LES PYGMEES DE MAMBASSA :SITUATION GENERALE ET INCIDENCES DES GUERRES SUR LEUR SURVIE. SYNTHESE DE L’ENQUETE

Dans la partie Nord –Est de la RDC, une des conséquences néfastes des conflits armés et de l’état de guerre survenu au pays, de 1997 à 2003, est la perturbation violente du processus d’intégration des peuples autochtones à la vie moderne ainsi que la détérioration de la promotion de leurs droits fondamentaux.
Pour amorcer la relance de cette promotion et la valorisation des droits des pygmées, catégorie des populations négroïdes victimes de toutes formes de discriminations, l’ONG ESPOIR POUR TOUS a mené, du 24 mai au 08 juin 2007, une enquête dans 4 secteurs du District de l’ITURI, territoire de Mambassa, tirés au hasard parmi les 7 secteurs composant cette entité politico-administrative. Il s’agit des secteurs de MAMBASSA, BOMBO, BABOMBI et WALESE KARO.
Avec 22 enquêteurs formés et repartis en 7 équipes, ESPOIR POUR TOUS a administré son questionnaire sur un échantillon de 700 sujets dans 22 groupements sur 27 qui constituent le territoire de MAMBASSA.
Les unités statistiques composant cet échantillon dérivent des agents de l’Administration Publique, des Intervenants de la Société civile et des populations Pygmées elles-mêmes.
Les résultats de la pré enquête, réalisée du 10 au 12 mars 2007 à Bunia et Mambassa avec un échantillon de 30 sujets, tirés au hasard, avait permis de modifier l’instrument et la procédure de collecte des données.
Le questionnaire d’enquête était centré sur plusieurs aspects afin de réunir des données utiles cernant la situation globale et multisectorielle de la vie des Pygmées.

I. Dans le domaine politique

Espoir Pour Tous a ciblé notamment :
- La participation des Pygmées à la vie politique
- Le niveau d’organisation des Pygmées pour la défense de leurs droits
- L’implication des Pygmées dans les Organisations de la société civile et dans le processus électoral de 2006
II. Situation juridique :
L’accent était mis sur le niveau de participation des Pygmées dans l’appareil judiciaire, le degré de connaissance par les Pygmées des textes de lois statuant sur leur protection, les cas d’injustices et de discrimination subis par les Pygmées.
III. Sur le plan démographique :
Il s’est agit d’une tentative de détermination de la population totale des Pygmées de Mambassa et sa répartition par strates.
IV. Dans le domaine scolaire :
Le questionnaire a ciblé le niveau d’accès des Pygmées à l’éducation, les taux d’analphabétisme et d’abandon scolaire ainsi que les conséquences de la guerre dans ce domaine.
V. Dans le volet sanitaire :
L’accent était mis sur l’existence ou non des centres de santé, le taux de mortalité maternelle et infantile, les modes de soins utilisés par les Pygmées et les maladies courantes ; sans omettre la sensibilisation des Pygmées aux IST et VIH/SIDA ;
VI. Au sujet de l’habitat :
ESPOIR POUR TOUS a focalisé son attention sur les formes des maisons existantes
VII. S’agissant de la formation professionnelle et artisanale, l’ambition était de s’assurer de la présence, parmi les Pygmées, des personnes formées, exerçant les petits métiers techniques
VIII. L’approvisionnement en eau et en électricité ainsi que le domaine d’assainissement ont été aussi épinglés par l’instrument d’enquête, sans omettre les sports et loisirs, la réintégration sociale des pygmées et leur politique de développement communautaire.
Après Administration du questionnaire sur terrain, les résultats obtenus se résument de la manière suivante :
A. Sur le plan politique : il a été noté :
1. Le faible taux de participation des pygmées à la vie politique. Ce taux est évalué à presque 0 % et se justifie par :
- le faible niveau d’instruction des pygmées ;
- le manque d’implication de ceux-ci aux opportunités politiques locales ;
- la sous-estimation des pygmées par les bantous,
- l’ignorance, par les pygmées, de leurs droits et leur complexe d’infériorité vis-à-vis des bantous,
- le poids de coutumes des pygmées qui, comme pour les bantous, infériorisent la femme pygmée et l’empêche de participer dans les organes de prise de décision ;

2. L’organisation politique des pygmées à travers les campements, les clans, les localités sous la dépendance totale des chefs bantous.

3. L’exploitation des pygmées par les exploitants forestiers et miniers qui exercent leur domination sur eux et freinent leurs revendications.

4. L’enclavement des certains campements des pygmées.

5. L’inscription, entre 2003 et 2007, dans les secteurs de Bombo, de 360 hommes et 380 femmes pygmées dans le PPRD contre 43 hommes et 34 femmes pygmées dans le MLC et de 2 pygmées dans la société civile.

6. le désintéressement des pygmées à la vie politique et leur instrumentalisation, moyennant quelques dons, pour les intérêts partisans des leaders politiques.

7. La non participation des pygmées dans les mouvements politico militaires de la rébellion ;

8. L’inscription des pygmées comme membres dans les confessions religieuses catholiques et protestantes, notamment dans les secteurs de BABOMBI, MAMBASSA, BOMBO EDJEWE et BOMBO DISAI.

9. L’inscription, comme membres des ONGS, de 38 pygmées dans les secteurs de BABOMBI, de 4550 sujets à MAMBASSA et d’un pygmées dans le secteurs de BOMBO DISAI.

10. Dans les différentes confessions religieuses, les pygmées ont respectivement occupé les postes de pasteur, d’anciens d’église, sinon des simples laïcs.

11. En fin, en dépit de l’enrôlement des quelques pygmées de MAMBASSA, aucune candidature pygmée n’a été signalée dans les différentes opérations électorales et aucun d’eux n’a œuvré comme agent au sein de la CEI, à l’exception de ceux qui ont été bénévolement utilisés dans les équipes de sensibilisation.

B. Sur le plan juridique

1. Concernant la participation des pygmées dans l’appareil judiciaire, un seul exerce les fonctions de juge coutumier du groupement de BANGOLE.

2. Quant à la connaissance des textes de lois, les efforts de vulgarisation et d’information des pygmées à ces textes par les organismes locaux sont freinés à cause de la difficulté d’accès dans certains campements et par manque de financement.

3. Les pygmées ne se sentent pas protégés par les textes de lois, pas seulement du fait de la croyance selon laquelle les Bantous ont toujours raison, mais aussi du fait de la sous-estimation et de l’ignorance de leurs droits.

4. Les principales injustices déplorées par les pygmées sont notamment :

- Les arrestations arbitraires ;

- Les injustices au tribunal ;

- La marginalisation et l’exclusion dans la gestion des biens publiques ;
- La violation flagrante de leurs droits par les Bantous ;

- Les extorsions de leurs terres ;

- Le traitement inégal et la médiocre rémunération sur leur travail qu’ils reçoivent des bantous parfois en chanvre et en alcool ;

- La non scolarisation et la difficulté d’accès aux soins de santé ;

- La destruction méchante de leurs campements.

C. Au plan démographique
1. La carence des renseignements précis et quantifiables sur la situation démographique des pygmées, faute de recensement de cette population et son retranchement dans les forêts.

2. Les estimations controversées situeraient cette population à 11.300 sujets dans l’ensemble des secteurs enquêtés.

D. S’agissant de la scolarité
L’enquête a révélé que :
1. Très peu des pygmées ont accès à l’éducation ;

2. Le taux d’analphabétisme est estimé à 93 % pour l’année 2005 – 2006 ;

3. Les rares pygmées qui s’inscrivent à l’école n’arrivent pas à terminer l’année, occasionnant un taux d’abandon de 95 % sur l’ensemble des secteurs enquêtés ;

4. Les pygmées ne se limitent qu’aux cycles primaire et secondaire. C’est principalement dans le secteur de BABOMBI que les pygmées participent à l’enseignement professionnel (menuiserie, coupe et couture, forgeron et cordonnerie) ;

5. Les pygmées sont en majorité analphabètes à cause de :

- L’éloignement des écoles par rapport à leurs campements ;

- Les difficultés financières ;

- L’inadaptation du système scolaire à la vie de pygmées ;

- Les barrières dues à leur situation d’infériorité par rapport à leurs maîtres bantous.

E. Du point de vue de la santé :
Il a été observé que :
- La situation sanitaire des pygmées est précaire ;

- Il n’existe quasiment pas de centres de santé dans les collectivités des pygmées ;

- Les pygmées n’ont pas accès aux services et soins de santé et font généralement recours à la médecine traditionnelle ;

- Leur niveau de pauvreté, sinon d’indigence, renforce leur difficulté d’accès au soin de santé ;

- Les taux de mortalité maternelle et infantile par secteur sont très élevés, atteignant parfois les 40 % ;

- Les maladies courantes parmi les pygmées sont notamment le paludisme et les IST. Elles varient selon les secteurs. Plusieurs autres formes de maladies ont été dépistées à MAMBASSA- Centre ;

- Excepté pour le secteur de BABOMBI, la sensibilisation des pygmées aux IST et VIH/SIDA ne s’effectue pas dans d’autres secteurs, surtout pas au profit des pygmées ;

- Les pygmées ne bénéficient d’aucun programme du Ministère de la santé publique ;

- La guerre a provoqué la destruction et le pillage du tissu sanitaire existant, l’éloignement des structures de santé par rapport aux campements des pygmées, la malnutrition et les manque des produits pharmaceutiques essentiels.

F. DE L’HABITAT :
L’enquête a permis de noter que :
- Il n’y a ni maison en matériaux durable pour les pygmées ni en tôles, ni en briques à daube ou briques cuites ;

- Quelques maisons isolées en bois des pygmées ont été identifiées à Mambassa-Centre ;

- Leurs huttes, généralement d’une hauteur de 1.50 m, sont faites de branchages et feuillages ;

- La literie de pygmées est faite en feuilles de bananiers ; certains utilisent des branches d’arbres.

G. Concernant la formation professionnelle et artisanale des pygmées :
L’enquête a révélé que :
- Dans tous les secteurs, il n’a pas été possible de trouver un maçon pygmée ni un menuisier, à l’exception d’un seul mécanicien et 2 infirmiers signalés à Mambassa-centre.

H. Dans les domaines d’approvisionnement en eau et en électricité :
- la rivière demeure la source d’approvisionnement en eau, suivie des ruisseaux ;
- Les robinets n’existent pas, moins encore les pompes hydrauliques ;
- L’eau consommée est jugée sale et source des infections amibiennes ;
- Les pygmées ne connaissent pas l’eau stérilisée ;
- Il n’existe aucun projet d’adduction d’eau dans le territoire de Mambassa ;
- Le projet AVD/PEL, actuellement en étude de faisabilité, relève du domaine de l’électricité. L’électricité est donc inexistante ; sinon des groupes électrogènes éclairent quelques maisons isolées des bantous.

I. S’agissant de l’assainissement :
L’enquête a révélé que :
- Avant, comme après la guerre l’assainissement des milieux des pygmées n’a jamais été visible ;
- Dans certains secteurs, la guerre a accentué le degré d’insalubrité, notamment à BABOMBI BAPONGO et BABOMBI BANGOLE ;
- Il est signalé aussi le démolissement des huttes des pygmées à MAMBASSA-centre, BABOMBI BAPONGO et BABOMBI BANGOLE, source d’insalubrité qui occasionne le paludisme et les maladies épidermiques ;

- Seules quelques ONG interviennent dans l’assainissement avec des petits matériels d’entretien et de construction des étalages, les institutions publiques comme les confessions religieuses n’y prêtent aucune attention ;

- Les latrines dans les milieux des pygmées sont rares, construites en branchages sans enclots. Ils recourent à la nature pour satisfaire leurs besoins.

J. Dans le domaine des sports et loisirs
- Les pygmées préfèrent le football et la danse, mais ne disposent d’aucun programme d’encadrement en ces domaines ;

- Ils aiment aussi le cinéma et le théâtre ;

- En dépit de leurs potentialités physiques qui les prédisposent à être des bons sportifs, ils ne sont pas encadrés et ne participent pas assez aux rencontres sportives territoriales, excepté dans les secteurs de WALLESE KAKO, BABOMBI BAPONGOMU et BOMBO EDJWE ;
- Les pygmées participent dans les groupes de danses traditionnelles et dans les chorales religieuses où ils trouvent un moyen d’intégration et d’expression au milieu des bantous ;

- La guerre a occasionné, outre le pillage et la destruction des infrastructures et des équipements sportifs, la désintégration sociale renforcée des pygmées, le pillage de leurs ressources, le déplacement des pygmées, le conflit avec les autres populations, etc.

K. Sur le plan de développement communautaire, il découle de l’enquête que :
- Le sol et le sous sol de chaque secteur du territoire de MAMBASSA est riche, mail il n’y a pas d’exploitation minière industrielle ;

- Les pygmées n’ont pas accès à ces richesses en dehors de la forêt qui leur procure de la viande et des fruits ;

- Aucune action de développement communautaire n’est signalée sur la partie du territoire enquêtée ;

- Aucune entreprise spécialisée en DECO n’est signalée, à l’exception de l’ICCN et RFO qui préservent les espèces rares dans les milieux des pygmées ;

- En dehors de la nationale n°4, il n’existe pas des routes secondaires, sauf des sentiers de dessertes agricoles, exceptées pour les groupements de BOMBO EDJEWE et de WALESE KARO ;

- Les campements de pygmées ne sont reliés que par des sentiers.
L. Projets prioritaires formulés par les pygmées
C’est sont notamment :

- Scolarisation des enfants pygmées : 70 %
- Agriculture : 20 %
- Construction de centres de santé : 20 %
- Marché : 10 %
- Elevage : 10 %
- Habitat : 10 %
- Emploi : 10 %
- Amélioration des conditions de vie : 10 %

De ce qui précède, Espoir Pour Tous a constaté que, sur l’ensemble des questions ayant fait l’objet de l’enquête, les Pygmées ne jouissent pas des droits reconnus aux humains ; moins encore des droits constitutionnels reconnus à tous les congolais. Ils sont victimes des discriminations flagrantes et vivent une forme tacite d’esclavage et d’exploitation.

Afin de remédier à cette situation, une série de recommandations a été formulée. Les unes portent sur des pistes d’élaboration des lois visant à mettre fin à toutes formes de discrimination des peuplés pygmées. Les autres sont centrées sur des pistes des projets de développement économique et social au profit des pygmées.


Brève description du lien

ESPOIR POUR TOUS,TU VIS ESPERES!