Le Congo en danger
Dans son ouvrage « L’enjeu africain », édité en 1980, Gérard Chaliand place le Zaïre d’alors parmi les pays menacés de façon chronique, d’éclatement (p. 54). L’auteur de préciser :« Le Zaïre reste un des Etats les plus vulnérables parmi les Etats clefs de l’Afrique. Son avenir est incertain et dépend essentiellement des interférences extérieures. Il a de fortes chances, dans l’avenir, d’être un des lieux de la confrontation Est-Ouest» (p.97)
A l'époque où Chaliand développait ces analyses, il existe déjà le problème de ceux qui se font appeler « Banyamulenge », dont le sort s’est trouvé lié à la déstabilisation de la République démocratique du Congo dès 1996. Si la guerre de 1996 est le fruit d’une alliance où se retrouvent les Congolais de souche et « Banyamulenge », la connivence entre ces derniers et le régime rwandais apparaîtra nettement au fil du temps.
Samedi 05 juin 2004 vers 22h30', sur Radio France internationale, une journaliste française qui commentait l’actualité en République démocratique du Congo s’est demandée si la chute de Bukavu n’était pas la première phase de la partition du Congo. Pour la journaliste, deux raisons justifient cette crainte. D’une part, le surpeuplement et la pauvreté d’un Rwanda placé à coté d’un Congo plein de ressources naturelles et d’espaces inhabités. D’autre part, l’existence au Congo d’une communauté d’origine rwandaise, située à la frontière entre les deux pays. Le numéro du quotidien français La Croix de lundi 07juin affirme que le président rwandais Paul Kagame reste déterminé à exercer un contrôle sur l’Est de la République démocratique du Congo. Ainsi se trouve corroborée l’analyse de Colette Braeckman qui affirme que, pour des raisons de sécurité nationale, le Rwanda entend demeurer présent dans les instances dirigeantes congolaises. Le président rwandais, alors vice-président, avait déclaré: «Nous souhaitons nous impliquer dans ce qui se passe au Congo afin de créer une zone de stabilité dans la région, nous souhaitons changer de manière significative ce qui doit être changé. Bien entendu en accord avec les Congolais eux-mêmes […]. Nous voulons travailler avec ceux des dirigeants aptes à mener le peuple au changement». (L’enjeu congolais, 1999, p.412).
Pour réaliser ces ambitions, le président rwandais va s’appuyer sur la diaspora rwandaise du Congo. C’est ce que démontrent des chercheurs comme Filip Reyntjens et Roland Pourtier. Pour Reyntjens, l’homme fort de Kigali intègre les Tutsi du Congo dans son plan d’invasion dès 1995, en les incorporant dans l’Armée patriotique rwandaise dans la perspective d’une opération au Zaïre. Dans la guerre des Grands Lacs, 1999, p. 51 et suivants, Roland Pourtier note pour sa part: « «Les Banyamulenge» servirent à la fois de fer de lance et de cinquième colonne ... le choix stratégique de Kigali consistant à attaquer les camps montre clairement quels étaient les objectifs fondamentaux d’une rébellion qui n’était déjà plus une, puisqu’il s’agissait de l’élargissement au territoire zaïrois de la guerre civile rwandaise» Cité par F. Reytjens, (la guerre des Grands Lacs), p.56). Bien avant la guerre, les dirigeants rwandais revendiquaient une parie de l’Est de la Rdc comme ayant appartenu au Rwanda pré-colonial. Et curieusement plusieurs voix Banyamulenge relayaient cette sorte d’Opa (offre publique d’achat) sur notre pays dont ils se veulent des citoyens.
L’Afdl (Alliance de Forces démocratiques pour la libération du Congo) était donc censée être le fer de lance des ambitions rwandaises. Mais les Congolais de l’Alliance, que l’on croyait utiliser, vont tenter de se servir de cette Alliance pour parvenir au pouvoir et réaliser leur propre projet de libération nationale. D’où, les multiptes conflits et frictions qui se feront jour au-sein de l’Afdl. (C. Braeckman, « L’enjeu congolais », déjà cité).
Devant l’intransigeance de Laurent Désiré Kabila, dont on avait sous-estimé le patriotisme, une nouvelle guerre est fomentée, toujours avec les mêmes visées expansionnistes. Le Rcd voit le jour à Ndere au Rwanda, quelques semaines après le déclenchement de la rébellion d’août 1998, avant d’éclater en plusieurs branches et de voir partir nombre de ses cadres qui fustigent la mainmise du Rwanda sur le mouvement.
La cause Banyamulenge
Manassé Müller Ruhimbika, « Munyamulenge » lui-même soulève ce problème dans un ouvrage digne d’intérêt : les Banyamulenge entre deux guerres, Paris Harmattan, 2001.
Pour Ruhimbika, en 1998 comme en 1996, le Rwanda a utilisé la cause des «Banyamulenge» comme alibi afin de servir son propre agenda. Et celui-ci a pour nom: occupation. Ruhimbika est catégorique, partant des relations entre le mouvement rebelle Rcd et le Rwanda: « les politiques Banyamulenge ne sont libres en rien et les commandants militaires dépendent totalement de Kigali. La prise d’otage de 1996 se poursuit en se renforçant. La «question des Banyamulenge» devient une marchandise pour l’Apr qui a nommé Moise Nyarugabo comme vice-président de la rébellion pendant deux ans, Karaha comme chargé des renseignements et Ruberwa comme Secrétaire général» (p. 89).
Ruhimbika décrit les déchirements au sein de la communauté «banyamulenge» entre d’une part les collaborateurs des Rwandais qui, refusant de se désolidariser de leur pays d’origine, « tirent profit de la guerre et ont des amitiés avec quelques officiels rwandais» et d’autre part ceux qui, se sentant congolais, sont hostiles à l’occupation rwandaise. (p. 88) Celle-ci pouvait-elle s’accommoder de la réconciliation nationale et de l’application heureuse de l’Accord global et inclusif? Certes pas. La stabilité et la prospérité du Congo sont en contradiction avec les velléités du Rwanda. D’où une autre guerre qui pourrait arrêter le processus de transition et permettre au Rwanda de parvenir à ses fins: soit contrôler tout le Congo à partir de Kinshasa, soit exercer une tutelle sur l’Est, particulièrement les deux Kivu, considérés comme une zone tampon et un territoire d’expansion. Voilà comment surgissent des Mutebusi et autres Nkunda toujours prompts à user du même fonds de commerce: la défense des « Banyamulenge », entretenant l’indiscipline dans l’Armée et déstabilisant la transition. L’arrivée de Nkunda à Bukavu à la tête de 4.000 hommes partis de Goma illustre le caractère planifié de l’attaque. La participation de soldats rwandais et la surprenante puissante de feu des assaillants attestent une réalité: la prise de Bukavu est un épisode des velléités expansionnistes du Rwanda sur le Congo. Le Conseil de sécurité de l’Onu l’a du reste dénoncé .
Comment en sommes-nous arrivés là? La nouvelle agression contre la République démocratique du Congo par le Rwanda instrumentalisant une fois de plus la cause des «Banyamulenge» sonne l’heure de vérité pour tous les protagonistes de cette tragédie. Vérité pour les Congolais de souche invités à une autocritique sans complaisance afin d’extirper de leur existence collective les tares qui en ont fait les souffre-douleur de voisins somme toute faibles. Vérité pour le Rwanda dont les dirigeants s’enfoncent dans un expansionnisme aventureux qui déstabilise la région, viole le droit international, foule aux pieds la dignité humaine et installe durablement la haine entre les peuples concernés. Vérité pour les «Banyamulege» impliqués dans une aventure dont ils ignorent les motivations profondes et qui élargit le fossé entre eux et la communauté nationale dont ils se réclament.
Les erreurs des Congolais
Les tragédies et humiliations subies par les Congolais sont sans doute imputables à l’expansionnisme rwandais ainsi qu’à la complaisance de la communauté internationale envers un peuple éprouvé par le génocide, même si celui-ci ne peut tout justifier, et surtout en face d’un autre peuple tout à fait étranger aux massacres interwandais. Mais ceci suffit-il à expliquer que le Congo soit devenu dominable par le Rwanda? Afin de comprendre cette situation nouvelle, force est de relever les tares qui ont rendu le Congo si fragile. Outre l’impact multidimensionnel de la colonisation belge, citons les actes inconséquents posés par les Congolais eux-mêmes en commençant par les faiblesses administratives et l’incapacité à gérer le mouvement des populations, sans oublier le déficit du patriotisme à tous les niveaux de la société.
En 1969, le président Mobutu nomme à la tête de son cabinet un réfugié rwandais, Bisengimana, qui va outrageusement favoriser les siens. En 1972, le Bureau politique approuve l’octroi de la nationalité de manière collective à des centaines de milliers de ressortissants rwandais, bouleversant les équilibres sociaux au Kivu et attisant les conflits fonciers et autres.
En 1981, la nationalité est retirée à ces mêmes ressortissants rwandais devenus congolais, au prix de frustrations et de revendications qui prendront parfois, une forme violente.
Dans les années quatre-vingt-dix, la société congolaise met le doigt dans l’engrenage de cet intégrisme identitaire, fétichise les origines et enferme l’identité dans l’appartenance tribale et au droit du sang, au lieu de l’ouvrir à la citoyenneté et de la lier au partage d’une existence commune. Les Baluba font les frais de cet intégrisme identitaire autant que les Rwandophones du Congo. Pourtant, la vie d’un individu commence à sa naissance, son territoire est celui où il est né, une personne devrait être jugée et se voir attribuer des devoirs et des droits, non pas en fonction des origines mythiques de sa communauté mais en raison de son attachement et de sa loyauté envers le territoire où il vit. Si une telle conception est adoptée, un tutsi, un hutu ou un haoussa n’est pas condamné à être un éternel étranger au Congo ni un luba ou un tetela un éternel étranger au Katanga.
Les faux calculs du Rwanda
L’expansionnisme est toujours une aventure dangereuse. Le cas le plus significatif est sans doute celui d’Hitler.
La communauté internationale, a accompli des progrès considérables dans la coexistence entre les peuples et plus rien ne peut justifier les pratiques du Western américain pour résoudre les problèmes entre Etats, fussent-ils ceux de 1a pauvreté et du surpeuplement. Les rêves de conquête sont d’un autre âge et aucun dirigeant ne les a caressés sans exposer son peuple à toutes sortes de désagrément.
L’histoire mondiale récente renseigne que même la supériorité technologique et militaire ne suffit pas à réduire un peuple jaloux de son indépendance. L’effondrement des empires coloniaux et plus récemment le démantèlement de l’apartheid le prouvent.
Comme l’atteste Spitaels, commissaire de district et chef de la «Mission immigration Banyarwanda » dans les années trente, l’hégémonisme rwandais remonte en fait à l’époque précoloniale lorsque les Bami du royaume du Rwanda cherchaient à s’emparer de riches terres du Kivu. Jusqu’à l’occupation coloniale, la résistance des populations congolaises n’avait jamais cessé (Transplantation de Banyarwanda dans le Kivu-Nord dans la revue « Problèmes d’Afrique centrale 1953 n° 20 pp. 110 – 116 »).
Si cet hégémonisme est une erreur, il en est de même de la vision qu’une certaine opinion rwandaise se fait des Congolais, à l’instar de celle que bon nombre de Blancs sud-africains développaient au sujet de leurs compatriotes noirs. Colette Braeckman écrit: «Les Congolais ont été régulièrement traités d’ « ibicucu», littéralement gens sans importance ou «idiots», considérés comme quantité négligeable. Quand elle évoque la question du Congo, la presse rwandaise proche du régime exprime, à son insu le cas échéant, un mépris à peine déguisé ». Ainsi, le journal The New Times (23 janvier 2002) n’hésitait pas à écrire que «les Congolais manquent d’esprit révolutionnaire. Ils ont tendance à penser que d’autres doivent diriger, pendant qu’eux-mêmes sont assis, mangent, dansent, et quoi encore... le cocon dans lequel ils ont vécu a été brisé et, à ce stade, ils doivent choisir quel serait le meilleur tuteur régional à même de les aider» (236). Toutes les aventures expansionnistes se sont fondées sur ce genre de vision de l’autre et toutes ont tourné court à de rares exceptions.
Les conséquences des « Banyamulenge »
Quoique victimes de l’intégrisme identitaire en République démocratique du Congo, les rwandophones du Congo ont opéré certains choix contestables. A vrai dire, il ne s’agit pas de tous les rwandophones, parmi lesquels figurent des é1eveurs et des fonctionnaires juste désireux de gagner leur vie, de faire vivre et éduquer leurs enfants.
Les choix ont été l’initiative de quelques individus souvent attachés à leurs intérêts particuliers. La tendance à vivre en ghetto, qu’ils reconnaissent eux-mêmes, ne peut que compliquer leur intégration dans la communauté nationale. A cela s’ajoute la tendance à se présenter comme une tribu autochtone, tendance qu’aucune carte ethnographique du Congo ne justifie et qui les fait apparaître comme une diaspora hégémonique. En se présentant toujours en communauté, pire, en minorité qui serait brimée par une majorité - laquelle? -, en visant les positions de pouvoir dans les affaires, la politique et l’Administration, sans s’impliquer comme d’autres dans la musique ou dans le sport (Mangwana d’origine angolaise), ils ne peuvent que susciter la méfiance et la peur.
Dans la présente transition, aucune ethnie congolaise ne compte autant de postes politiques et militaires que les rwandophones du Congo. Voilà pourquoi l’opinion nationale a du mal à comprendre la surenchère qui est entretenue. Bou1imie du pouvoir ? Velléités de dominer un peuple déconsidéré? Volonté de bloquer la transition?
Comme le relève la journaliste belge Lieve Joris (Danse du Léopard, 2002, p. 291-292, parler de soi comme «nous» et des Congolais comme « eux » dénote un refus d’intégration dans le «nous» national dont on se réclame.
Les Congolais de souche se plaignent souvent du mépris des rwandophones du Congo à leur égard. Lieve Joris rapporte ce regard d’un tutsi du Congo qui présente les Congolais de souche comme « un peuple d’idiots dansants » .«nous sommes différents de ces gens, dit-il avec un geste désinvolte à la ronde, nous ne sommes pas matérialistes parce que nous ne sommes pas nés dans la misère. Un Congolais doit tous les matins partir à la recherche de nourriture pour sa progéniture, car il ne possède rien. D’ou sa cupidité des qu’il a l’occasion de s’enrichir, c’est pourquoi les leaders de ce pays ont tellement volé, parce qu’ils ont connu la misère dans leur enfance et espèrent améliorer d’un seul coup leur condition. Ils ne pensent pas à leur pays, mais à leur famille. Un tutsi a des vaches, c’est sa richesse, sa banque, son gage. Enfant, je buvais chaque jour du lait, et comme tu sais le lait rend intelligent. A Kigali, les gens sortent aussi, mais dans chaque bar on voit des petits groupes discuter de la politique, de l’avenir de leur pays. Le Rwanda vient de subir une guerre et est moins riche que le Congo, mais personne n’a faim et regarde un peu l’état des routes! Un Congolais ne fait rien pour son pays, il ne pense qu’à danser et s’amuser...». «Les «banyamulenge» ont été victimes de discriminations pendant des années dans ce pays, mais cela appartient au passé: aujourd’hui chaque «Munyamulenge» envoie ses enfants à l’armée dès ses treize ans... il devrait y avoir une nouvelle conférence de Berlin, les frontières coloniales devraient être revues... Le refrain est semblable. Les Banyamulenge ont beau être pauvres sur leurs hauts plateaux, ils ont beau ne pas avoir étudié, ils sont supérieurs aux autres, ils appartiennent à un peuple élu...»
Par ailleurs, l’attachement aux intérêts du Rwanda au détriment de ceux du Congo, le lien intime conservé avec le pays d’origine font soupçonner une certaine déloyauté vis-à-vis du Congo. La revendication de la double nationalité, qui consacrerait une double appartenance à deux pays voisins aujourd’hui impliqués dans de relations conflictuelles, n’est pas sans poser des problèmes.
En se laissant utiliser par le Rwanda au nom de cet attachement au pays d’origine, les rwandophones du Congo ont compliqué leur intégration dans ce pays.
Sans nul doute, leur situation rappelle celle des Allemands des Sudètes. Habitant la Bohème, région de l’ancienne Tchécoslovaquie frontalière de l’Allemagne, cette population se montra plus allemande que tchécoslovaque.
Hitler y suscita un parti satellite du parti nazi qui réclama l’indépendance des Sudètes. En 1938, saisissant le prétexte d’exactions supposées contre les Allemands des Sudètes, le chef nazi s’appuya sur ce parti pour annexer la Tchécoslovaquie. Les rwandophones du Congo vont-ils encore servir une aventure similaire après deux échecs cuisants? Les gesticulations d’un Nkunda qui dénonce les massacres des «banyamulenge » et ensuite les dément, illustrent une autre erreur.
Pour s’en sortir
La nouvelle agression rwandaise contre la République démocratique du Congo semble se terminer par un fiasco, une fois de plus, bien que des mouvements de troupes rwandaises soient encore signalés sur le territoire congolais.
Cette issue provisoire est certes le fruit d’une triple fermeté. Celle du peuple congolais ulcéré d’être une fois encore humilié, celle du gouvernement qui a pris ses responsabilités pour sauver la transition et enfin celle de la communauté internationale qui ne veut plus laisser un groupe d’individus prendre en otage un peuple, ni une communauté, ni une région désireux de stabilité et de prospérité.
Si une aventure irresponsable a tourné court, les problèmes de fond demeurent. Le Rwanda va-t-il enfin laisser les Congolais s’organiser et gérer leur pays sans chercher à s’y ingérer? Va-t-il renoncer à l’occupation larvée des deux Kivu en installant: des milliers de ses ressortissants? Va-t-il renoncer à noyauter l’Armée congolaise en disséminant des unités de sa propre armée sur le territoire congolais sous prétexte que ce sont des rwandophones congolais? Va-t-il cesser d’exiger l’allégeance des cadres du Rcd présents dans les institutions de la transition?
S’agissant des rwandophones du Congo, leurs ressortissants
alliés du Rwanda vont-ils enfin réaliser que cette compromission met en danger leur communauté qu’ils prétendent protéger? Vont-ils couper le cordon ombilical avec le Rwanda et couper ainsi court à tout soupçon de connivence avec un régime belliqueux envers le Congo? Les rwandophones congolais vont-ils enfin donner des gages d’intégration à la communauté nationale en arrêtant la logique des fiefs qui prévaut dans les territoires unifiés, en acceptant d’être des citoyens comme les autres, sans rechercher à être une Armée dans l’Armée ou une communauté à part bénéficiant de privilèges spécifiques qui justement les singulariseraient des autres et attiseraient leur ressentiment défendre leurs droits par la force, avec l’apparente protection d’un pays qui instrumentalise leur cause pour défendre ses intérêts à lui?
Quant aux Congolais de souche, vont-ils se départir de l’intégrisme identitaire et mettre fin aux conflits ethniques qui déchirent la société et annihilent la conscience nationale? Vont-ils accepter le pari de l’intégration des citoyens d’origine étrangère et juger chaque individu, non pas en raison des origines qu’il n’a pas choisies mais de ses choix et de ses idées dont il peut répondre? Vont-ils cesser les généralisations dirigées contre des communautés, sortir de la logique hideuse de la morphologie comme s’il y avait une morphologie pure et une morphologie impure? Vont-ils développer la conscience nationale et s’ouvrir à une citoyenneté fondée non sur le sang qui n’a jamais été pur nulle part, car les peuples se mélangent toujours mais sur la participation à la vie qui seule enrichit l’existence collective? Vont-ils mieux s’organiser, adopter une culture politique imprégnée du sens de l’Etat et de l’intérêt du peuple? Vont-il se donner les moyens de mettre sur pied une armée forte et une administration efficace? Vont-ils apprendre à sacrifier les intérêts particuliers à l’intérêt collectif, cultiver la cohésion nationale et privilégier l’essentiel tel que défini dans l’Accord global et inclusif au lieu de compromettre la transition au nom des intérêts spécifiques? ..,
Quant à la communauté internationale, va-t-elle appuyer le gouvernement dans trois opérations essentielles: le contrôle des frontières avec le Rwanda, l’identification des soldats à intégrer dans l’Armée, la réalisation des opérations liées à l’intégration, le renforcement des forces de la Monuc ?
Le dénouement provisoire de la crise appelle un hommage à tous les principaux acteurs, en l’occurrence le peuple congolais, notamment la jeunesse estudiantine, le gouvernement avec l’armée et la police et enfin la Communauté internationale avec la Monuc.
En vue de parvenir à une paix durable et stabiliser une région restée explosive depuis des décennies, quelques pistes devraient être envisagées.
D’une manière générale, on doit cultiver dans la région des valeurs telles que le respect du droit international, le respect de la diversité culturelle, l’attachement aux droits humains, la démocratie et la solidarité défendre les intérêts du Congo, rien que du Congo. L’intégrisme identitaire ainsi que les discriminations qu’il engendre sont à bannir.
Le gouvernement congolais devra:
- Contrôler rigoureusement les frontières nationales;
- Se doter d’une Administration efficace capable de contrôler les mouvements des populations;
- Se doter d’une Armée capable de défendre l’intégrité territoriale;
- Renforcer l’esprit patriotique;
- Renforcer la conscience nationale;
- Sévir contre l’indiscipline et l’esprit de faction dans l’Armée
- Faire voter des lois qui répriment l’ethnicisme ;
- Favoriser la cohabitation et la tolérance entre les communautés culturelles par-delà leur diversité :
Les Rwandophones du Congo devront:
- Donner des gages d’intégration à la société d’accueil par le respect des lois et des coutumes de celle-ci ;
- Choisir nettement entre la loyauté vis-à-vis du pays d’origine et le pays d’accueil ;
- Cesser de se considérer comme une communauté à part qui aurait des droits spécifiques;
- Accepter de se mélanger aux autres Congolais sans complexe dans toutes les institutions sociales et étatiques.
La dernière décennie du siècle passé aura été en République démocratique du Congo une décennie décisive. Deux guerres ont remodelé le paysage – politique - et affaibli un Etat et une société qui étaient déjà fragiles.
Les relations de la République démocratique du Congo avec ses voisins de l’Est sont désormais un des paramètres de sa stabilité. Si un pays comme le Rwanda ne lève pas l’option de privilégier les rapports de bon voisinage, la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat ainsi que le règlement pacifique des différends conformément à la Charte des Nations-Unies, si la communauté internationale ne se porte pas suffisamment garante du respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de la Rdc, alors les Congolais devront défendre ces valeurs par tous les moyens, sous peine de voir leur pays balkanisé.
