LE DROIT ET LE POUVOIR, par Maître Célestin TANABANU – ma – DALU
LE DROIT ET LE POUVOIR
La liaison entre le Droit et le Pouvoir n’est plus à démontrer. Les Institutions règles ont poussé certains auteurs à insérer celles-ci dans « des politiques Institutionnelles régulatrices » c'est-à-dire destinées à édicter des normes et à engendrer ainsi des « Institutions - règles ».
De son côté, le Droit oriente la politique, notamment à travers le Droit Constitutionnel avant tout et l’Administration, dans la mesure où, par exemple, le Droit Administratif est « l’ensemble des règles juridiques destinées à régir les organes et les activités de l’Administration ».
Le Droit est constitué par les règles de conduite imposées aux hommes vivant en société. Il s’agit des devoirs de l’homme et du citoyen tel que lui sont prescrits par la loi naturelle.
En effet, une société humaine sans règles de Droit n’est pas concevable car le Droit est le corollaire de toute société.
Cette définition de Droit retient deux éléments essentiels. Il s’agit d’une règle de conduite et cette règle s’impose aux hommes et ceux-ci ne sont pas libres d’en faire abstraction.
Le deuxième élément distingue la règle de droit des règles de la morale, des usages sociaux, etc. La règle s’applique obligatoirement. Les sujets de Droit peuvent recourir à une autorité déterminée, en l’occurrence, l’autorité judiciaire, si elle n’est pas respectée, pour en obtenir une décision obligatoire, en l’occurrence le jugement, qui s’imposera à l’adversaire, éventuellement à tous les sujets de Droit, et qui pourra être exécutée par un agent de l’autorité ‘exécution forcée) si l’adversaire refuse de s’y soumettre.
Il n’est donc pas étonnant de retenir, entre autres « l’intérêt que les juristes et les politologues portent à l’Afrique », pour saisir la nécessité de leurs études, de leurs influences et de leurs complémentarité.
Le domaine de droit s’étend à toutes les relations humaines car une société humaine sans règles de droit n’est pas concevable dès lors que le Droit est le corollaire de toute société si petite soit-elle.
Un groupement d’individus sans règles serait livré complètement à la force brutale, à la ruse et à l’arbitraire. Et ce, y compris les ensembles « anarchiques » africains où, comme le soutient Hubert DESCHAMPS, « il n’y a pas de gouvernement, pas de lois, celles-ci sont remplacées par les mœurs, c'est-à-dire les coutumes sociales « qui, au fond, ne régissaient pas moins ces sociétés ».
Les règles de Droit, si imparfaites et si injustes qu’elles puissent être, permettent à chacun de savoir ce qu’il ne peut pas et ne doit pas faire. Elles lui permettent également de s’appuyer sur un raisonnement déduisant telle conséquence de tel fait, car chacun peut prévoir la portée de ses actions et celles d’autrui.
I : Les deux sortes de Droit.
Les règles de droit sont de deux sortes : certaines sont à contenu moral, fondées sur un jugement de valeur et d’autres sont purement réglementaires et pourraient aussi bien être prises en sens contraire. L’existence et la conception du mariage, de la famille et de la prospérité, par exemple, repose sur les principes fondamentaux découlant de prise de position essentielle de la société, alors que le fait de circuler à droite ou à gauche, de passer au feu vert ou feu rouge est en soit indifférent.
Les règles à contenu moral sont des règles essentielles d’un système juridique car elles sont le reflet des options et des conceptions fondamentales d’une société. Pour comprendre l’exemple du mariage et de la famille, ces deux institutions ne pourront pas être les mêmes dans une société purement matérialiste et dans une société d’inspiration religieuse pour laquelle le mariage est un « sacrement » et dans celle-là, s’il s’agit d’une société à tradition monogamique, polygamique ou polyandrique.
II : Les tendances dynamiques et statiques du Droit.
Tout système juridique est fondé sur une hiérarchie qui s’établit selon la valeur relative que les hommes accordent à leurs institutions.
L’existence même de cette hiérarchie fondée sur des jugements de valeur souvent inconscients et quelquefois viscéraux, en montre la limite dans le temps et dans l’espace.
D’autres conceptions deviennent prépondérantes avec le temps et entraînent des bouleversements qui peuvent arriver à une rupture apparemment totale et parfois brutale avec le passé.
Ainsi donc, l’une des tendances du droit va dans le sens de la modification de la réforme et d’une meilleurs adéquation à la base sociale et économique de la société considérée.
Cette tendance, dite réformatrice, voir révolutionnaire, est en opposition avec une tendance contradictoire, conservatrice qui est également une constance de tout système juridique.
La seconde tendance a pour but le maintient du droit en vigueur. Elle est certes critiquable si elle s’oppose à l’évolution précaire née de la vie et du progrès ; si elle refuse de tenir compte des nouvelles conceptions sociales et économiques, mais elle a sa base dans le besoin justifié de l’être humain de s’accrocher à quelque chose de solide et de stable, de bien construire son futur.
Toute société doit rechercher l’équilibre entre ces deux tendances. Elle ne doit pas scléroser en maintenant des institutions dépassées qui n’ont plus de base vivante ni de raison d’être, mais au contraire elle doit éviter les changements inutiles et constants qui enlèvent son efficacité au Droit positif et finalement empêchent son application en ruinant la confiance des justiciables et en détruisant la cohésion du système et son équilibre intense.
J’entends par Droit positif ou le Droit du présent, le Droit effectivement appliqué dans un Etat à un moment précis par voie d’autorité. C’est le Droit qui existe réellement dans une société, qui est appliqué par le pouvoir et auquel les tribunaux se réfèrent pour trancher les conflits. Le Droit est l’art du juste et du bien ; «Jus est ars acqui et boni » ; vieille définition du Droit romain. A Rome, le « jus civiles » était le droit applicable aux seuls citoyens romains par opposition au « jus gentium » qui régissait les étrangers. En Français le terme « civil » a longtemps été employé comme synonyme de « privé », s’opposant alors à « public » ou « politique ».
III. Le rôle du juriste dans la société.
Il convient de souligner que le but des études des Droits doit être recherché dans le rôle que joue les juristes dans la société. Celui-ci est double, en effet, le juriste est le technicien du droit mais il est également un législateur dans le sens le plus large de ce mot.
En tant que technicien du droit, le juriste doit connaître le Droit positif, l’appliquer et l’expliquer. Il doit être en mesure de rendre les services que la société attend de sa formation et de remplir la fonction sociale qui est la sienne. Les autres sujets de Droit doivent pourvoir s’adresser à lui pour savoir les conséquences que le système juridique en vigueur attache à tel acte et quelles sont les conditions exigées pour que c’est acte soit valable et inattaquable. De même qu’en cas de crise, c'est-à-dire de litige, les autres sujets de Droit doivent pouvoir lui demander ce qu’ils doivent faire en vue d’obtenir que leurs droits subjectifs soient respectés.
En sa qualité de législateur, le juriste, plus encore que les autres membres de la société doivent porter un jugement de valeur sur le Droit positif et le critiquer éventuellement pour en obtenir la modification et l’amélioration. Le juriste, aussi bien le praticien que le théoricien, doit donc être à la fois en possession de la technique juridique et d’un esprit critique développé.
Lorsqu’une société humaine arrive au stade conscient de sa vie, c'est-à-dire au stade proprement politique, la politique étant entendu comme organisation volontaire et coordonnée de la vie d’une société dans le rapport des membres cette société entre eux et dans les rapports de cette société avec ses membres, le besoin d’une discipline collective axée sur le bien commun se fait sentir. Le comportement des membres de la société et des microsociétés, des groupements dans son sein même, ont un caractère par nature spontané, et donc inorganisée, il sera nécessaire et inévitable qu’un ordre s’établisse que des règles soient connues et respectées de tous.
On peut donc définir le Droit au point de vue des Sciences Sociales comme « l’ensemble des règles édictées par l’autorité publique ou confirmées par elle et destinées à régir l’activité des membres du groupe ».
Le Droit est donc un phénomène social.
Mais d’où viendra cet ordre ? De la volonté d’un petit nombre ou d’un seul ? Il viendra de la société elle-même, d’où on verra sortir le Droit, qui est l’organisation volontaire collective de la vie de cette société sous toutes ses formes. Ces règles de la vie sociale sont, sinon produites, tout au moins sanctionnées par l’autorité qui s’exerce sur le groupe social. Dès lors, nous pouvons observer que le Droit est lié au pouvoir socialement parlant.
Le pouvoir est une prérogative permettant à une personne de gouverner une autre personne publique ou privée. Il s’agit des mandats politiques. (Droit Civil). Le pouvoir politique est celui qui s’exerce dans le cadre d’une société politique. (Droit Constitutionnel). Pouvoirs publics (Droit Constitutionnel-Droit Administratif). Termes souvent employés, bien qu’au contenu assez imprécis, pour désigner les organes de l’Etat, et même parfois ceux des collectivités locales.
Dans ce sens, on parle aussi d’autorités publiques encore que ces mots paraissent avoir un contenu plus extensif. Aussi, de la représentation collective que se fait une société donnée de ce qui est pour elle le bien public naîtra la règle de Droit et partant les institutions destinées à édicter, à appliquer et à sanctionner ces règles ainsi qu’à régler les conflits qui peuvent naître de leur application. En effet, l’idée qu’une société se fait du bien commun et diffusée et fragmentée en différentes représentations dispersées, selon des préoccupations religieuses, familiales, professionnelles etc. il ne suffit donc pas de les additionner pour en tirer une image du bien commun mais ce travail d’organisation et d’orientation qui s’impose, c’est le pouvoir qui le fait en élaborant la règle du Droit qui est une règle de conduite sociale, à l’observation de laquelle la société nous contraint par une pression extérieure plus au moins forte. Le Droit est donc une réalité socio-politique.
On peut donc considérer comme utopiques les théories qui admettent la naissance d’une règle juridique spontanée dans une société. En effet, la règle de Droit suppose une organisation institutionnelle qui impose le Droit à la collectivité et en sanctionne l’application par voie d’autorité ; ce qui nous amène forcement à déboucher sur la politique. Ceci nous permet de poser les principes de la corrélation entre l’existence d’un ordre juridique et l’établissement d’une organisation politique. Ce principe implique certaines conséquences : cette organisation politique est l’expression concrète d’une certaine représentation que se fait la société de l’ordre social désirable ; son action aura donc un but, tendra vers une fin prédéfinie. Cette finalité sera fonction de la conception que se font les membres de la société, du bien commun actuel et futur de leur société ; les moyens par lesquels le pouvoir, car c’est de lui qu’il s’agit en définitive, parviendra à atteindre ce but. C’est la définition autoritaire sanctionnée par lui de la règle de Droit et des institutions qui en permettent le fonctionnement organique. Cela revient à dire que le Droit est l’instrument de la politique.
Et ce principe demeure valable tant dans les Etats modernes que dans les communautés traditionnelles telles que les sociétés africaines de jadis qui ont une autorité, la tienne de la coutume et se bornent quand on recourt à eux, à dire la coutume.
Et Paul BOHANNAN observe « qu’en vérité, l’Afrique est l’un des bastions avancés des Institutions légales. Les plus célèbres de ces institutions sont peut être les tribunaux qui existent encore dans les Etats Bantous du tiers méridional du continent. Là, le chef local ou provincial fait partie de la magistrature, et les juridictions sont aussi vaste qu’accueillantes ».
Instrument nécessaire, bien sûr, mais non pas inerte car on ne peut concevoir que le pouvoir édicte des règles qui ne tiennent pas compte des conditions réelles dans lesquelles se développe la société concrète, dans l’espace et dans le temps, dont il est l’émanation.
En effet, la réalité sociale est essentiellement mouvante ; de groupes sociaux accèdent à la vie politique ; les partis politiques évoluent, les conditions économiques changent ; des hommes nouveaux apparaissent qui donnent une impulsion prépondérante à telle ou telle tendance politique ; les changements réagissent sur la physionomie de la société ; les règles de Droit, les lois, au contraire, ont un caractère de permanence, de stabilité, qui risquent de les voir assez rapidement prendre un caractère désuet, voire réactionnaire.
Aussi, il faut savoir concilier le caractère dynamique que l’on veut imprimer à la société avec les institutions juridiques et les règles de Droit qu’elles édictent.
De lors, l’on observe que si le Droit peut être un élément de stagnation et de conservatisme dans une société, il peut également être un facteur du progrès.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier l’autre aspect de ce caractère statique qui, lui, est bienfaisant ; c’est le caractère stable et permanent du Droit. Il est évident que dans une société ou les lois auraient la mobilité et la spontanéité des mouvements de la société, elles seraient inapplicables ; d’abord en raison de la fréquence même de leur changement, ensuite parce que leur caractère obligatoire serait lié de trop près aux changements de la politique.
En effet, nous avons déjà constaté tant dans notre pays, la République Démocratique du Congo qu’ailleurs, que dans la vie politique concrète, si les partis politiques, à période électorale, annoncent souvent qu’une fois au pouvoir, ils vont tout bouleverser, mais une fois réellement en possession de cet instrument du pouvoir qu’est la loi, ils le manient avec une prudence respectueuse, sachant bien qu’à trop manipuler cet instrument nécessaire, ils risquent d’en rendre l’usage impossible, tant à eux qu’à leurs successeurs.
Nous constatons à cet effet, que le maniement de cet instrument qu’est la loi, suppose un équilibre aussi constat que possible entre les diverses forces dynamiques qui animent une collectivité. Un souci constat de la part des gouvernements de se référer à la conscience collective, à la réalité sociologique profonde du peuple dont ils ont la charge et la conception aussi claire que possible d’une idée du Droit, c'est-à-dire, de la représentation de ce que doit être l’organisation générale des rapports dans la société pour arriver aux fins qu’ils se sont assignées. C’est cette double fidélité aux réalités du présent ainsi qu’à la volonté du devenir historique qui est la condition d’une efficace insertion du Droit dans le politique, de même que sa justification.
V. Le Droit à la lumière des quelques problèmes actuels.
Ainsi que nous l’avons déjà dit précédemment, le Droit est destiné à régler certaines activités humaines, en conciliant les intérêts individuels et sociaux opposés.
D’une part, les réalités économiques et sociales changent rapidement et le droit se trouve donc confronté à des problèmes nouveaux et d’autre part, les conceptions politiques et morales évoluent également, de sorte que, même pour les problèmes sociaux, les solutions traditionnelles ne sont parfois pas suffisantes.
Aussi, en vue de permettre l’évolution du Droit, il suffit parfois que les tribunaux interprètent et appliquent les lois existantes dans un esprit nouveau.
Quand cela ne suffit pas, le pouvoir politique doit intervenir. De ce fait, le législateur modifie les lois. Dans les deux cas, la nécessité d’une évolution du Droit est toujours en conflit avec le besoin d’une certaine sécurité juridique.
Traditionnellement, on admet que le Droit comprend deux grandes branches à savoir, le Droit Privé et le Droit Public.
Le Droit privé est appelé à régler les rapports juridiques entre les personnes, alors que le Droit public est destiné à organiser l’Etat et à régler les rapports juridiques entre l’Etat et les citoyens. Le Droit des obligations règle le domaine des contrats et celui de la responsabilité civile à la suite d’actes illicites.
Tandis que le Droit Constitutionnel et le Droit Administratif sont du domaine du Droit public.
Le premier pose les bases de l’Etat et de son organisation, en prévoyant notamment dans quels domaines et à quelles fins l’Etat peut adopter les lois. En effet, la constitution doit conférer aux citoyens un certain nombre de libertés individuelles, la liberté de conscience, d’expression, d’association, la liberté politique, du commerce, de l’industrie etc. on veut que ces règles constitutionnelles protégent les citoyens non seulement lors que leurs libertés sont affectées par une intervention de l’Etat mais aussi lors qu’elles sont limitées par l’action d’autres citoyens (groupes économiques, sociaux et politiques).
Le Droit Administratif quant à lui constitue la base de l’activité concrète et quotidienne de l’Etat.
Le Droit pénal réprime les crimes et les délits en punissant les criminels par des peines de prison ou d’amendes.
IV. CONCLUSION
L’esprit juridique est le bien le plus précieux pour un juriste. Son passage à la Faculté doit être un gage de réussite personnelle et professionnelle car les solutions en Droit positif changent si souvent et si vite que le seul esprit juridique permet au juriste de s’adapter à l’évolution constate du Droit et aux modifications parfois imprévisibles de sa carrière, la société globale elle-même s’avérant mouvante. C’est le cas, par exemple, de l’Afrique contemporaine dont la jeunesse se trouve en plein dynamisme, comme l’affirme Hubert DESCHAMPS.
Par ailleurs, certains pensent que le Droit n’évolue pas assez vite aujourd’hui, contribuant ainsi à maintenir des conceptions périmées et à protéger des privilèges injustifiés.
Ce jugement est probablement en partie fondé. Il ne faut toute fois pas oublier le besoin de sécurité, éprouvé par tous les hommes et toutes les sociétés. En effet, le Droit ne peut guère évoluer au rythme des idées changeantes de notre époque, sous peine de perdre l’un de ses fondements essentiels.
Il convient d’ailleurs de ne pas surestimer le rôle du Droit dans la société. De nombreux problèmes sociaux ne peuvent pas être résolus par une loi, ne sont pas susceptibles d’être soumis à un juge. Le Droit est l’un des moyens de régler les conflits d’intérêts, ce ne certes pas le seul, ni toujours le meilleur. Il n’en reste pas moins vrai que si le Droit est relativement permanent et parfois conservateur, il constitue un élément essentiel d’une société qui n’accepte pas de se plier à la raison du plus fort.
Le Droit demeure indispensable dans chaque société et s’avère un outil nécessaire du pouvoir politique, du moins si nous considérons ce dernier « comme résultat pour toute société de la nécessité de lutter contre l’entropie qui le menace de désordre ».
Or, le Droit ne supporte pas le désordre. Le pouvoir politique bénéficie ainsi de l’appui indéniable du Droit qu’il encadre.
Maître Célestin TANABANU – ma – DALU
Assistant en Droit, Magistrat Emérite et Honoraire
