Les aspects politiques de la corruption en R.D.Congo
1. INTRODUCTION
Dotée d’immenses ressources naturelles variées, la République Démocratique du Congo figure parmi les trois derniers pays du classement mondial sur la base du PIB par tête d’habitant.
Cette situation est le fruit de la mauvaise gouvernance : le pays est saigné à blanc à tous les niveaux. Dernièrement à l’occasion de l’examen et l’adoption du projet du budget de l’Etat Congolais pour l’exercice 2OO9 au niveau de l’Assemblée Nationale, un cas de tentative de corruption de certains Honorables Députés Nationaux par le Directeur Général de la Direction Générale des Impôts, DGI en sigle, a été signalé.
Cette question de la corruption a été à la base du gel de la coopération entre le Royaume de Belgique et la République Démocratique du Congo au mois d’avril 2008 suite aux déclarations du Ministère Belge des Affaires Etrangères.
Dans le cadre de cette réflexion, nous aurons tenterons de définir la corruption avant de parler de sa répression en droit positif congolais, de ces aspects politiques et de sa manifestation. Le questionnement suivant guidera nos pas tout au long de cette réflexion : la corruption est-elle la résultante de l’absence des valeurs morales et éthiques ?
2. QU’EST-CE QUE LA CORRUPTION ?
Il existe un consensus universel autour de la définition de la notion de corruption. Généralement, il existe un accord au niveau des Etats, des universitaires, de la société civile et des milieux d’affaires pour définir la corruption comme : « l’instrumentalisation des prérogatives et/ou positions publiques à des fins privées et personnelles. » Elle se réalise par un versement d’argent ou l’octroi d’avantages matériels à un agent public par un agent privé pour se faire accorder une faveur indue en contournant ou violant les règles de fonctionnement.
Ainsi, elle peut prendre deux formes :
• Une forme active qui concerne les corrupteurs ou agents privés (en général des pays exportateurs) qui versent des pots-de-vin ou offrent des avantages matériels à des agents publics pour accéder à des faveurs ou gagner des marchés.
Cette dimension de la corruption était connue par la plupart des Autorités des pays exportateurs jusqu’à l’adoption de la convention de l’OCDE, parce que faisant l’objet de déclaration d’impôts. Pire, les sommes remises dans le cadre de transactions commerciales internationales étaient identifiées sous l’appellation pudique de commissions versées à l’étranger et étaient déductibles des impôts des entreprises concernées
• et une forme passive et cachée qui se manifeste par le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires ou membres de la classe politique qui sont considérés comme les corrompus.
Par son ampleur et sa nature, la corruption se décline en deux catégories : une dite grande et une autre appelée petite corruption.
La grande corruption fait intervenir des positions au sommet de l’Etat et concerne les stratégies de développement des projets ou dossiers de grande envergure économique et financière. Elle peut détruire l’économie d’un pays.
La petite corruption porte sur des montants relativement peu élevés. Mais pratiquée de manière massive, elle peut être préjudiciable à une économie. Elle est utilisée pour contourner les formalités administratives et les règles de gestion publique. Elle sévit dans les services de la Douane, des Impôts, de la Police, de la Justice, etc.
La corruption qu’elle soit grande ou petite se présente sous la forme d’une réalité complexe, souvent invisible, avec des facettes multiples mettant en interrelation des acteurs privés avec des agents publics, avec un impact totalement négatif sur l’économie et la société.
3. LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION EN DROIT PENAL CONGOLAIS
La lutte conte la corruption en République Démocratique du Congo est assurée par les articles 147 à 15O du code pénal ordinaire et les articles 441 et suivants du code de justice militaire.
Selon le Professeur Pierre AKELE ADAU, l’infraction de corruption est traitée dans le code pénal ordinaire sous la même rubrique que les infractions de rémunérations illicites, de trafic d’influence et d’abstentions coupables des fonctionnaires. Cette rubrique vient juste après la section relative aux détournements et aux concussions commis par des personnes revêtues de mandat public et chargées d’un service ou d’une mission de l’Etat ou d’une société étatique. De même, dans le code de justice militaire, la corruption est traitée dans une même catégorie pénale que les faux, falsifications, détournements et concussions.
Pour le Professeur Pierre AKELE, la lutte contre la corruption pour être efficace, devrait prendre en compte sa capacité à se systématiser, c’est-à-dire à infecter de façon significative et selon des mécanismes interrelationnels complexes l’ensemble du système social.
La loi pénale congolaise incrimine séparément et de façon autonome le corrupteur et le corrompu, l’un pour corruption active, l’autre pour corruption passive, deux infractions distinctes ayant chacune ses éléments constitutifs propres.
La corruption passive est le fait pour une des personnes spécifiées (tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal, toute personne repré-
sentant les intérêts de l’Etat ou d’une société étatique au sein d’une société privée, parastatal ou d’économie mixte en qualité d’administrateur, de gérant, de commissaire aux comptes ou à tout autre titre, tout arbitre ou tout expert commis en justice) par l’article 147 du code pénal ordinaire, 445 et 453 du code de justice militaire d’avoir sollicité ou reçu des offres, promesses, dons ou présents, pour faire ou s’abstenir de faire des actes relevant de sa fonction, de son emploi ou de sa mission.
La corruption active est le trafic d’influence actif, puisqu’il incrimine le recours à des moyens illicites pour obtenir soit l’accomplissement ou l’abstention d’un acte, soit des faveurs ou des avantages quelconques. Bien que la corruption active existe indépendamment de la corruption passive, il existe une étroite corrélation entre elles, du point de vue des éléments constitutifs et de la répression, réserve faite de la circonstance que la corruption active peut aussi se caractériser par l’emploi de voies de fait ou de menaces constitutives de la contrainte.
Si les dispositions pertinentes du code pénal ordinaire et du code de justice militaire sur la corruption étaient appliquées, les prisons de la République Démocratique du Congo seraient remplies. Pourquoi en est-il ainsi ? C’est le fruit de la mauvaise gouvernance : une main lave l’autre et les loups ne se mangent pas. La lenteur entretenue dans les décisions judiciaires est plus souvent une source de corruption. Il n’est pas rare d’entendre des magistrats tant du siège que ceux du parquet dire qu’ils « vivent des dossiers » alors qu’un tel langage ne peut être réservé qu’aux avocats et défenseurs judiciaires puisqu’ils vivent de leurs honoraires.
4. ASPECTS POLITIQUES DE LA CORRUPTION
Parler des aspects politiques de la corruption revient à examiner l’impact de la corruption sur la performance et la continuité étatique, le maintien de l’ordre social et la garantie de la sécurité de l’Etat et des citoyens face aux menaces tant intérieures qu’extérieures. Le groupe
cible dans ce cas se rapporte à ceux qui ont la charge des services publics ou qui assument les fonctions dites politiques.
Peu de gens pensent que le geste anodin de rendre un service en le monnayant aboutit ou peut aboutir à la logique à la liquéfaction des institutions étatiques et sociales, la perte du capital social susceptible de cimenter la coopération entre groupes et entraîner le développement d’une culture anormale et sans éthique, et occasionner par-là le retour à l’état de la jungle où chaque individu se prend en charge lui-même et n’a plus de considération que pour lui-même. Les mêmes causes produisent toujours, toutes choses demeurent égales par ailleurs, les mêmes effets.
Malgré plusieurs ouvrages importants qui ont mis en exergue la place du pouvoir personnalisé et de la débâcle de la politique et de l’économie au Congo-Kinshasa, le phénomène de la corruption ne fait pas l’objet d’une politique systématique au pays. Pour les observateurs avertis, la corruption continue à être utilisée par les hommes au pouvoir pour leur propre intérêt. Les élections des Sénateurs et des Gouverneurs de provinces en 2OO6 et 2OO7 ont été caractérisées à grande échelle par des pots-de-vin.
Il y a lieu de craindre que toute consécration dans la pratique du principe de l’inégalité des citoyens devant les charges et les postes publics devant les manifestations et la liberté de s’organiser risque de remettre en cause le sens de l’émancipation d’une citoyenneté véritable et l’épanouissement du congolais libéré, au risque dès lors de fissurer à jamais le tissu de l’unité et de la cohésion nationale, ainsi que la confiance mutuelle et le respect réciproque qui doivent lier les gouvernés aux gouvernants.
5. MANIFESTATION DE LA CORRUPTION ET DU POUVOIR PERSONNALISE
AU CONGO
La gestion de la R.D.Congo se caractérise malheureusement par la faible importance des valeurs éthiques. Par exemple, alors que la devise du MPR (Mouvement Populaire de la Révolution) – Parti Etat était de « servir et non se servir », on assista pourtant à la privatisation et à la criminalisation de l’Etat, à l’instauration de la « kleptocratie » et à la généralisation de la corruption.
La corruption émousse les motivations et les incitations. Au niveau des agents corrompus, l’énergie est canalisée vers la recherche des gains faciles. Par exemple, la pratique des pourboires pour obtenir un traitement rapide des dossiers, va conduire les agents à canaliser leur énergie vers la recherche des voies et moyens pour soutirer de l’argent aux citoyens pour la moindre de leurs prestations, même dans des conditions normales. Il faudra alors payer de plus en plus cher pour avoir un service rapide. Dans un tel contexte, les agents vont consacrer de plus en plus de temps à l’art de recevoir des pots-de-vin, ou à celui d’extorquer des fonds, plutôt qu’à assurer au mieux l’exercice de leurs fonctions.
A Kinshasa, on le voit quotidiennement par le symbolique de l’agent de roulage qui harasse les quotidiennement les conducteurs de véhicules, de l’enseignant qui monnaye les points, le soldat qui tue son chef moyennant rétribution ou encore qui trahit son pays et se découvre un esprit rebelle au motif que sa solde peut être augmentée. Il en va de même de l’opérateur économique qui pratique l’évasion fiscale, du fonctionnaire qui subtilise les rames de papier, du Président Délégué Général qui s’empare des frais de fonctionnement, tout comme du Ministre qui signe un contrat moyennant pourcentage tout en étant conscient de l’impact négatif ou dévastateur que son acte entraînera pour la nation et des alliances contre nature et pactisant avec les impérialistes opportunistes. Toute corruption apparemment anodine ou non nous intéresse et devrait nous interpeller, surtout sur le plan politique, celle des politiciens vé-
reux qui vont de vagabondage en vagabondage rebelle, tournant comme des pirouettes du parti politique X au parti politique Y, toujours en quête de positionnement politique.
La classe politique congolaise, comme écrit dans le rapport national 2008 sur le développement humain en R.D.Congo publié par le bureau local du PNUD, se caractérise plutôt des nationaux étrangers, dépourvus de repères moraux et de toute efficacité étatique, bafouant les intérêts supérieurs de la nation au profit de leurs intérêts personnels et égoïstes.
6. CONCLUSION
La précarité des postes politiques et des hautes fonctions publiques ainsi que le parrainage qu’ils entraînent favorisent également la corruption. Très souvent, l’emploi politique et les hautes fonctions sont précaires. Les politiciens savent qu’un gouvernement n’a une longue durée, le temps de retourner à la touche avant d’avoir construit sa maison ou d’avoir payé des maisons en Europe. Alors, on s’empresse. De même, les parrains qui ont recommandé le politicien chez le Président de la République ou ailleurs se sentent dans leurs droits de demander à leur protégé des dividendes.
La corruption entraîne comme conséquence la perte de liberté, et la mort de l’idéalisme. La manipulation de la corruption par le leadership politique se répercute sur tout le système et tout devient corrompu. Cela entraîne la liquéfaction sociale et la désintégration des institutions et la perte du rêve de bonheur du peuple. Fort heureusement, comme qui tue par l’épée périra par l’épée, celui qui s’enrichit par la corruption, sera également appauvri par la corruption.
La preuve de la corruption est très difficile à établir dans la mesure où la transaction est totalement occulte et se fait en dehors de tout témoin. Quand la corruption implique des Présidents ou des Ministres avec des multinationales, les paiements se font généralement directement dans des comtes ouverts à l’étranger. De ce fait, la preuve de la corruption est difficile à établir. Même quand elle concerne des opérateurs économiques établis sur place, les versements se font par l’intermédiaire de prête-noms et/ou directement en espèces, ce qui ne laisse aucune trace.
En tant que citoyen averti, redressons nos fronts longtemps courbés, en dénonçant les corrupteurs et les corrompus.
Par Marcel TSHIBOLA
Secrétaire Exécutif National de la CONAJECO
Email : conajeco_asbl@yahoo.fr
