Cour pénale internationale : L’affaire Thomas Lubanga expliquée dans le rapport annuel 2005-2006 de la juridiction
La Cour a levé les scellés sur ses premiers mandats d’arrêt en octobre 2005. La première personne arrêtée en exécution d’un mandat délivré par la Cour a été placée sous sa garde après transfert en mars 2006. Des audiences de mise en état et d’appel ont eu lieu en vue de procès qui devraient commencer à la fin de 2006 ou au
début de 2007. Le 17 mars 2006, M. Lubanga a été arrêté et remis à la Cour. L’arrestation et la remise de M. Lubanga sont le fruit de la coopération accordée par plusieurs États et organisations internationales. En particulier, le Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo a facilité le transfert de M. Lubanga en levant l’interdiction de voyager prononcée contre lui afin qu’il puisse être remis à la Cour. Le 20 mars 2006, la Chambre préliminaire I a tenu une audience publique de première comparution pour informer M. Lubanga des crimes qui lui sont imputés et des droits que lui reconnaît le Statut de Rome. Depuis, de nombreuses audiences ont eu lieu sur toute une série de questions préliminaires sur lesquelles la Cour délibérait pour la première fois. Une audience de confirmation des charges contre M. Lubanga est prévue pour le deuxième semestre de 2006. Si les charges sont confirmées, le procès pourra commencer. Pendant et après ce procès, la Cour continuera de compter sur la coopération des États et autres intéressés pour lui prêter assistance dans les domaines suivants : communication d’éléments de preuve à la Cour, protection et réinstallation de témoins et, en cas de condamnation, exécution de la peine.
2. Enquêtes.
La Cour a poursuivi ses enquêtes en République démocratique du Congo.
Les enquêtes de la Cour sont menées par le Bureau du Procureur. Pendant la période à l’examen, le Bureau a mené des enquêtes sur les situations en République démocratique du Congo qui avaient été renvoyées devant la Cour par les États concernés eux-mêmes en application de l’article 14 du Statut de Rome.
Le Greffe de la Cour a apporté son appui à ces enquêtes sur le triple plan de la sécurité, de l’administration et de la logistique, notamment par l’intermédiaire des bureaux qu’il a ouverts en République démocratique du Congo. Le Bureau du Procureur et le Greffe ont mis au point ensemble les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des victimes, des témoins et des autres personnes dont les enquêtes de la Cour sur ces trois situations risquaient de compromettre la sécurité.
Dans la conduite de ses activités sur le terrain, la Cour a également pu compter sur l’aide et la coopération des organismes et des missions des Nations Unies sur place.
Pendant la période à l’examen, le Bureau du Procureur a effectué 45 missions d’enquête dans six pays pour réunir des preuves et recueillir des témoignages sur la situation en République démocratique du Congo. Comme il a été dit plus haut, ces enquêtes ont permis, notamment, de délivrer un mandat d’arrêt et, ultérieurement, d’obtenir l’arrestation et la remise de M. Thomas Lubanga Dyilo.
Poursuivant ses enquêtes sur la situation en République démocratique du Congo, le Bureau du Procureur a ouvert un deuxième dossier. Il continue d’étudier la possibilité d’en ouvrir un troisième.
Dans la conduite et l’organisation de ces enquêtes, la Cour a bénéficié de la nécessaire coopération du Gouvernement de la République démocratique du Congo et de la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) ainsi que de divers autres acteurs. Par exemple, la MONUC a aidé la Cour en mettant à sa disposition des services de transport dans ses aéronefs et d’hébergement temporaire dans ses camps. La Cour s’efforce de s’acquitter de ses missions de façon indépendante, mais dans certaines régions, elle serait dans l’impossibilité de le faire sans concours extérieurs.
1. Information et sensibilisation.
Elle a mené des activités de sensibilisation et d’information qui lui ont permis d’engager un dialogue avec le grand public et les populations locales sur son rôle, sa procédure et ses enquêtes. La Cour a continué de s’employer à mieux faire comprendre et connaître son rôle et ses activités tant sur le plan de ses procédures que sur celui de ses enquêtes. Ses activités en ce sens ont visé principalement les populations directement concernées par les situations sur lesquelles portent ses enquêtes. Dans le cadre de son programme de sensibilisation, la Cour a ouvert un dialogue avec les communautés locales concernées en vue de leur communiquer des informations exactes sur ses travaux et de leur faciliter l’accès à ses procédures. La Cour s’efforce d’adapter la conception et l’exécution de ses activités de sensibilisation aux différents contextes dans lesquels elle opère, aux différentes phases dans lesquelles se trouvent les procédures qu’elle a engagées et aux besoins d’information des publics visés. Elle a donc mis au point des stratégies de sensibilisation distinctes la République démocratique du Congo. En République démocratique du Congo, la Cour a organisé des ateliers et des séminaires à l’intention de publics spécialisés comme les autorités judiciaires, les avocats, les organisations non gouvernementales et les journalistes. Elle s’est servie de la radio et de la télévision pour diffuser des informations de caractère général sur elle-même et des informations plus spécialisées sur l’affaire Thomas Lubanga Dyilo. Travaillant en association avec des stations de radio locales dans les régions éloignées, elle s’est donné les moyens de faire connaître son action aux populations locales concernées par la situation sur laquelle porte son enquête.
2. Aide aux victimes et à la défense.
Elle a aussi diffusé des documents d’information et des formulaires de demande de participation aux audiences ou de réparations. Elle a monté un réseau d’intermédiaires fiables et collaboré avec la MONUC pour faire parvenir son message jusqu’aux victimes et les informer de leurs droits.
Au cours des 12 derniers mois, la Cour a continué de s’employer à mettre fidèlement en oeuvre les dispositions du Statut de Rome concernant les droits des victimes et ceux de la défense.
Le Statut de Rome prévoit la possibilité pour les victimes de participer aux procès, soit directement, soit par le truchement de leurs représentants légaux, et d’obtenir des réparations. En septembre 2005, la Cour a mis en place un Bureau du conseil public pour les victimes chargé d’aider les victimes et leurs représentants légaux à participer à toutes les phases de la procédure et à introduire des demandes en réparations.
Pour répondre aux desseins du Statut de Rome, il est crucial de garantir le respect des droits de la défense. En septembre 2005, la Cour s’est doté d’un Bureau du conseil public pour la défense qui est chargé de prêter l’assistance voulue aux équipes de conseil de la défense en conformité avec le Statut de Rome et le Règlement de procédure et de preuve. La Cour a aussi dressé une liste des conseils en application du Règlement de procédure et de preuve. Cette liste comprend actuellement 152 noms. Les 31 mai et 1er juin 2006, 100 conseils inscrits sur la liste ont participé à des consultations avec la Cour dans le cadre d’un séminaire organisé à leur intention à La Haye.
La Cour a nommé des conseils inscrits sur sa liste pour représenter les intérêts de la défense lors d’examens de médecine légale et d’audiences consacrées à la participation des victimes; elle a désigné le conseil chargé de représenter le premier accusé, M. Lubanga, avant qu’il ait pu choisir lui-même un conseil; et elle a mis à la disposition de M. Lubanga les services du conseil que celui-ci a choisi ultérieurement sur la liste.
3. Renforcement de la coopération internationale.
Au cours de l’année écoulée, la Cour a considérablement renforcé le cadre général de sa coopération institutionnelle avec l’ONU ainsi qu’avec les États, les organisations régionales et les autres acteurs concernés.
À tous les stades de ses activités, la Cour a fait appel à la coopération des États, de l’ONU, des autres organisations internationales et de la société civile. Elle ne dispose pas d’une police propre pour garantir la bonne exécution de ses décisions ou de ses ordonnances. Elle doit donc compter sur des institutions extérieures pour l’aider à réunir des preuves, assurer la logistique de ses actions sur le terrain, transporter les témoins, procéder à l’arrestation et au transfèrement des accusés et faire exécuter les peines qu’elle prononce.
3.1. Coopération avec l’ONU.
La Cour et l’ONU ont conclu plusieurs accords complémentaires dans le cadre défini par l’Accord régissant leurs relations. Le 8 novembre 2005, la Cour a conclu un protocole d’accord avec la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC). Ce protocole d’accord prévoit les conditions auxquelles la MONUC apportera son concours à la Cour, notamment sous forme d’appui logistique et d’aide judiciaire. Au cours des 12 derniers mois, le Bureau du Procureur a conclu 10 nouveaux arrangements avec des programmes, des fonds et
des offices du système des Nations Unies, conformément à l’article 18 de l’Accord régissant les relations entre les deux institutions.
Le 12 avril 2006, les membres de la présidence, les juges Philippe Kirsch, Akua Kuenyehia et René Blattmann, et la Procureur ajointe, Mme Fatou Bensouda, ont reçu le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, au siège de la Cour.
3.2. Coopération avec les autres acteurs.
En ce qui concerne la coopération avec les États parties, le chapitre 9 du Statut de Rome constitue le cadre juridique applicable aux différents types d’assistance judiciaire, notamment l’arrestation et la remise de personnes et la mise à disposition d’autres formes de coopération. Pour faciliter cette coopération, le Bureau du Procureur a conclu un certain nombre d’accords avec certains États. On en citera pour exemples les arrangements concernant les modalités des opérations menées par le Bureau dans les pays où il procède à des enquêtes, ou encore les accords relatifs à la communication de documents confidentiels conformément à l’alinéa e) du paragraphe 3 de l’article 54 du Statut. Au cours des 12 derniers mois, le Bureau a conclu trois accords avec des États parties en vue de faciliter ces enquêtes.
Le 27 octobre 2005, la Cour a conclu avec l’Autriche un accord relatif à l’exécution des peines. Le Statut de Rome prévoit en effet que les peines prononcées par la Cour sont exécutées dans un État disposé à recevoir des condamnés. Les accords de coopération facilitent l’application de cette disposition.
Le 10 avril 2006, la Cour a conclu un accord de coopération avec l’Union européenne. Cet accord couvre des domaines tels que l’échange d’informations confidentielles, le témoignage de fonctionnaires de l’Union européenne, les dérogations aux privilèges et immunités, la coopération avec le Procureur, la mise à disposition d’installations et de services, notamment pour l’appui sur le terrain, la participation aux réunions de l’Union européenne et une coopération en matière de formation des juges, des procureurs, des fonctionnaires et des conseils de la défense.
Au cours des 12 derniers mois, la Cour a également mené des négociations en vue de conclure des accords avec l’Union africaine et l’Organisation juridique consultative pour les pays d’Asie et d’Afrique. Elle prévoit que ces accords pourront être signés dans un prochain avenir.
Le 29 mars 2006, la Cour a signé avec le Comité international de la Croix- Rouge (CICR) un accord régissant les visites du CICR à des personnes privées de liberté sous la juridiction de la Cour. Les 28 et 29 juin 2006, le CICR a effectué sa première visite au quartier pénitentiaire de la Cour conformément aux dispositions de cet accord.
3.3. Commission d’enquête internationale indépendante.
Le 21 décembre 2005, le Secrétaire général a adressé au Procureur de la Cour une lettre dans laquelle il lui exprimait son intention de nommer le Procureur adjoint chargé des enquêtes, M. Serge Brammertz, Commissaire de la Commission d’enquête internationale indépendante, et le priait de bien vouloir mettre M. Brammertz en disponibilité pour une période de six mois, afin qu’il puisse s’acquitter de cette importante responsabilité. Le 22 décembre 2005, après avoir consulté les États parties, le Procureur, en conformité avec le paragraphe 2 de l’article 42 du Statut de Rome, a décidé de mettre M. Brammertz en disponibilité pour une période de six mois jusqu’au 15 juillet 2006. Cette décision se fondait sur la conviction qu’il s’agissait là d’une importante contribution de la Cour aux actions menées par d’autres institutions au service de la justice internationale.
Le 2 juin 2006, le Secrétaire général a demandé au Procureur d’accorder à M. Brammertz une nouvelle période de mise en disponibilité d’environ cinq mois, jusqu’au 31 décembre 2006, afin qu’il puisse continuer son travail à la Commission d’enquête internationale indépendante. Le Procureur a sollicité l’avis des États parties au Statut de Rome, en précisant que la prolongation de la mise en disponibilité de M. Brammertz ne compromettrait pas le fonctionnement de son bureau, et que les États parties devraient par principe y consentir. Les États parties ont fait droit à cette demande, et le Procureur a informé le Secrétaire général qu’il avait approuvé la prolongation de la mise en disponibilité de M. Brammertz jusqu’au 31 décembre 2006 pour assurer la continuité des travaux de la
Commission. Le 19 juillet 2006, le Secrétaire général a informé le Conseil de sécurité de son intention de reconduire M. Brammertz dans ses fonctions jusqu’au 31 décembre 2006.
4. Conclusion.
La Cour a accompli des progrès considérables dans ses enquêtes et dans ses activités judiciaires au cours des deux dernières années. Les États, l’ONU et d’autres organisations internationales ainsi que la société civile ont apporté un concours et une assistance extrêmement utiles à ces activités.
Pour que la Cour puisse s’acquitter de son mandat, elle doit pouvoir compter sur le ferme appui et la coopération de tous, en particulier pour l’arrestation et la remise des accusés, le rassemblement des preuves, la réinstallation des témoins et l’exécution des peines. Or, plus d’une année s’est écoulée depuis qu’elle a délivré ses premiers mandats d’arrêt et les cinq individus visés par ces mandats sont encore en fuite. La Cour ne dispose pas d’une police propre pour procéder à leur arrestation. Si l’on veut que ces individus et ceux pour qui des mandats d’arrêt seront délivrés ultérieurement soient jugés, il faudra que les États et les organisations internationales apportent les concours nécessaires à la Cour en les faisant arrêter et en assurant leur transfèrement.
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