QUE FAUT-IL SOUHAITER A LA DAME DE BRONZE ?
Cette femme-là !
Désespérément seule sur la place de la Justice
Cette dame de bronze
C’est l’éternelle pleureuse de Kinshasa
Elle pleure en silence
Elle pleure dans l’indifférence générale
De quoi se plaint-elle ?
Cette femme-là !
Désespérément seule au beau milieu du trafic urbain
Cette dame de caractère austère
C’est l’éternelle pleureuse de Kinshasa
Elle se plaint en silence, sans bruit.
Elle se plaint depuis des décennies
De quoi se plaint-elle ?
Elle est là depuis l’aube épique
Assise à même le sol
Tête basse, dos courbé, jambes croisées
Figée !
Elle est figée dans cette désespérante posture
Exposée !
Elle est là, dehors, exposée aux intempéries,
Aux cataclysmes
Aux regards
Aux louanges et aux sarcasmes
Elle est là depuis plusieurs décennies
Assise sur un socle
Front dirigé vers le bas, buste caché, regard éteint
Insensible !
Elle semble insensible aux flux et reflux des limousines chromées de Kinshasa
Imperturbable !
Elle semble imperturbable aux bruits et faux-bruits de Kinshasa
Emue !
Il faut être borgne, myope ou atteint de cécité
Pour ne pas percevoir son émotion
En effet, une vive émotion secoue la fibre de son être
Une vive émotion la traverse de la tête aux orteils
Que s’est-il passé ?
Sous le coup de l’émotion, cette femme s’est effondrée
Mais elle a réussi à amortir sa chute
Son train arrière est sagement posé sur le socle
Sa jambe droite est restée couchée parce qu’elle n’a pas su la récupérer à temps dans son mouvement d’effondrement
Mais, dans une tentative réussie, elle a su maintenir sa jambe gauche sous contrôle
Permettant à son bras droit de se fixer sur son genou gauche
Offrant ainsi à sa tête la possibilité de se poser en douceur sur le pilier ainsi formé
Même si son bras gauche ne repose sur aucun support donnant l’impression
Que son équilibre n’est pas totalement atteint
Malgré cela, on se rend bien compte
Qu’elle est finalement parvenue dans un effort héroïque
A contrôler de façon superbe la chute de son être
Et, puis !
Et puis, elle semble porter dans son cœur, un cahier
Un cahier de plaintes, de doléances, de revendications
Mais comme personne ne veut prendre ce cahier au sérieux
La voilà abattue, désespérée, émue
Son cœur saigne, ses jambes n’ont plus de force, elle a le vertige
Elle ne veut pas rentrer à la Cité avant d’avoir obtenu gain de cause
Voilà qui justifie sa posture presque effondrée
N’eussent été son courage héroïque, sa gracieuse majesté, son énergie interne
Et si elle était sans gêne, sans pudeur, ni dignité
Elle se serait étalée de tout son long sur la place publique
Cette femme-là !
Assise au beau milieu d’un Rond-point
Cette Dame de bronze n’est pas une abstraction, une utopie, une illusion
Elle est une créature de chair et de sang
Cette Dame de bronze incarne un idéal, un projet, une valeur
Elle est porteuse d’un message
Message d’ « Amour » peut-être,
Ou d’autre chose de typiquement féminin
Au même titre que Miss Liberty qui, brandissant la flamme de la Liberté
Se veut porteuse d’un message,
Message de « Liberté »
Au même titre que Diane, Jeanne d'Arc et bien d'autres.
En ce mois de Mars dédié à la « Femme », que faut-il souhaiter à la Dame de bronze de Kinshasa ?
Souhaitons qu’après son émotion, elle puisse relever le front
Se mettre debout, et reprendre sa route.
Souhaitons aussi qu’en ce Vingt-unième siècle son « cahier » soit pris au sérieux.
Oui, aujourd’hui, cette femme est assise, prostrée, inconsolable.
Aujourd’hui cette femme est une éternelle pleureuse,
Désespérément seule dans Kinshasa.
Demain, elle sera debout, lavée de tout soupçon, pétillant de joie.
Demain, elle ne sera plus seule, elle sera entourée par d’autres héroïnes,
D’autres Dames de bronze ou de pierre, éparpillées
A travers les vingt-quatre communes de Kinshasa.
Demain, elle sera visitée, congratulée, coiffée, maquillée, célébrée avec fanfare
Et couverte de fleurs et de baisers à chacun de ses anniversaires.

