-juristes appelés à accompagner la population dans la défense de ses intérêts ;
- former et informer la population sur les notions de droit en général et d’amnistie en particulier ;
- Sensibiliser les citoyens à la justice par les médias ;
- Mener des actions tendant à impliquer le peuple dans l’essor d’un procès équitable par des mouvements de masse, par exemple.
Les participants ont en outre formulé les recommandations suivantes :
- Que le gouvernement inscrive à l’ordre du jour le projet de loi d’application du statut de Rome en RDC à déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale pour garantir l’avènement de la justice internationale dans le pays ;
- Que le parlement adopte une loi garantissant les privilèges et immunités inhérents au statut de la Cour pénale internationale pour assurer la sécurité de ses membres ;
- Que les pouvoirs publics et les ONG vulgarisent les textes de lois dans les langues nationales et recyclent le personnel judiciaire ;
- Que les pouvoirs publics améliorent les conditions de travail et de vie des agents de l’administration publique en général et judiciaire en particulier afin d’éviter que les décisions soient monnayées
- que le corps judiciaire fournisse des efforts pour affirmer son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs, exécutif et législatif, notamment par le syndicat des magistrats ;
- que les pouvoirs publics instaurent des cours élémentaires de droit et des droits de l’homme dès le troisième degré de l’école primaire ;
- Que le peuple milite énergiquement pour la mise en place des institutions réellement démocratiques par voie électorale ;
- Que la nouvelle Constitution dispose que l’indépendance de la magistrature est garantie par la Constitution et non par le Chef de l’Etat ;
- Que les pouvoirs publics suppriment l’inspectorat des services judiciaires ainsi que le visa des présidents des juridictions sur les jugements ;
- Que la Constitution prévoient des mécanismes susceptibles de garantir efficacement le respect strict du principe de séparation des pouvoirs ;
- Que les pouvoirs publics accroissent les effectifs des opérateurs judiciaires et rééquilibrent ceux-ci sur le territoire national avec parachèvement de l’installation des tribunaux de paix et création de tribunaux de grande instance à chaque niveau d’importance dans les milieux reculés ;
- Que les pouvoirs publics veillent à la promotion des magistrats conformément aux critères d’excellence et à l’initiation de ces derniers aux valeurs éthiques , notamment avec une formation intense des OPJ, APJ et greffiers;
- Que les pouvoirs publics révisent la loi portant statut des magistrats et celle régissant le Conseil supérieur de la magistrature ;
Compte tenu de la qualité des participants, il va sans dire que ce séminaire-atelier a été très riche en partage pour chacun d’entre eux et a été jugé d’une très grande utilité pratique. Tous ont été unanimes sur le fait que des occasions de ce genre doivent être multipliées et élargies à un plus grand nombre encore si nous voulons que notre justice soit bien administrée et que le droit à un procès équitable ne demeure pas un mythe dans notre pays. Tous se sont manifestement réjouis d’avoir pu prendre part à ces journées de partage. Cette joie a aussi été ressentie par les organisateurs dont la tâche a été rendue facile par la discipline, la sagesse et la soif manifestée par les participants de se former et de s’informer.
Notre vœu est que le grain qui a été semé à l’occasion de ces assises, au travers notamment des admirables résolutions et recommandations, puisse rencontrer une terre fertile, germer, fleurir et donner du bon fruit pour le plus grand bonheur de l’ensemble du peuple congolais.
Nous vous remercions
Kinshasa, le 29 septembre 2004,
Les participants

