Protestation contre l’insécurité organisée, les massacres et assassinats systématiques des civils et l’impunité entretenus dans la Province du Sud-Kivu.

N/Réf. : RADHO/MOD/013/06 Bukavu, le 10/04/2006

C.C. : - A S.E. Monsieur le Gouverneur de Province du Sud-Kivu à Bukavu
- A Monsieur le Commandant de la 10e Région Militaire à Bukavu
- A Monsieur l’Inspecteur Provincial de la Police Nationale Congolaise à Bukavu
- A Monsieur l’Auditeur Militaire Supérieur au Sud-Kivu
- A Monsieur l’Auditeur Militaire de Garnison à Bukavu
- A Monsieur le Chef de Bureau de la MONUC à Bukavu
- A Monsieur le Président de la Société Civile du Sud-Kivu à Bukavu
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A Son Excellence Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo
à Kinshasa

Objet : Protestation contre l’insécurité organisée, les massacres et assassinats systématiques des civils et l’impunité entretenus dans la Province du Sud-Kivu.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Nous sommes préoccupés au plus haut point par la recrudescence de l’insécurité dans la Province du Sud Kivu, les massacres et assassinats flagrants et systématiques des populations civiles perpétrés non seulement par les milices et bandes armées rwandaises opérant au Kivu (les FDLR et les Interahamwe) mais aussi par les éléments des forces armées et de la police militaire congolaises. Bien plus, les auteurs de telles atrocités qui choquent la conscience de l’humanité bénéficient d’une impunité généralisée qui ne peut que conduire à la révolte.

Point n’est besoin de revenir à nouveau sur les massacres, les viols systématiques et autres atrocités humanitaires infligées continuellement, jusqu’au jour d’aujourd’hui, aux populations civiles congolaises vivant dans les territoires ruraux du Sud-Kivu. Nous avons déjà dénoncé à plusieurs reprises ces actes barbares suffisamment documentés dans nos rapports respectifs mais sans succès. Bien au contraire, cette situation ne fait que s’empirer.

Aujourd’hui, la ville de Bukavu qui, contrairement aux territoires ruraux, se pacifiait déjà retombe dans une insécurité orchestrée et entretenue par des éléments armés. Qu’il nous suffise de relater quelques faits récents et troublants qui révèlent l’inertie des autorités politiques, militaires et judiciaires dans le drame qui sévit dans la Province et qui frappe la population civile.

L’Affaire Kabungulu.

En effet, le 31 juillet 2005 Mr Pascal Kabungulu Kibembi, secrétaire exécutif de l’asbl Héritiers de la Justice est assassiné à son domicile à Bukavu, par les militaires des FARDC. Un procès est engagé à cet effet devant le Conseil de guerre de garnison du Sud-Kivu. Les filières remontées en justice font apparaître, au cours d’un procès équitablement mené, que les autorités politico-administratives et militaires seraient également impliquées dans cet assassinat dont l’objectif est, au-delà du cas individuel déploré, d’intimider et museler les défenseurs des droits de l’homme. Comme la justice fonctionnait en toute indépendance et dans le respect des garanties du procès équitable, les autorités se ravisant que toute la vérité serait connue sur cet assassinat et que certains intouchables (autorités politiques, militaires et fonctionnaires publics) seraient probablement condamnés, le procès a été carrément suspendu sur instructions des autorités politiques.

Le cas de la séquestration et de la menace de mort à l’encontre de Maître Idesbald BYABUZE ce dimanche 9 avril 2006 à son domicile

Des militaires armés sont venus la journée du dimanche 9 avril 2006 au domicile de Me Idesbald Byabuze pour l’arrêter, au motif qu’il aurait incité la population à protester contre les assassinats des civils innocents perpétrés par les militaires. Ceux-ci ont déclaré avoir l’ordre de l’autorité militaire provinciale. Ce cas illustre que l’autorité militaire en place vise manifestement à intimider les faiseurs d’opinion, les défenseurs des droits de l’homme ou tous ceux qui protestent contre les injustices et brigandages qui élisent domicile dans la Province.

L’affaire d’assassinat de Mr BISHAMO Metre à Bukavu par le Colonel SIMBA USSENI des FARDC ;

Alors que l’infortuné se trouvait sur son lieu de travail aux Ets MUYEYE, le Colonel SIMBA USSENI, menaçant de prendre par force des pneus, a tiré à bout portant sur Mr BISHAMO pour avoir opposé une résistance. Et la mort s’en est suivie. Ce cas de triste mémoire illustre le comportement léger dans la manipulation des armes par certains éléments des FARDC à Bukavu.

Le cas des assassinats commis par des éléments armés dans le quartier Muhungu / Commune d’Ibanda

Ces derniers mois, nous déplorons déjà dans le seul quartier de Muhungu 11 cas d’assassinats ci-après dont 10 à domicile et 1 sur le lieu de travail : Mr Serge Mihigo Bashonga (étudiant à l’ISDR, tué la nuit du 10 au 11 février 2005), Mr Vincent Kahamire (Agent Bralima) et son épouse Rosette ( tués à domicile le 16 mars 2005), Mr Bishamo Baba Mushamuka (tué à son lieu de travail et publiquement par le Colonel Simba Useni la journée du 16 juillet 2005), Mr Pascal Kabungulu (tué le 31 juillet 2005), Mr Jacques Iragi (27 ans, étudiant en sciences infirmières à l’ISTM, tué la nuit du 23 novembre 2005), Mr Ladislas Kibiswa Itabingo et le Pasteur Kilenge Mwampula (abattus la nuit du 20 décembre 2005), Mr Tendi Longe (abattu le 30 janvier 2006 à son domicile), Mr Munganga (étudiant à l’ISDR) et Mama Patrick épouse de Jean Claude Burume Kadis (abattus la nuit du 30 au 31 mars 2006) et Mr Bisimwa Byenda Baba Prince (abattu la nuit du 7 au 8 avril 2006).

Les auteurs de ces assassinats bénéficient d’une impunité révoltante.

Les cas des vols à mains armées dans le quartier Funu / Cimpunda et la fusillade sur la foule de ses habitants rassemblés pacifiquement à l’Etat Major pour réclamer à l’autorité de faire justice.

Comme si les cas du quartier Muhungu susmentionnés ne suffisaient pas, les crimes de masse se sont étendus sur les quartiers de Cimpunda et de Ciriri. En effet, nous y déplorons l’assassinat de Mr Bijaci Mangara Constantin Shabadeux (abattu dans la nuit du 2 au 3 avril 2006 à la paroisse de Ciriri) et de mademoiselle Noella Zawadi Buhendwa (14 ans, élève à l’Ecole primaire) lâchement abattue la matinée du vendredi 7 avril 2006 par les Militaires de la 10ème Région militaire lors de la manifestation pacifique devant les bureaux de l’Etat Major. Il est étonnant de constater que l’autorité militaire de la Province, au lieu d’écouter les doléances d’une population civile ayant surpris des militaires en flagrant délit de vols à mains armées et les ayant accompagné de la clameur publique jusqu’à leur cachette dans les bureaux officiels de la police militaire, ait ordonné de tirer dans la foule des civils sans défense, occasionnant mort d’homme (cette fillette de 14 ans) et de nombreux mineurs blessés.

Excellence Monsieur le Président de la République,

A l’analyse des faits qui précèdent, il se dégage que cette insécurité, ces massacres et assassinats et l’impunité dont bénéficient leurs auteurs ne sont ni le fait du hasard ni une conséquence de la désorganisation routinière des institutions publiques congolaises. Le manque de volonté des autorités tant politiques, militaires que judiciaires de la Province d’assurer la sécurité des personnes et des biens et d’administrer une bonne justice est avéré. De toute évidence, les faits que nous déplorons et dénonçons relèvent d’une politique délibérée de certaines autorités publiques qui, en s’enlisant dans le brigandage et le crime ou en encourageant celles-ci par leur abstention coupable, visent à contraindre ou à inciter la population du Sud-Kivu - qui a choisi la voie de la paix et de la non violence - aux violences populaires et provoquer une guerre civile en vue de mettre en échec le processus électoral pour obtenir une autre prolongation de la transition dont ils tirent des dividendes financières et politiques évidentes.

Cela dit, en vue de garantir la sécurité des personnes et des biens, condition sine qua non du succès du processus électoral, nous recommandons à votre Excellence ainsi qu’à toutes les autorités qui nous lisent en copie, de prendre de toute urgence, chacune dans la sphère de sa compétence, les mesures suivantes :

1. Ordonner la démilitarisation de la ville de Bukavu ; que tous les militaires restent dans les casernes
2. Rétablir la justice sociale au sein de l’armée et de la police : payer non seulement aux officiers mais aussi aux hommes de troupe un salaire juste et équitable, assurer un contrôle systématique de la destination effective des fonds alloués à l’armée et à la police.
3. Adopter la politique de la « police de proximité » : ériger et responsabiliser des commissariats de police autonomes dans chaque commune comme l’exige la loi (article 41 du Décret-loi 2002 portant institution, organisation et fonctionnement de la police nationale congolaise), placer un poste de police de proximité dans chaque quartier en concertation avec les chefs des quartiers, ordonner aux autorités politico administratives et aux commandants de police de résider dans les entités administratives de leur affectation.
4. Affecter une partie des recettes de la Province au secteur de la sécurité et faire participer la société civile aux mesures prises pour la protection de la population et au suivi des moyens y afférant.
5. Doter la justice militaire de moyens humains et matériels élémentaires (véhicule, ordinateurs, fournitures de bureau), garantir et respecter son indépendance. Mettre fin aux interférences du politique dans le travail de la justice.
6. Réhabiliter et sécuriser de toute urgence la prison centrale de Bukavu afin que les personnes dangereuses condamnées par la justice et qui y seront détenues ne s’évadent et retrouvent le chemin du crime.
7. Mettre sur pied une commission d’enquête indépendante et mixte (Auditorat militaire, chefs des quartiers concernés, Société civile) chargés de faire des investigations sur les différents cas d’assassinats et vol à mains armée dans la ville de Bukavu et de soumettre les résultats desdites investigations à la justice en toute célérité ;
8. Entreprendre et encourager les mesures concrètes de lutte contre l’impunité :
- Relancer le procès de l’assassinat de Mr Pascal Kabungulu Kibembi et laisser la justice suivre son cours normal sans interférence politique ;
- Replacer en détention préventive les prévenus civils et militaires impliqués dans le procès Kabungulu car les faits sont particulièrement graves et leur fuite est à craindre,
- Clôturer en toute célérité le dossier judiciaire du Colonel Simba Useni - assassin de BISHAMO Metre, gérant des Ets Muyeye - et le ramener à Bukavu pour y purger sa peine ;
- Déclencher et conduire en toute célérité les poursuites judiciaires contre les militaires et agents de la police militaire impliqués dans les vols à mains armées, les assassinats et fusillades publiques des populations civiles sans défense, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
9. Infliger des sanctions disciplinaires - sous réserve des poursuites judiciaires - aux autorités politiques et militaires impliquées par action ou par omission dans l’insécurité qui bat son plein dans la Province du Sud-Kivu et dans les actes de barbarie qui s’en suivent.

Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de nos considérations distinguées.

Pour les associations de défense des droits de l’homme du Sud-Kivu :