Bukavu:La population inquiète de l’usage des impôts
La population de Bukavu constate que la Mairie fait d’énormes recettes mais – fait nouveau – elle exprime sa préoccupation de ne pas en voir les effets. "Les tronçons routiers de la ville sont délabrés et la principale artère, l’avenue P.E. Lumumba, s’est dégradée à telle enseigne qu’il ne lui reste que quelque 200 m. en bon état", constate Norbert Kazige, un taximan affilié à l’Association des chauffeurs du Congo (ACCO/Sud-Kivu). Un agent de la Marie, M. G., affirme, lui, que "les agents de carrière de l’administration (chargés des missions de service public, Ndlr.) n’y sont pas rémunérés, mais un personnel non prévu au budget est, lui, payé pour maximiser les recettes publiques." "Un service de maximisation des recettes a été créé ; pourtant, même les frais du personnel ne sont pas payés", confirme Albert Barhafumwa, syndicaliste à la Mairie.
"C’est comme si la Mairie n’existait pas, car elle ne sert à rien pour la population", se plaint un citoyen qui a tu son nom. "Et les transporteurs étrangers, déplorant le mauvais état de nos routes, menacent de décharger nos marchandises au poste douanier du Rwanda, pour ménager leurs camions", ajoute François Chiribagula, président urbain de la Fédération des entreprises du Congo.
D’énormes sources de recettes…
Le budget de la Mairie de Bukavu demeure inconnu, faute de transparence. L’organe délibérant sensé l’adopter ne sera élu qu’en mars 2007. En attendant, depuis 2003, les gestionnaires ne rendent compte de leurs activités qu’au parti politique dont ils sont issus. Du coup, la population, qui s’attache aux usages visibles par elle des recettes municipales, se plaint. Signe sans doute des nouvelles attentes que la régularisation de la situation en RDC a suscitées.
"Je paie à la Mairie la taxe d’importation annuelle de 120 $ et des frais d’affranchissement des marchandises à l’Office des douanes et accises (OFIDA)", affirme Rubuye Ntwali, un commerçant. "Initialement construit pour 25 000 vendeurs, le grand marché de Kadutu abrite actuellement 75 000 usagers. Comme la taxe est de 0,12 $ par redevable, cela fait 9 000 $ par jour ouvrable", calcule Dieudonné Huku, un taxateur.
Les tarifs douaniers, eux, diffèrent selon la catégorie de la marchandise. "Pour affranchir un camion usagé importé, on paie 665 $ à l’OFIDA, 4 100 $ pour un container de vêtements usagés de 20 pouces et 16 000 $ pour le même conteneur des tissus imprimés", explique Jean Banga, un déclarant en douanes. "Et chaque jour, nous voyons entrer une vingtaine de containers", poursuit-il. De leur côté, "les taximen paient à la Mairie le péage routier, le contrôle technique des véhicules et la taxe sur la voirie pour 4 000 véhicules environ, et nous sommes redevables de la taxe du permis d’exploitation auprès de la division des transport et communication et pour le permis d’exploitation", explique Vincent Kayeye, président provincial de l’ACCO/Sud-Kivu. Selon le taximan Rubenga Ntambaka, les "548 taxis immatriculés à l’ACCO paient chacun 5 $ pour la voirie urbaine par an". Quant au stade de Kadutu, "il rapporte 800 $ par semaine, soit 20 % de 4 000 $ des recettes brutes ; 60% vont aux équipes en compétition et 20 % pour le gouvernorat de province", confie un membre de la ligue de football.
…et un grand manque d’information
La Mairie justifie l’utilisation des fonds par les travaux exécutés durant l’année 2006. Le maire explique avoir initié "l’opération ‘ville propre’ matérialisée par les poubelles le long de la route, la poursuite du balayage de la chaussée chaque samedi, la réparation de la route en face des Etablissements Kotecha et l’aménagement de l’espace vert à Nguba." "C’était pour justifier les fonds perçus", signale D. N., un écologiste.
Faute d’autre explication, la population organisée au sein de la société civile a décidé de réagir. "Nous allons désormais suivre tout ce qui se passe en demandant aux députés provinciaux et aux futurs membres du conseil urbain à élire, de donner la parole aux gestionnaires pour qu’ils rendent publiquement compte de leur gestion ; dans le cas contraire, les contribuables pourraient être amenés à ne pas payer les taxes qui ne servent pas à la communauté", conclut Rahmat Katunda, conseillère du bureau de coordination de la Société civile du Sud-Kivu basée à Bukavu. Une exigence de transparence on ne peut plus claire.
Thaddée Hyawe-Hinyi
