La liberté d'expression mise en mal à l'Est de la RD Congo
(Source : Rsf/Ifex-Le titre est de JPDH)
Les violences et les actes de banditisme, voire les homicides, commis par des hommes en uniforme se sont multipliés ces dernières années dans l'est de la RDC, entre autres envers les journalistes. Ceux-ci sont vus comme une source de revenus faciles, du fait qu'ils possèdent souvent de l'argent liquide, des enregistreurs, des appareils photo numériques ou des téléphones portables. Ainsi, à titre d'exemple, dans la soirée du 20 décembre 2005, Ladislas Kibiswa Itabingo, chargé des émissions en langue kirega de la radio rurale Apide (Appui et conseils aux projets et initiatives de développement endogène), basé à Kamituga (Sud-Kivu), a été abattu par trois hommes en uniforme, au domicile d'une femme qui l'hébergeait à Bukavu. Le journaliste s'était rendu à Bukavu pour voter dans le cadre du référendum constitutionnel du 18 décembre. Le mobile des assassins, qui ont également tué un vieillard qui habitait la même maison, n'est pas clair. Deux jours plus tard, le 23 décembre, Tuver Wundi, journaliste de la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC, radio publique), a été pris en otage, en compagnie de sa famille, par un commando de cinq hommes armés qui ont saccagé son domicile de Goma (Nord-Kivu) et volé près de mille dollars, ainsi que des appareils électroniques. Le lendemain, Kady Azuba, journaliste du Centre Lokole, filiale de l'organisation internationale Search For Common Ground (SFCG), a été dévalisée par trois hommes armés en uniforme, alors qu'elle rentrait, dans la soirée, de la messe de Noël. Dans la nuit du 4 au 5 décembre, une jeune journaliste de la radio communautaire Messager du peuple, Justine Kuonewa, basée à Uvira (environ 130 km de Bukavu), a été attaquée et dévalisée à son domicile par un commando d'au moins trois hommes armés et en uniforme. Après l'avoir ligotée et menacée, ses trois agresseurs ont emporté deux téléphones portables, un enregistreur à mini-disques, des cassettes audio, son carnet de notes, ainsi qu'un ordinateur, un téléviseur, deux enregisteurs à cassettes, 230 dollars en liquide et divers autres biens qu'elle devait remettre à son employeur. Quatre mois plus tôt, le 23 août 2005, Robert Kwigomba, journaliste de la RTNC à Bukavu, avait été retrouvé mort non loin de son domicile, avec des traces de liens aux poignets et aux pieds. Les circonstances de sa mort n'ont jamais été élucidées. Le jour de son enterrement, son père et sa veuve ont affirmé que le journaliste s'était dit menacé par des hommes qu'il ne voulait pas nommer, "pour ne pas créer de problèmes entre les familles". Aujourd'hui, l'insécurité demeure. Si nombre de civils sont indistinctement victimes de violence, les journalistes ou enquêteurs d'organisations de défense des droits de l'homme continuent d'être des cibles. Les suites de l'affaire Kabungulu, notamment, continuent de peser sur un climat déjà difficile. Ainsi, tôt dans la matinée du 7 avril 2006, trois militaires sous les ordres d'un certain "lieutenant T2" se sont présentés au domicile du juriste Idesbald Byabuze Katabaruka, professeur à la faculté de droit de l'Université catholique de Bukavu (UCB) et militant des droits de l'homme, témoin dans l'affaire Kabungulu. Les trois hommes en uniforme ont d'abord frappé à la porte de l'appartement voisin et ont demandé : "Où est le professeur de l'UCB ?". Malade depuis plusieurs jours, Idesbald Byabuze était sur le balcon de son domicile en compagnie de sa soeur, députée, lorsqu'il a entendu la conversation. "J'ai tout de suite compris qu'ils étaient venus me chercher", a-t-il raconté. "Après s'être présentés chez moi, les militaires ont demandé à me voir, mais ma soeur s'y est opposée en présentant son macaron de députée." Le chef du groupe a alors téléphoné au commandant de la 10e région militaire, le général Matthieu Agolowa Kangilo, pour demander des instructions. L'officier supérieur a ordonné à ses hommes d'utiliser la force pour pénétrer dans le domicile. "Ma soeur est également intervenue auprès d'autres officiels, qui ont saisi le général, mais sans succès", déclarait-il dans un courriel envoyé le lendemain à l'association "Les amis de la paix du Sud-Kivu". "Ma santé se dégrade. Les militaires se relaient devant mon appartement. Ils sont maintenant en civil pour tromper ma vigilance", concluait-il. Depuis cette date, Idesbald Byabuze est sorti de la clandestinité, après que les autorités ont pris l'engagement de garantir sa sécurité.
Le 9 avril, vers 21 heures 30, Dieudonné Malekera Bahati, rédacteur en chef de l'hebdomadaire privé "L'Aurore", a été interpellé par trois militaires armés, à proximité de son domicile, avenue du Pesage, à Bukavu. Leur chef a immédiatement braqué une lampe torche sur ses yeux. S'exprimant en swahili, il a appelé le journaliste par son nom et lui a lancé : "Nous savons que tu es journaliste et que tu prépares ton prochain numéro, dans lequel tu accuses les militaires d'être à l'origine de l'insécurité qui règne en ville. Tu parles beaucoup du général Agolowa." L'un des hommes a alors fait tomber le journaliste dans la boue. Un autre l'a fouillé intégralement, examinant un à un les papiers qu'il portait sur lui. Les papiers et son téléphone portable lui ont été rendus, mais les trois militaires ont volé les 200 dollars qui étaient destinés à l'imprimerie du journal et la carte SIM contenant le répertoire du journaliste, avant de quitter les lieux, en direction du camp militaire Saïo. Le jour suivant, soit le 10 avril vers 2 heures du matin, deux hommes armés et en uniforme ont fait irruption au domicile d'Emmanuel Barhayiga Shafari, directeur de l'hebdomadaire "Le Souverain primaire" paraissant à Bukavu. Sous la menace de leurs armes, les agresseurs ont enjoint le journaliste de leur remettre tous les documents en sa possession concernant les suites de l'affaire Kabungulu, notamment les photographies, prises lors du procès, des colonels Thierry Ilunga et Simba Husseni. Ils ont également exigé que leur soit remise la photographie d'Idesbald Byabuze. Après qu'Emmanuel Barhayiga leur a expliqué qu'il ne conservait pas ces documents chez lui, les trois militaires ont quitté les lieux en promettant de revenir et de lui réserver un sort "pire que la fois dernière". Moins d'un an auparavant, le 15 juin 2005, le journaliste avait été agressé par plusieurs hommes en civil devant le panneau sur lequel il affiche son journal, en face de sa rédaction située dans l'immeuble Maison bleue, non loin de la place Feu rouge, à Bukavu. En le frappant, ses agresseurs lui avaient demandé: "Quel intérêt tu as à jouer avec ta vie en racontant dans ton journal tous les faits et gestes des militaires?" Frappé à la tête avec une pièce d'amortisseur d'automobile, il avait dû être hospitalisé. Aussitôt, Emmanuel Barhayiga avait décidé de se cacher et de ne plus communiquer qu'avec sa famille ou ses proches amis. Après que les autorités locales avaient pris l'engagement de le protéger, il avait pu reprendre une vie normale.
A ce jour, aucun de ces actes de banditisme n'a donné lieu à des suites judiciaires.
