Le devoir de rêver
Le choc de passage du 20e au 21e siècle a non seulement révélé les exploits de l'industrie humaine durant 20 siècles, mais aussi les mensonges et erreurs accumulés pendant cette période, surtout durant le dernier siècle. Il a par conséquent suscité des résistances et de nouveaux rêves. Le conflit entre le vieux et le nouveau a produit une crise complexe à tous les niveaux : anthropologique, culturel, institutionnel, juridique et politique. Il a ainsi créé d'une part des nostalgiques et fondamentalistes qui veulent arrêter le cours de l'histoire, et des insurrectionnels et rêveurs qui acceptent réellement la logique de la vie et la dynamique du changement, d'autre part. Entre les premiers et les seconds, il existe une catégorie intermédiaire qui cherche difficilement le dialogue et l'équilibre. La situation actuelle de nos sociétés manifeste par conséquent un vide notoire sur les plans moral, juridique et politique ; ce qui crée l'inquiétude, paralyse les institutions, indique des défis majeurs et suscite des rêves au milieu des frustrations. Pour répondre à ces défis (esquissés dans les réflexions suivantes), il importe d'être présent en ces conflits existentiels, de les apprécier objectivement, d'y semer ensuite la semence de l'Evangile et de réhabiliter le devoir de rêver : rêver d'une Terre nouvelle et des sociétés prospères et pacifiques. Cet idéal implique nécessairement des sacrifices à consentir, un changement de vie radical.
Elaboré sur une période plus de 100 ans de réflexions et de prières intenses, l'enseignement social de l'Eglise montre que nous avons encore le droit et le devoir de rêver d'un monde plus juste et plus pacifique. Toutefois, il sied de noter que ce rêve se situe sur la frontière entre la réalité et l'utopie, entre l'action et le projet, et entre l'humanisme et le naturalisme. Et le travail pour la justice et la paix sociales requiert non seulement la discipline et l'information, mais également et surtout le respect de quatre principes suivants : la dignité de la personne humaine, le bien commun, la solidarité et la subsidiarité. Le Magistère de l'Église nous apprend en fait que "la paix est le fruit de la justice"(Pie XII), "le fruit de la solidarité"(Jean-Paul II), le fruit du travail assidu : "le chemin de la paix passe par le développement"(Paul VI).
Attentifs aux conflits actuels dans nos sociétés du XXIe siècle, les auteurs des articles de ce troisième numéro de Libera Cogitatio semblent percevoir quelques défis de notre temps et veulent les relever, ils veulent libérer les cris et les capacités de l'Afrique étranglée, ils veulent participer à la construction des sociétés africaines plus justes, plus travailleuses, plus solidaires, plus prospères et plus pacifiques. Cependant, cette volonté ressentie doit se transformer davantage en actions concrètes concertées. Nous voulons certes un avenir meilleur. Mais, nous devons d'abord réhabiliter le devoir de rêver, de réfléchir, d'agir et de communiquer. Il nous faut encore accepter et intérioriser les exigences rationnelles du travail bien fait.
Par ailleurs, les réflexions rassemblées en ce numéro semblent légèrement puiser au projet "Cri du Congo" [1]. Certains de leurs auteurs rejoignent le peuple congolais et plus particulièrement le Mouvement des Femmes pour la Justice et la Paix par cette petite phrase : "nous voulons la paix". D'autres semblent avoir bien compris le message enfoui dans ces deux proverbes congolais [2] : "la vache qui va devant ne boira pas l'eau sale"(Moba) et "la vache qui reste derrière les autres doit supporter les coups de bâton"(Shi).
Fr. Corneille NTAMWENGE, op
Jeunesse du Monde Kinshasa.
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