NINDJA SOUS LA BARBARIE DES AFDLR* ET DES RASTAS*

Les rescapés de Nindja racontent et s'interrogent !

Lorsqu’on tue, disait un jour un rescapé, quelqu’un reste toujours pour raconter. Raconter c’est empêcher que le mal atteigne tout à fait son but qu’est celui d’œuvrer dans l’obscurité, d’effacer ses traces. Des rescapés du massacre de Nindja parlent : ils ne peuvent pas dire leurs noms, mais nous rassurons quiconque qu’ils sont dignes de confiance. C’est un cri qui vient des profondeurs de la terre, du dessous du terrain où marchent fièrement de nombreux Congolais, puissants politiquement, financièrement, ou parce que seigneurs de guerres. Si nous n’écoutons pas ces cris jusqu’aux plus hauts niveaux de la politique, cessons d’envoyer des aides, cessons de prononcer de vaines paroles, évitons d’accumuler des dossiers pour des jugements à venir. Et, dans l’avenir, évitons de faire des commémorations. C’est maintenant qu’il faut intervenir par humanité et avec détermination. Ce drame peut s’arrêter : les autorités nationales congolaises et internationales peuvent le faire cesser. Dans les pages qui suivent, nous rapportons le témoignage rendu par des habitants de Nindja, en limitant notre apport aux seules notes au bas des pages. A travers ces pages, quelque lumière apparaît quant à l’identité de ces groupes armés qui meurtrissent les populations des forêts du Sud-Kivu.

Nindja, une population dans la forêt du Sud-Kivu
Dans le Territoire de Kabare, au Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo, se trouve la vaste chefferie de Nindja, à environ 80 km de la ville de Bukavu. Nindja comprend les groupements d’Ihembe, d’Iregabarhonyi et de Luhago. Dans chaque groupement se trouvent de nombreux villages. C’est dans les villages du groupement d’Ihembe que dans la nuit du 23 au 24 mai un grave massacre a été perpétré. Cet épisode s’inscrit dans les conditions d’oppression générale des villageois du Sud Kivu que nous allons d’abord décrire avant de présenter nos évaluations et nos requêtes.

Vivre sous le pouvoir des AFDLR…
Les militaires des AFDLR se sont installés à Nindja depuis deux ans. Ils venaient de Kisangani, de Kinshasa, de l’Equateur, du Bas-Congo. Ils appartiennent à la 121ème brigade. Après leur arrivée, ils se sont divisés en deux parties : Rastas et AFDLR. Les AFDLR sont restés dans la Chefferie, mais les Rastas en se révoltant, se sont séparés et sont repliés dans la forêt de Mugaba, à la limite entre Ngweshe et Nindja, dans le territoire délimité par la route qui relie Nindja et Walungu-Kaniola, en continuant par la route qui mène à Kabare, jusqu’à l’Antibwaki, ils ont ainsi pris possession de ce territoire.
Les AFDLR qui se trouvent dans la Chefferie de Nindja sont organisés en deux secteurs. Au groupement d’Ihembe il n’y a que des militaires. Au groupement d’Irengabarhonyi, ils ont installé leurs familles, cultivé des champs et même planté des palmiers. Ils ont leur Administrateur et leurs propres chefs de quartiers. Il n’y a qu’eux dans leur village. Les AFDLR lèvent des taxes sur tous les vendeurs des marchés de leur territoire ainsi que sur la route, à l’allée comme au retour du marché. En plus, les AFDLR exigent qu’on leur donne une partie de la farine vendue au marché. Les coupeurs des noix de palme ne sont pas épargnés car devant aussi payer. Chaque camion qui vient prendre livraison des planches doit payer 10 dollars. L’argent récolté de ces différentes manières gonfle chaque jour leurs caisses. Ils disent qu’ils paient les salaires à la fin du mois ! Une autre partie est envoyée en Europe pour l’achat des téléphones portables et d’autres appareils de communication ou encore des panneaux solaires. La dernière partie sert aux activités commerciales. En effet, dans tous les marchés du territoire, ce ne sont que les AFDLR qui vendent des produits « divers », achetés ailleurs. Eux seuls ont le droit de faire arriver la vache qui sera égorgée au marché et comme dans toute entité où la loi s’applique à tous, même celui d’entre eux qui l’amène, la tue et la débite, doit payer une taxe. En outre, chaque famille de la Chefferie doit verser aux AFDLR une demi mesure de farine et 50 Francs congolais par semaine et malheur à l’infortuné auquel manque le tribut de César car il sera emprisonné et ne rachètera sa liberté qu’en payant une caution de 10 dollars. Lorsqu’ils font irruption dans la bananeraie de n’importe quelle famille, ils coupent des régimes de bananes, préparent la boisson traditionnelle ( kasigisi ) qu’ils peuvent seuls vendre au marché. L’humiliation que les AFDLR fait subir aux villageois de Nindja a atteint la démesure: un jour, sur la route, ils ont contraint un jeune homme à leur porter un poids. Vous vous doutez de la taille et de la nature dudit poids, il ne s’agissait que d’une petite cassette enregistreuse ! Le jeune a réagi à l’humiliation et il a été blessé et pourtant, faute d’une autre forme d’autorité et de protection face aux terribles Rastas, nous n’avons que ces AFDLR comme seul recours dans le Territoire de Nindja.

…et des Rastas
Les habitants de Nindja effectuent un véritable voyage en se rendant au marché de Mugogo le vendredi, ils y font leurs achats le samedi et s’en retournent chez eux dimanche. Depuis 2004, les Rastas ne cessent de les traquer sur la route. C’est alors que les femmes sont violées, tout passant est dépouillé de tout au point qu’hommes, femmes et enfants reviennent chez eux en sous-vêtements ou nus. Si quelqu’un tente son salut dans la fuite, on lui tire dessus et on le tue.
Les Rastas emmènent tout ce qu’ils trouvent, personnes et biens, dans la forêt : les hommes pour porter le butin, et les femmes pour servir comme esclaves sexuelles. Ainsi, les jeunes filles, les mamans, les fillettes d’à peine dix ans, et même de vieilles femmes de 60-70 ans ou plus font le plaisir de ces hommes. Arrivés dans leurs camps, les hommes sont généralement renvoyés et les femmes gardées. Lorsque l’une d’elle tombe enceinte, ils la renvoient au village ou la tuent.
Dans notre forêt, il y a de l’or que de nombreux villageois creusaient dans le temps, mais à présent, nos creuseurs ont disparu en raison des violences maintes fois subies. En 2004, neuf creuseurs et trois scieurs ont été tués à la hache dans la forêt de Migaba, tout près de chez Kashonga.
A l’époque, les Rastas n’avaient pas encore commencé la pratique de la rançon en vogue aujourd’hui. En 2005, les Rastas ont commencé à attaquer les villages la nuit et à enlever des hommes, des femmes et des enfants en grand nombre avant de réclamer une rançon de 100 dollars par individu ou par « tête » pour utiliser leur propre terme. Ils choisissent une ou deux personnes du groupe des enlevés qu’ils renvoient au village chercher l’argent. Si on est envoyé à 8 heures du matin, il faudra revenir avant 8 heures du jour suivant, faute pour ce faire, on sera devant des corps sauvagement mutilés et sans vie du reste du groupe d’otages. Si l’argent de la rançon arrive en retard parce que trouvé difficilement, les ravisseurs le prennent néanmoins en exhibant cyniquement les cadavres. Et en pareilles circonstances, on les entend toujours dire : « Vous avez dépassé l’heure que nous vous avions fixée, vos frères ont déjà été tués, mais vous ne retournerez pas chez vous avec l’argent ». Ceci s’est passé depuis le mois de janvier jusqu’au mois d’avril 2005. Le prix au début était de 100 dollars USA par personne, en avril il est monté à 150 dollars par personne et même à 200.
Les familles de Nindja, appauvries par d’innombrables pillages, se sont prêtées mutuellement l’argent pour payer les rançons. A présent que toutes ces familles sont dépourvues de moyens pour rembourser les dettes, les risques des conflits et des procès sans fin sont à craindre avec des conséquences sur la cohésion sociale qui devrait pourtant sauver les villageois.
Le traitement maintes fois infligé aux femmes est d’une atrocité sans nom : il n’est pas rare qu’après les avoir violées, ils leur tailladent le vagin avec une lame de rasoir. Aux hommes violés, ils introduisent dans l’urètre une colle spéciale (qu’on appelle « super glue ») qui les empêche d’uriner. La vessie se gonfle des urines longtemps retenues, éclate et entraîne la mort de la personne. Tout cela nous l’avons supporté.
Depuis le début de cette année, les Rastas ont commencé à demander que chaque localité de la chefferie leur remette chaque semaine 50 kg de farine et de l’argent. Argent et farine doivent être déposés à l’endroit indiqué. La population de Kabona a accepté : « Que devons-nous faire ? Nous sommes sur leur territoire ! ». Si la population d’un village, dépassée par le versement du tribut devant entretenir le groupe des AFDLR et celui des Rastas refuse, elle n’a de réponse que : « Vous allez voir ! », et là alors, c’est la guerre. Tel a été le cas à Kabuye où ils sont arrivés deux fois en pleine nuit, ont enlevé des personnes et exigé le paiement de la rançon. A Ihembe, la population avait refusé de donner cette deuxième contribution s’estimant elle-même exposée à la famine. A la fin, les gens avaient dit : « Si les AFDLR nous demandent de remettre leur ration aux Rastas, nous le ferons ». Les AFDLR ont refusé la cession de leur part, massacre s’en est suivi.

Qui composent le groupe des Rastas ?
Au groupe initial constitué de Hutus rwandais, beaucoup d’autres se sont joints. L’année passée, pendant la guerre de Mutebusi et Nkundabatware à Bukavu, la prison centrale de Bukavu a été ouverte et une vingtaine de voleurs à mains armées se sont enfuis et ils ont rejoint les Rastas. Un major natif de Walungu, qui avait appuyé l’action de Mutebusi, s’était enfui au Rwanda après la reprise de Bukavu. Il en est revenu peu après, envoyé par Paul Kagame, avec 60 militaires congolais rejoindre les Rastas. D’autres déserteurs des troupes de Mutebusi et Nkunda ont aussi rejoint les Rastas, de même que les Mudundu 40 ; ensemble, ils ont construit un grand camp dans la forêt, avec tentes et huttes. Donc, ceux-là qu’on appelle actuellement Rastas, étaient au départ, des Hutus qui se sont écartés des AFDLR, auxquels se sont jointes des forces congolaises.
Les AFDLR nous ont rapporté qu’un Rasta congolais fait prisonnier avait avoué lors d’un interrogatoire que le Président rwandais Paul Kagame est le Commandant suprême des Rastas. Il avait avoué par ailleurs que le but de cet amalgame de gens dans la forêt est la préparation de la 3ème guerre en RDCongo. Ce prisonnier a aussi affirmé que chaque semaine, un hélicoptère en provenance du Rwanda atterrit au camp des Rastas. De cet appareil sortent biscuits, farine, munitions et argent cependant qu’il emmène vers le Rwanda le sang des personnes égorgées ainsi que leurs têtes. Le deuxième but des Rastas, est de salir ou de décrédibiliser les AFDLR devant l’opinion internationale.
Lorsque nous avons demandé aux responsables sur place des ADFLR s’ils ne pouvaient pas entamer une négociation avec le chef des Rastas, ils nous ont dit qu’en février et mars 2005, les AFDLR avaient invité les Rastas à leur camp et les avaient même nourris, en vue de négocier, mais ces derniers avaient refusé toute négociation.
Lorsque le 16 mai, les jeunes ont fait leur marche de protestation à la suite des enlèvements du 13 mai, des AFDLR leur ont dit : « Ce que vous faites c’est bien. Criez au niveau national et international, mais tant que de Kinshasa ne nous viendra pas l’ordre de partir, nous ne partirons jamais d’ici ». Et ils ont ajouté que, lorsque les combattants Hutu rwandais combattaient à Kisangani aux côtés du Président Laurent Désiré Kabila, ils avaient signé avec lui un accord selon lequel, une fois la guerre terminée, Kabila les aiderait à rentrer par la force au Rwanda, en constituant préalablement pour eux en RDCongo une base arrière et un couloir. « Si le Président Joseph Kabila nous disait de rentrer au Rwanda, nous rentrerons », ont-ils ajouté.
Le Président des FDLR, Mr. Ignace Murwanashyaka, n’a aucune autorité sur les Rastas. Lorsqu’il est arrivé à Bukavu, au début sa tournée pour expliquer aux différents groupes AFDLR l’Accord de Rome et après avoir entendu les plaintes des populations meurtries, il a envoyé un émissaire demander aux AFDLR de mettre fin au mythe rasta avant qu’il n’arrive chez eux. Il n’est pas arrivé à Nindja, mais a parlé par phonie avec les AFDLR de Nindja en leur demandant de tuer ceux des Rastas qui s’attaqueraient de nouveau à la population.

Etranges complicités
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il existe comme une organisation interne et des secrets de polichinelle entre AFDLR et Rastas. Nous avons vécu avec certains Rastas au village. Après, nous avons remarqué qu’ils étaient partis vers la forêt, tel est le cas du Commandant Kibungo, qui contrôlait la position de Kabona. Ses compagnons nous ont dit qu’il était parti dans la forêt, chez les Rastas. Ils font la relève. Ainsi, nous ne savons pas distinguer les Rastas des AFDLR. Nous avons entendu les AFDLR dire : « Kiombe (chef des Rastas) est notre frère ». Ils nous ont expliqué que parmi les Rastas, il y a aussi 30 militaires des AFDLR qui avaient travaillé dans le temps avec les Mai-Mai. Les AFDLR n’aiment pas que les nouvelles des tracasseries arrivent à Bukavu, ni qu’on sache que beaucoup de Rastas sont issus des AFDLR.
Lorsque les habitants de Nindja voyagent, les AFDLR leur donnent trois ou quatre militaires pour les escorter. S’ils aperçoivent les Rastas du haut de la colline, ils se saluent chaleureusement alors que si un habitant de la zone va seul, ils l’enlèvent et l’emmènent dans la forêt. En voyant cela, nous nous disons qu’il doit y avoir une convention.
Ce n’est pas tant la peur qui retient les AFDLR à s’attaquer aux Rastas mais plutôt les intérêts politiques : « Ce sont nos frères ! Qu’est-ce que vous voulez que nous leur fassions ? Si nous les tuons, ce n’est pas vous Congolais qui nous aiderez à libérer le Rwanda ».
La population a demandé à voir vivants les Rastas prétendument capturés chaque jour, mais ils n’en ont jamais monté un seul. Dans l’attaque des AFDLR contre les Rastas le 25 mai 2005, soit après le massacre de Nindja, les AFDLR ont tué 6 Rastas congolais et fait prisonniers 3 Rastas rwandais. Lorsque la population a voulu les voir, les AFDLR ont dit : « Nous les avons envoyés dans un autre camp pour qu’ils y subissent le procès ». On a su qu’ils sont partis à Shabunda, très loin dans la forêt où d’ailleurs se dirigeaient d’autres Rastas en fuite.
Nous croyions que les AFDLR avaient établi un cordon de sécurité autour de la forêt, de Kabona à Mshwere. Pourtant, dans leur fuite suite à l’attaque du 25 mai, les Rastas sont passés à travers cette ceinture, mais les AFDLR n’ont pas réagi. Une fois qu’ils étaient passés, les AFDLR ont commencé à tirer en l’air pour distraire la population.

L’enlèvement du 13 mai
Le 13 mai, les Rastas sont arrivés à Cololo et ont enlevé douze personnes. Parmi celles-ci, le pasteur Rukeba, de l’église Vème CELPA, un sage de l’église, Kaboza Gendekeza, sa femme et leurs enfants qui se trouvaient à la maison ; un autre sage de l’église, Papa Bitaha, et toute sa famille, composée de douze personnes. Arrivés dans la forêt de Mugaba, près de leur camp, les Rastas leur ont demandé : « Qui parmi vous n’a pas d’argent à la maison ou bien ne peut pas en trouver chez des connaissances ? Nous le tuerons sur place sans que nous perdions du temps à le conduire au camp ». Le vieux Bitaha a répondu : « Moi, je n’ai pas d’argent, vous pouvez me tuer ». Ils ont commencé à le frapper en lui disant : « C’est toi qui a crié au village pour faire fuir les gens ». « Tuez-moi, alors », avait-il dit. Ils l’ont torturé pendant trois jours, lui ont mis la colle dans l’urètre. Deux jours après, le vieux a rendu l’âme après avoir enduré courageusement ses souffrances. Ceux qui sont restés ont été rachetés pour 1200 dollars et sont rentrés au village le lundi 23 mai, le jour- même où eut lieu l’odieux massacre de Nindja.
Suite à cet enlèvement, une marche pacifique fut organisée le 16 mai par les jeunes avec le concours des élèves de toutes les écoles pour demander aux AFDLR pourquoi on continuait à enlever les gens et pourtant ils étaient là. Sur leurs calicots, l’on pouvait lire : « Non au viol, non aux exactions, oui à la paix ». Après un dialogue au début tranquille, la discussion avait pris une chaude allure et les AFDLR avaient réussi à disperser les manifestants en menaçant de tirer des coups de feu. Dans la fuite, trois élèves avaient été blessés. Le jour d’après, les AFDLR ont invité les enseignants à Kabona et leur ont demandé les raisons de la marche en promettant la reprise de la discussion lorsque l’opération contre les Rastas prendrait fin. Une fois la réunion terminée, les AFDLR ont affirmé que les jeunes étaient allés les attaquer et détruire leurs maisons.

La journée du 23 mai 2005 : vaines alertes

Ce lundi 23 mai, à 17 heures, les Rastas sont apparus, sortant de la forêt de Kabona, où se trouve, perchée sur une colline, une chapelle catholique jouxtant un camp des AFDLR. Les Rastas descendaient la colline de Kabogwe : 12 militaires armés chacun de deux fusils et d’une machette. Ils étaient habillés des uniformes verts utilisés ordinairement par les FAC . En les voyant au loin, les villageois sont allés prévenir les AFDLR : « Nous voyons des militaires inconnus qui descendent ». « Peut-être sont-ce nos militaires qui sont dans la forêt et qui viennent pour prendre leur ravitaillement », ont répondu les AFDLR qui n’ont pas bougé.
Arrivés dans la localité de Kabona vers 20 heures, ces Rastas sont entrés dans une maison et ont demandé au père de famille de leur montrer le sentier qui mène à la localité de Kabuye. Il leur répondit qu’il ne le connaissait pas. Les Rastas partis, ce papa est vite monté au camp des AFDLR à Kabona pour les alerter : « Nous les avons vus, dit-il, ils ressemblent aux Rastas, aux militaires de Kiombe ». Ce n’est qu’alors que les AFDLR ont commencé à tirer en l’air pour alerter les gens afin qu’ils s’enfuient.

Les massacres dans la nuit
Les Rastas ont contourné le marché de Nindja, celui de Kashanja, et sont montés à Kamagema, où ils ont atteint la maison de Mr. Kahengera. Celui-ci, flairant le danger, avait trouvé refuge dans la forêt avec ses enfants. Mais les Rastas descendant d’en haut, avaient remarqué ses mouvements. Et d’ailleurs, de la forêt sortait le cri de ses enfants qui pleuraient de froid et de peur. Il pleuvait, cette nuit-là.
Les Rastas ont saisi Mr. Kahengera et l’ont conduit chez lui en laissant ses enfants seuls dans la forêt. Seul un petit garçon, Christian, orphelin de 12 ans, en voyant son grand-père emmené, se mit à pleurer et à le suivre. Les Rastas ont coupé les bras de Kahengera et l’ont frappé des coups de machette au cou et au dos. Ils lui ont retiré les reins sans les emporter. En voyant son grand-père ainsi tué, Christian pleura de plus belle. C’est alors qu’ils lui percèrent les yeux et le frappèrent à son tour avec la crosse d’un fusil jusqu’à le tuer. De même, Muhamuli Kahembe, fils de Kahengera fut tué : les Rastas l’avaient achevé d’un coup de machette dans la poitrine avant de lui extraire le cœur.
Poursuivant leur oeuvre, les Rastas sont entrés chez Mr. Nabugera où ils ont tué ses deux filles, une de 20 ans et une autre de 15. En écoutant le cri de ses filles, leur père a couru au camp des AFDLR à Lugerero en espérant qu’ils interviendraient pour les sauver mais il n’y trouva personne. En traversant le camp, il avait trouvé deux militaires auxquels il annonça la triste nouvelle, c’était vers 23 heures. Les deux militaires ont appelé leurs compagnons, mais au lieu de poursuivre les Rastas au quartier où ils étaient en train de tuer, ils sont allés leur préparer une embuscade sur la route de Kashanja.
Entre-temps, leurs « frères » continuaient l’opération. Ils sont arrivés dans la famille de Mr Kabushuli qu’ils ont tué et avec lui, sa femme et une fille. Sortis de ce quartier, ils ont investi la localité de Buhira. Ils se sont rendus immédiatement chez le Pasteur Mataba Nshombo qu’on cherchait à tuer depuis un certain temps mais celui-ci était en voyage. Sa famille avait pu s’enfuir. « Montrez-nous, disaient les Rastas, ces AFDLR dont vous vous vantez d’avoir la protection, ils vous délaissent ! ».
L’un des fils du Pasteur courut jusqu’au Bwami de Nindja, pour donner la nouvelle au chef. En ce moment-là, les AFDLR qui avaient commencé à tirer avec leurs fusils sont descendus chez le Pasteur. Arrivés sur place, ils n’étaient plus qu’à une petite distance des Rastas dont ils entendaient les voix. Mais ils n’ont pas osé contre- attaquer. Nous, habitants de Nindja, avons vu en cela un signe évident de complicité.
Enfin, lorsque le son de leurs voix a commencé à baisser, les AFDLR ont avancé et sont entrés dans la famille de Kanywesi. Ils ont trouvé que les Rastas avaient tué trois personnes et en avaient blessé quatre dont l’une d’elles mourra plus tard au centre de santé.
Un garçon qu’on avait ligoté à un arbre et auquel on avait coupé un pied suppliait les AFDLR : « Ils vont achever la population. Ils ont dit : Aujourd’hui, nous devons tuer cent personnes. Tirez sur eux, afin qu’ils laissent les gens en vie ». Les AFDLR ont refusé. Le jeune, bien que blessé, leur a dit alors : « Donnez-moi le fusil, que je tire moi-même ». Ce n’est qu’à ce moment-là que leur conscience s’est réveillée et ils ont commencé à tirer en l’air mais sans avancé d’un iota.
En remontant, les Rastas ont enlevé la femme de Kanywesi avec son bébé de 10 mois. Le pauvre enfant fut abandonné sur la route alors que les Rastas emmenaient avec eux la maman. Les AFDLR ont recueilli l’enfant et l’ont ramené à la maison en demandant aux villageois de conduire les blessés au centre de santé, il était 2 heures du matin.
Les Rastas sont montés avec la maman et un garçon d’environ 15 ans. Ils sont arrivés chez Mr Cibehe dans la localité de Nakarhwa. Pour avoir la vie sauve, il leur proposa une vache qu’ ils refusèrent. L’ayant ligoté, ils l’ont sorti de la maison avec son fils en leur demandant : « Où sont les AFDLR ? ». Le papa a répondu : « Je ne sais pas ». Ils ont dit : « Nous allons te tuer ». Ils lui ont assené un coup de machette au cou. Son fils et lui-même sont morts sur le champ.
Ils sont arrivés dans la famille de Muganga Cibogo dont ils ont tranché le pied à la machette un pied de son enfant de la 6è primaire. Par miracle, ce pauvre petit a survécu. Ils ont enlevé son père et son frère aîné. Arrivés près de la route, du côté de l’extension de l’Ecole primaire Kabona, ils ont tué par un coup de machette à la gorge la femme de Kanywesi qu’ils avaient enlevée.
A ce moment-là, ils ont commencé à discuter. Certains d’entre eux parlaient en mashi, d’autres en kiswahili, et d’autres enfin, en kinyarwanda : « Est-ce mieux que nous retournions par le chemin par lequel nous sommes venus ou bien faut-il que nous passions par la route ? ». Ils étaient en effet proches de la route. Ils ont décidé de passer par la route et ils sont entrés dans la forêt d’Ironge qui mène vers Kabare.
Arrivés dans la forêt de Muzingana, les Rastas ont rencontré deux scieurs et les ont enlevés après les avoir dépouillés de leurs habits. Avec ce groupe, ils ont emmené trois habitants des villages voisins. A quelques mètres de la cabane des scieurs, ils en ont tué un à la machette avant de poursuivre tranquillement leur progression dans la forêt.

Le 24 mai : nous informons les autorités, personne n’arrive

Le matin du mardi 24 mai est quand même arrivé ! Les survivants ont alerté les chefs AFDLR pendant que certains prenaient des photos des tués et des blessés. Par téléphone, nous avons informé la Monuc, les FARDC et le Gouverneur de province intérimaire. A 7 heures du matin, on a appelé Mr. Solide Chanikire, Président du Syndicat des Associations de Nindja, résidant à Bukavu, afin qu’il vienne avec un véhicule pour l’évacuation des blessés graves. Profondément choqué comme tous les originaires de Nindja, et sans tarder, il a trouvé le véhicule, pris la route pour n’arriver à Nindja qu’à 19 heures.
Le mardi 24 mai, la Monuc, bien qu’informée, n’est pas arrivée à Nindja. Le jour suivant, un de ses hélicoptères se contenta de survoler Nindja en quelques rotations. Le lendemain, il est revenu et a atterri au stade ; un journaliste en est descendu et s’est adressé à un homme de Cololo trouvé dans les alentours: « Comment va la population ? ». L’homme qui lui avait répondu que les gens s’étaient réfugiés au Bwami lui demanda d’arriver jusque là. L’enquêteur et ses compagnons de vol refusèrent au motif qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas s’éloigner de l’hélicoptère.
Ce même mardi, toute la population du groupement d’Ihembe (Localités d’Ihembe, Kamagema, Nakahwa, Mudaka, Kabuye 2 ) se sont réfugiés près du Bwami où il y avait, pour les protéger, cinq militaires des AFDLR ; au centre de santé, et à l’Ecole primaire de Nindja. Sur la demande pressante du Mwami, le commandant des AFDLR envoya six militaires pour assurer la garde de ces milliers de personnes.
A l’endroit où Mr Kahengera avait été tué, les Rastas avaient laissé une lettre sur laquelle à l’encre bleu, il était écrit : « Tangazo kwa Wakaaji wa Nindja » (Communiqué pour les habitants de Nindja). Le texte, écrit en rouge, disait : « Vous, habitants de Nindja, nous n’avions pas de problèmes avec vous. Et si vous n’aviez pas encore vu la guerre, ce que nous vous faisons, c’est le commencement de la guerre. Et celui qui vous amène cela, c’est votre Mwami et vos AFDLR. Pourquoi les AFDLR nous poursuivent-ils dans la forêt ? Nous n’avons ni champ ni maison, ni frères à Nindja. Mais maintenant, présentez vos cous, habitants de Nindja, notre machette est prête à les couper». Et ils ajoutaient : « Dites aux AFDLR de quitter la forêt ». Ils ont signé : « Rapides Rastas », en ajoutant un « Notez bien » : « Même si vous fuyez, même si vous faites n’importe quoi, nous tuerons d’abord 300 personnes, seulement alors nous pourrons nous reposer. Et si vous voulez que cela ne se passe pas, dites aux AFDLR de sortir de la forêt où ils nous poursuivent, qu’ils retournent en arrière. Ou bien dites-leur qu’ils choisissent : s’ils restent dans la forêt, nous resterons dans les villages, et si nous restons dans les villages, nous tuerons toutes les personnes qui s’y trouvent ».

Mercredi 25 mai: à la recherche des Rastas

Mercredi matin, à 4 heures, les AFDLR ont demandé à la population des jeunes qui leur indiquent le chemin pris par les Rastas lors de leur retour dans la forêt. On trouva quatre jeunes volontaires qui sont partis avec 12 militaires provenant aussi du camp de Kabona. Arrivés à la maisonnette des scieurs, ils ont trouvé le lieu où les Rastas avaient bu du jus « Super Dip » . Ils ont vu les habits déchirés des scieurs, et, à quelque distance de la maisonnette, le corps du scieur qu’ils avaient tué. Pris de peur, n’étant pas armés, mais étant surtout ignorants de ce qui semble être des conventions secrètes entre AFDLR et Rastas, les jeunes ont demandé de rentrer, ce à quoi les militaires n’opposèrent aucune résistance.
Entre-temps Solide était déjà parti avec les blessés. Etant au courant de l’existence d’une lettre des AFDLR dans laquelle on recherchait certaines personnes qui avaient organisé la manifestation du 16 mai, de nombreux jeunes avaient alors essayé de quitter Nindja mais la route était barrée pour empêcher aux gens de s’en aller. C’est très difficilement qu’ils purent atteindre Walungu et plus tard Bukavu après un supplément de marche sur 40 km.
Au total, dans l’attaque de la nuit du 23 au 24 mai, 14 personnes ont été tuées et 4 grièvement blessées. Cinquante personnes ont été emportées. Lors de l’attaque des AFDLR contre les Rastas dans la forêt, dix de ces personnes se sont enfuies, dont deux sont arrivées à Bukavu. On n’a pas de nouvelles des autres qui sont dans la forêt. Les Rastas n’ont pas demandé de rançon. Selon les témoignages de ceux qui se sont libérés, ils remarquèrent que trois ou quatre personnes étaient absentes du groupe. Les Rastas leur disaient : « On les a renvoyés à la maison ». Mais après, ils ont vu leurs cadavres. Un scieur rescapé s’était échappé et est rentré dans son village. Il a dit que les Rastas n’étaient pas restés dans la forêt d’Ironge, mais qu’ils avaient pris la direction de Kashonga et se dirigeaient actuellement vers Shabunda pour descendre à Nzovu.
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Pourquoi tuent-ils ?
Le 17 mai, la Société civile de Nindja a convoqué la population pour débattre sur la question de sa sécurité. Comme d’habitude, elle a appelé aussi les AFDLR à la réunion. Les AFDLR ont demandé à chaque habitant de fournir une mesure de farine comme contribution pour leurs militaires qui iraient en expédition dans la forêt afin de mettre terme au phénomène rasta. Les habitants ont accepté et ont commencé à donner cette farine.
Vendredi 20 mai, après trois jours , les AFDLR sont arrivés à un camp des Rastas, l’ont entouré et ont entendu qu’ils étaient en train de converser avec des femmes. A 5 heures du matin, les AFDLR les ont attaqués et repoussés loin dans la forêt. Les Rastas se sont enfuis en ne prenant que leurs fusils. Les AFDLR ont trouvé dans le camp une hutte de 4 m2 dans laquelle se trouvaient des munitions et 25 cartons de sardines ; du pain, des matelas et des choses volées. Chaque soldat est rentré au camp fatigué par le poids des choses qu’il transportait. Le reste fut brûlé. Cette attaque des AFDLR contre les Rastas ressemblait à une ‘politique’ ou à une manœuvre dilatoire. Pour illustrer ceci : au lieu de marcher quatre heures, les AFDLR ont employé trois jours pour atteindre les Rastas; ensuite, ils sont restés à coté de leur camp sans les attaquer, ils nous ont simplement expliqué qu’il s’agit d’une guérilla qu’ ils ne peuvent combattre que très difficilement.
Ensuite les Rastas ont régi à l’attaque en poursuivant les AFDLR dont ils ont tué trois alors que les AFDLR n’avaient pas encore tué un seul Rasta. Les Rastas ont accusé les habitants de Nindja d’avoir soutenu par leur contribution cette attaque, voilà l’un des prétextes du massacre.

Des autorités pouvant nous défendre

CHEFFERIE : La Chefferie n’a pas de mots à dire, elle est otage comme nous population. Si le chef parle, on cherche à le tuer, car les Rastas et les AFDLR ne veulent pas que les nouvelles arrivent à Bukavu. Malgré cela, il a tout de même le courage de parler et d’accuser : « C’est vous qui nous tuez ! »

FARDC : Les FARDC ne se trouvent pas dans le territoire de Nindja, ils n’y arrivent même pas ; ils ne se limitent qu’à Kaniola où ils ont érigé des barrières pour empêcher à la population de Nindja de passer car ils disent de nous que nous sommes des Rwandais. Les FARDC disent que Nindja n’a pas encore été récupéré par l’Etat congolais étant entendu que la zone demeure sous le contrôle total et sous la domination des AFDLR.

MONUC : La MONUC arrive à Nindja de temps en temps, fait une patrouille et se replie. Environ une fois par semaine, un hélicoptère de la Monuc atterrit à Nindja, c’est l’occasion pour la Monuc de tenir des réunions avec les AFDLR, rencontres auxquelles la population n’est jamais associée pas plus qu’elle n’est informée des résolutions y adoptées.

Ce que nous demandons :

Au GOUVERNEMENT :
- Que l’Etat nous dise si nous sommes encore des citoyens congolais ou s’il a déjà vendu notre chefferie au Rwanda. Pour notre part, la population pense que sans l’intervention du Gouvernement, elle ne pourra pas voter, parce qu’elle ne sait pas jusqu’à présent à quel Etat elle appartient.
- qu’il soutienne les FARDC et les envoie à Nindja, en leur donnant un salaire convenable et l’appui nécessaire. Si nos militaires ne sont pas payés, eux-aussi s’attaqueront à nous.
- que l’Etat intervienne pour payer les dettes dont les familles de Nindja sont criblées pour payer les rançons et qui risquent maintenant de créer des conflits entre elles.
- qu’il nous aide à traduire en justice les habitants du lieu qui servent d’éclaireurs à ceux qui nous traquent.
- qu’il prenne des dispositions face à la menace que représente pour nous le commandant rebelle des Fardc, le surnommé « 106 » étant donné que celui-ci veut s’approprier Nindja, y mettre ses militaires et s’attaquer à son tour à la population . Il a tenté plusieurs fois à s’associer des jeunes de Nindja sans succès. Nous avons demandé à nos enfants de ne pas accepter, mais d’attendre plutôt ce que nous diront les autorités de Bukavu. A présent, il est dans la forêt de Bunyakiri. « 106 » constitue une menace non seulement pour Nindja, mais pour le pays tout entier. Qu’en pense le Gouvernement? N’est-ce pas là une autre rébellion ?

Aux FARDC :
Que les FARDC s’installent à Nindja. Nous voulons que tous les AFDLR s’en aillent car s’ils s’en vont, les Rastas n’auront plus beaucoup de poids. Qu’on nous envoie des militaires des FARDC, qui puissent entraîner les jeunes aux techniques de l’autodéfense. Ils conduiront les militaires dans la forêt, à la recherche des Rastas.

A la MONUC :
- Que la MONUC applique le chapitre 7 de la Charte de l’ONU, comme elle l’a fait en Ituri.
- Qu’elle s’installe à Nindja. Si la Monuc ne fait pas ainsi, nous la considérerons comme complice de nos malheurs.

Témoignage recueilli le 7 juin 2005

Par Idesbald BYABUZE Katabaruka, Vicky CIHARHULA, Teresina CAFFI, Liévin Pacifique KARIO

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