RDCongo/Bandundu : les pygmées et autochtones exigent le respect de leurs droits

Nous sommes dans la province du Bandundu, où la dernière descente d’un groupe de pygmées à Kikwit continue de faire parler d’elle par son côté inédit et spectaculaire. Depuis des années, en effet, les pygmées du Bandundu sortaient très rarement de leur milieu naturel d’Oshwe, dans le district du Maï-Ndombe.
Concrètement, trente de ces compatriotes ont été sélectionnés pour se rendre à Kikwit par le pasteur Mutela Eben Ezer dans le cadre d’un échange culturel. C’est dans cette ville que plusieurs d’entre eux, de leur propre aveu, découvriront qu’ils sont des êtres à part entière et doivent être traités avec dignité.Vivant de la cueillette et de la chasse, certains ont pu se rendre compte pour la première fois qu’ils ont des droits comme tout autre Congolais, et qu’ils peuvent aller à l’école et participer à la gestion des affaires publiques. Cette expérience inédite a été saluée tant par les autorités politico-administratives que par des leaders des ONG de défense et de promotion des droits de l’homme. Les uns et les autres ont en effet mis en exergue le fait que cette visite a permis aux animateurs de la société civile de révéler que dans cette partie du territoire national comme dans plusieurs autres coins de la RDC, d’autres compatriotes ignorent non seulement leurs droits, mais ne savent surtout pas, lorsqu’ils en sont peu ou prou informés, comment en jouir. Ainsi cette affaire qui a fait le tour d’Inongo, où une femme enceinte a été copieusement battue par un pasteur kimbanguiste propriétaire d’une ferme. Exaspéré par plusieurs cas de vols dans sa ferme, le pasteur jurait en effet depuis longtemps de se faire justice le jour où il y surprendrait quelqu’un. La malheureuse femme surprise avec ses compagnes entrain de couper du bois sans autorisation, n’avait pas été en mesure de courir. Elle avait été appréhendée puis copieusement battue par le pasteur. Indigné par cette bastonnade, le mari avait évidemment porté plainte contre le pasteur juge et partie. Ce genre de cas sont légion dans cette province où les droits fondamentaux sont, dans le même ordre d’idées, bafoués par les autorités traditionnelles pourtant chargées d’y veiller. Au cours des échanges qui ont entouré la visite des pygmées, plusieurs témoignages sont revenus sur plusieurs cas semblables, dans lesquels les prétendues victimes ainsi que les autorités, politico-administratives ou coutumières, ont tendance à se rendre justice. Tel ce cas, relevé pour sa portée symbolique, survenu en 2003 dans la sous-région du plateau. Un groupe de jeunes connu sous l’appellation « Eboma Nguba » a eu maille à partir avec les chefs traditionnels, alors qu’ils bénéficiaient du soutien de plusieurs autres sages du village. Eboma Nguba qui signifie dans la langue locale « mourir pour notre cause » dénonçait notamment les abus des autorités traditionnelles, principalement le chef Mpia Nsele, dont on disait qu’avec la complicité de certains éléments des forces de l’ordre, il s’offrait les charmes des jeunes filles avec ou sans le consentement des familles.
Exaspérés, les jeunes Eboma Nguba s’étaient donc jurés de mettre fin à cette pratique dans un environnement traditionnel où ils n’étaient pas toujours sûrs d’avoir gain de cause. Le mouvement animé par une sorte de tête brûlée en la personne d’Alain Mbonzale, chargé de la mobilisation, a été rapidement indexé et accusé de troubler l’ordre public, son chef arrêté et détenu dans un cachot de la place. Grâce à une évasion spectaculaire, Mbonzale avait quitté précipitamment la sous-région du plateau, laissant sa famille sous la menace des agents du Chef Mpia N’Sele. Résultat : les chefs traditionnels continuent de recruter à leur guise des très jeunes filles face à des familles paralysées par le poids des traditions, complices ou tout simplement impuissantes.Après plusieurs échanges dans un cadre qui était loin d’être formalisé, les animateurs d’ONG ont ainsi profité de l’occasion de la sortie des pygmées d’Oshwe pour se concerter sur les voies et moyens de relancer la problématique de la liberté d’expression et d’opinion, et plus généralement de l’exercice des droits et libertés fondamentaux en milieux traditionnels, tant les abus se multiplient dans le chef des autorités coutumières seules maîtres après Dieu dans certains coins du territoire national. Il faut espérer que leur cri a été entendu, et qu’il ne faudra pas attendre la prochaine visite des pygmées à Kikwit pour se pencher sur leur sort et sur celui d’autres Congolais victimes à la fois de leur ignorance et de l’autoritarisme des chefs traditionnels. JAKM. (In le quotidien congilais "Le Phare" N°3269 du vendredi 22 février 2008)