Lettre ouverte à son Excellence Sassou N’Guesso, Président de la République du Congo
Lettre ouverte à son Excellence Sassou N’Guesso, Président de la République du Congo
MONSIEUR LE PRESIDENT,
Nous vous écrivons suite au traitement récemment infligé par les organisateurs du Festival Pan Africain de Musique au groupe de pygmées invités à y participer. Nous espérons qu’en lisant cette lettre vous comprendrez les raisons qui nous amènent à vous adresser ainsi, faisant fi des pratiques protocolaires.
Il nous est difficile d’imaginer que vous-même n’aie pas été choqué par un acte qui nous laisse, nous les Africains, surtout, complètement abasourdis, incrédules et se posant intérieurement la question, « mais comment en sommes-nous arrivés là ? ». En partageant notre ahurissement, nous pensons, naïvement peut-être, que nous parviendrons à vous faire partager avec vos collègues dirigeants de l’Union Africaine la nécessité urgente de mettre fin à ce processus, en apparence sans fin, de toujours chercher à tomber plus bas que les bas-fonds où nous y ont envoyé les ancêtres de ceux qui poursuivent frénétiquement le blanchiment de notre histoire comme s’il s’agissait d’un vulgaire fonds de commerce.
Pour qu’il y ait sursaut de conscience, serait-il que nous devrions dire que les pygmées sont aussi respectables, si pas plus, que les survivants d’Auschwitz, d’Hiroshima ou du génocide rwandais ? A entendre les explications –inspirées de bons sentiments-- des responsables du logement de nos sœurs et frères pygmées à Brazzaville, on croit entendre l’écho de Léopold II qui défendait (certains continuent de le défendre, d’ailleurs) son Etat Indépendant du Congo comme une œuvre civilisatrice et salvatrice gratuitement offerte aux Congolais.
Malheureusement, nous avons tendance d’oublier les pires crimes dès lors que ceux-ci sont dirigés contre les plus déshérités. Comment peut-on oublier qu’un autre pygmée, Ota Benga, extrait de la forêt de l’EIC pour être exhibé à la Foire Mondiale de Saint Louis (USA) en 1904, avait été traité de la même manière, en 1906, dans le jardin Zoologique du Bronx à New York. Au retour de la Foire Internationale, Ota Benga n’ayant pu retrouvé sa bande accepta l’invitation de retourner aux Etats-Unis. On peut raisonnablement penser que la bande d’Ota Benga fut décimée par les agents de Léopold II à la recherche du caoutchouc rouge, ainsi nommé suite au sang qu’il avait fait coulé parmi les habitants de la forêt équatoriale.
En nous adressant à vous, nous pensons que l’Afrique peut aller encore plus loin que là où Nelson Mandela est allé, nous osons imaginer que vous pourriez démontrer que les preuves de solidarité, de fidélité aux valeurs les plus profondément humaines sont encore tellement enracinées dans nos consciences que même un Chef D’Etat, libéré des entraves protocolaires du pouvoir, ne peut résister à l’appel d’égalité venant des plus humiliés.
Nous vous demandons d’agir par vous-même, non par délégation, non par un représentant de votre autorité. Nous pensons que l’acte qui vient d’être commis contre les pygmées est tellement plus dévastateur qu’un désastre naturel, cyclone, épidémie laissant des centaines de morts sur son chemin que seule une intervention choc de votre part pourra vraiment être à la hauteur de ce qui vient de se passer à Brazzaville. La science n’a pas encore développé un appareil de mesure pouvant nous décrire ce que les pygmées réels et génériques (juifs, tsiganes, enfants de la rue, victimes du SIDA, chômeurs, sans papiers, réfugiés, etc.) ont souffert face aux humiliations physiques, aux tortures invisibles de l’âme et de l’esprit. Ce qui vient de se passer à Brazzaville démontre la virulence du virus destructeur de ce qui nous reste encore d’humanité en cet âge de la globalisation.
Nous vous demandons de montrer que de l’intérieur de cette humanité menée –sans le savoir ?-- à sa destruction, il y a encore des citoyens du monde capables de résister l’apparente irrésistibilité de la globalisation et le balayage sans honte des valeurs les plus sacrées de nos ancêtres communs.
Par votre action vous pourriez vous ranger du côté de certains scientifiques préoccupés des effets destructeurs du modèle de développement issu de la Traite Négrière et de ce que nous pouvons appeler l’Ota Bengisation de la Planète, commencent à admettre que le modèle de comment vivre en harmonie avec la nature, avec tout le monde, avec la vie, n’est pas à chercher : il suffit de se tourner vers ceux qui, comme les survivants Indiens des Amériques, comme les pygmées, comme les Dogon, comme les San, comme les nomades de tant d’autres régions du monde vivent en respectant tout ce qui vit.
La conscience de l’humanité conservatrice des valeurs les plus sacrées a été dangereusement affaiblie par l’Ota Bengisation systématique. Nous vous demandons de dire et faire pour que ce qui s’est passé à Brazzaville devienne un point de référence non seulement de tous les Africains, mais du monde entier parce que là, le plus grand de l’Etat s’est mis au même rang que les plus petits, avec amour, humilité, solidarité. Un tel geste non seulement effacerait la honte ressentie de par le monde, mais contribuerait aussi à la revalorisation de nos valeurs ancestrales de solidarité. Au bout du compte, ce geste pourrait devenir un événement dont les répercussions guérisseuses de l’humanité sont aujourd’hui difficilement calculables. De grâce, ne vous préoccupez pas de ce que les pharisiens contemporains et autres mauvaises langues diront, comme : « de quoi se mêle-t-il ? » Ce qui s’est passé à Brazza est trop grave, mondialement parlant, pour laisser n’importe quel chef d’Etat, Africain de surcroît, indifférent.
En vous remerciant de votre écoute, nous vous prions d’ accepter nos salutations les plus respectueuses.
Ernest Wamba dia Wamba,
Coordonateur du Mbongi a Nsi
Kinshasa
Jacques Depelchin
Directeur Exécutif
Ota Benga Alliance for Peace Healing and Dignity in the DRCongo and in the USA
Berkeley
Le 20 juillet 2007.
