LA CONSOLIDATION DE LA PAIX EN RD CONGO EST HYPOTHEQUEE PAR L’ABSENCE D’UNE STRATEGIE NATIONALE DE SECURITE

Il ne faut pas nécessairement être un expert des questions de paix, défense et sécurité pour réaliser que le processus de paix congolais n’a été qu’une répétition d’échecs et de recommencements. C’est ce qui explique certainement que jusqu’en juin dernier, soit plus de sept ans après son démarrage à Lusaka en 1999, le Conseil de sécurité des Nations Unies pouvait encore par sa Résolution 1756 demander au Gouvernement congolais et à ses partenaires internationaux de tout mettre en œuvre pour diligenter la réforme du secteur de sécurité du pays et de consolider la paix sur toute l’étendue du territoire national.

Un problème réel est que toutes les approches de consolidation de la paix adoptées dans ce pays depuis lors ont fondamentalement souffert de deux tares originelles. La première est que les négociateurs de Sun City biaisèrent l’ensemble du processus en se basant l’hypothèse très approximative selon laquelle le partage du pouvoir politique par les anciens belligérants allait ipso facto induire la résolution de l’épineuse et complexe équation sécuritaire congolaise. La deuxième tare originelle du processus de paix congolais est que les gouvernants congolais et leurs partenaires internationaux ont cru et continuent apparemment à croire au miracle consistant à consolider la paix et restaurer l’autorité de l’Etat dans pays vaste de plus 2.345.000 Km2 et sortant de plus d’une décennie de guerre civile, sans élaborer préalablement une stratégie nationale de sécurité.

Au lendemain du démarrage des travaux du Dialogue inter Congolais en Afrique du Sud, en tant qu’acteur de la société civile, notre modeste personne eut à adresser au Ministre de Délégué à la Présidence de l’époque une correspondance dans laquelle nous exprimions notre inquiétude que ces assises souffrent d’un déficit d’expertise sur les questions de paix et sécurité. Nous trouvions qu’il y avait beaucoup de politiques, un peu de militaire et trop peu d’opérateur de paix.

En effet, un autre problème majeur pour ce pays est que les esprits semblent toujours restés rivés dans l’optique westphalienne de la sécurité d’Etat, laquelle tendait à faire croire que la protection de la Cité était un monopole de la Force publique, entendez l’armée, la police et les services spécialisés.

Et pourtant, à travers le monde, les choses ont tellement évolué suite au nouveau concept de la sécurité humaine chère à Keith Booth et Buzan Barry qui préconise une substantielle implication de la société civile dans le management des questions de paix, défense et sécurité qui se posent dans un Etat. Sous d’autres cieux, les initiatives de la réflexion sécuritaire partent plutôt des organisations de la société civile et des milieux universitaires avant d’être appropriées par les gouvernants.

Une autre triste réalité dans ce pays est que, ayant constitué la suite des pourparlers de Lusaka qui aboutirent à l’acception par les belligérants d’un cessez-le-feu et du principe des négociations de paix, les travaux de Sun City ont malheureusement de loin privilégié les seuls débats sur le partage du pouvoir politique en lieu et place d’une réflexion de fond sur les questions sécuritaires, lesquelles ne furent furtivement survolées que lors de l’élaboration des mémorandums I et II sur l’Armée et les services de sécurité.

Pis encore, les deux textes ne se bornèrent qu’à frôler la problématique de la sécurisation des animateurs de transition, au lieu de plancher plutôt sur les modalités de l’intégration de l’Armée et de la Police, les processus de désarmement des troupes issues des rebellions et milices ethniques, la question de la neutralisation et rapatriement des groupes armés étrangers, la restauration de la concorde inter communautaire à l’Est du pays et le rétablissement de l’autorité l’Etat sur toute l’étendue du territoire national.

Comme si toute ces lacunes ne suffisaient pas, mise en place dans un total cafouillage, la Commission Défense et Sécurité du Gouvernement prendra service sans disposer d’une stratégie nationale sécurité , et encore moins d’une politique nationale défense et sécurité. C’est un peu à la manière d’un pilote qui prend les commandes d’un avion sans disposer d’un plan de vol, ni d’un recueil des procédures de navigation.

C’est comme si un médecin se contentait de soigner un patient sans un plan de médication établi en fonction du diagnostic. Notre pays se trouve actuellement dans le cas d’un patient qu’on soumet à des thérapeutiques variées, mal coordonnées et intempestives à l’absence d’un diagnostic global. En lui administrant un traitement anti-paludéen à base de sérum glucosée alors qu’il souffre un diabète non diagnostiqué, on le conduit plutôt à la mort au lieu de lui apporter la guérison.

C’est exactement le cas du processus de paix congolais dont le management procède d’une continuelle navigation à vue dont de perpétuels essais et erreurs, des improvisations, doubles emplois et impasses n’offrant aucune perspective d’un bon résultat ne sont que des conséquences logiques.

En effet, en nous penchant sur la question de la mise en œuvre de « l’Acte d’engagement de Goma », nous constaterons qu’il existe actuellement trois textes parallèles traitant pourtant d’une seule matière. La signature de l’ordonnance portant création d’un « Comité pour l’éradication des groupes armés étrangers » était intervenue juste après celle des deux autres textes créant respectivement le « Programme Amani » et une « Comité Technique Mixte de Sécurisation du Kivu», ce qui faisait trois structures similaires mais distinctes chargées de la restructuration de la paix au Kivu.

Or, la question primordiale de l’équation sécuritaire congolaise étant actuellement celle de la survivance des FDLR et autres groupes armés dits réfractaires à la paix à l’Est du pays, comme l’ont également attesté les conclusions du dernier Sommet de Nairobi et de la Conférence de Paix de Goma, une gestion cohérente de l’affaire aurait voulu qu’on procède par paliers au lieu de se lancer dans un inextricable brainstorming.

On pouvait commencer avant tout par concentrer les ressources humaines et financières disponibles sur la question du démantèlement des forces négatives, lequel constitue un passage obligé vers les deux autres processus de brassages des milices locales (CNDP, PARECO etc.) qui n’arrêtent de justifier leurs actions fondamentalement par la présence des groupes armés étrangers dont les FDLR. En abordant les trois équations à la fois on annihile les énergies en les dispersant et on accroît ainsi les risques d’échecs.

Cette création en chaîne des structures ayant pourtant le même genre d’attributions rappelle un peu ce qui se passa après la signature de « l’Accord global et inclusif de Pretoria » avec la création tout à tour de la « CONADER », d’un « Plan National DDR » et d’un « Plan Opérationnel pour le Désarmement et la Réinsertion Communautaire en Ituri».

Or, il s’avéra plus tard que cette propension du Gouvernement de transition à multiplier des structures similaires était symptomatique d’un déficit d’évaluation de l’ensemble de la problématique du DDR, et surtout de l’absence d’une stratégie nationale de sécurité, laquelle devait permettre une définition claire des contours conceptuels et opérationnels de la reforme du secteur de sécurité, dont le processus DDR n’était qu’un simple volet.

La preuve en est que le Gouvernement de transition est finalement passé loin de tous ses objectifs. Le processus de brassage et d’intégration de l’Armée a été un échec total comme le démontre l’actuelle existence du CNDFP, de PARECO etc., alors qu’on en fut en Ituri jusqu’au DDR III, sans pourtant arriver à un début de résultat positif.

C’est bien-là une conséquence logique de l’absence d’une stratégie nationale de sécurité, en d’autres termes des approches cohérentes et coordonnées sous-tendant l’action préventive ou répressive de l’Etat par rapport à l’intérêt national et à la carte de vulnérabilité sécuritaire du pays.

Il serait souhaitable que les garants de l’imperium dans ce pays se fassent une idée plus nette de l’intérêt national au plan sécuritaire, du tableau des menaces internes et externes qui pèsent actuellement sur la RD Congo et des approches de parade cohérentes y afférentes, afin que nous puissions espérer que le processus de paix en cours aboutisse à bon port.

En effet, l’intérêt national et la carte de vulnérabilité sécuritaire du pays sont deux notions dynamiques qui découlent d’une évaluation du profil global des menaces et qui dictent les contours de la stratégie nationale de sécurité. La conception de celle-ci nécessite un bon développement des relations civilo-mlitaires pour permettre une franche collaboration entre les gouvernants, la société civile et les instances universitaires.

C’est la phase stratégique du processus. Elle constitue une étape incontournable pour parvenir à une action gouvernementale bien conçue, coordonnée, cohérente et globale en matière de paix, défense et sécurité, en permettant d’éviter des improvisations aux conséquences très fâcheuses et souvent irréversibles.

A son tour, la stratégie nationale de sécurité fonde l’élaboration d’une politique nationale de défense et sécurité. C’est la phase politique du processus. Elle est l’apanage du Gouvernement. Une politique nationale de défense et sécurité constitue à la fois l’aide-mémoire et le tableau de bord de l’action gouvernementale. Elle indique à tout moment aux gouvernants ce qu’ils doivent absolument faire et ce qu’ils ne peuvent jamais faire.

La politique nationale défense et sécurité dispose également sur développement des relations civilo-mlitaires en termes de collaboration entre les instances étatiques et les organisations de la société civile.
C’est seulement au regard de la politique nationale défense et sécurité que sont conçus tous les programmes d’action du gouvernement. C’est la phase opérationnelle du processus. C’est à ce niveau que se situe la reforme du secteur de sécurité, laquelle va bien au-delà de deux processus d’intégration de la Force publique et du DDR, pour englober aussi bien la reforme de la justice que de la diplomatie, et surtout la promotion de la sécurité humaine par le biais de la réconciliation nationale et de l’élaboration des mécanismes de prévention, gestion et résolution des conflits.

Nous voyons que la paix ne peut pas du tout se décréter pas par un simple alignement des ordonnances. Une paix durable procède plutôt des mécanismes à la fois complexes et délicats impliquant la nécessité de la conception préalable d’une stratégie nationale de sécurité en fonction de l’intérêt national et du profil de la menace. C’est celle-ci qui dicte à son tour les contours d’une politique nationale défense et sécurité, laquelle garantit la cohérence, et par conséquent, l’efficacité de l’action gouvernementale en la matière.

Pour terminer cette réflexion, nous disons que nous sommes de ceux qui pensent qu’il n’est jamais trop tard pour mieux faire. En ce qui concerne le processus de paix en cours au pays, au lieu de continuer à perpétuer les incohérences et échecs en se balançant constamment entre brassage et mixage, solutions militaires et négociations de paix, créations de nouvelles brigades et mise en place d’une force de réaction rapide; il serait grand temps que les pouvoirs publics congolais s’arrêtent, procèdent à une évaluation du chemin parcouru, remodèlent l’environnement humain au niveau des centres des décisions et mettent au point une stratégie national de sécurité pour repartir sur de nouvelles bases.

Autant il est mondialement connu que la RD Congo dispose d’une de meilleures ressources humaines du continent, autant il serait souhaitable que ce ne soient pas les mêmes personnes sur lesquelles pèseraient la responsabilité de l’échec du processus DDR et de l’intégration de l’Armée dont la dissidence de Nkunda est une des conséquence logiques, de la décision de l’option militaire contre ce dernier et de cuisantes défaites qui s’en sont suivies, se retrouvent encore en charge de la pacification du Kivu et de nouveaux projets de reforme du secteur.
En effet, autant il est humain de se tromper, autant il devient diabolique de persister dans l’erreur. Sous d’autres cieux, les responsables d’une action gouvernementale qui échoue lamentablement se voient contraints de quitter les affaires, pas nécessairement qu’ils soient médiocres, mais c’est surtout pour qu’ils ne constituent pas des pesanteurs entravant une rectification du tir.

LOKASOLA N’KOY BOSENGE
Chercheur à la Chaire UNESCO
pour l’Afrique Centrale
et les Pays de la SADC.
Tel. 243998866498
E-mail : npdacong2003@yahoo.fr