Pourquoi le COJESKI-RDC est l'objet des menaces précises et des poursuites extrajudiciaires ?
Le COJESKI est l'objet des menaces précises et des poursuites extrajudiciaires. Pourquoi?
A la lecture de l'actualité congolaise, il y a des questions que certains analystes politiques ne cessent de se poser: "Quand est-ce que les citoyens et les citoyennes qui ne font pas partie des organisations politiques gérant le pouvoir institutionnel peuvent-ils interférer dans la marche politique du pays? Doivent-ils se contenter de voter une fois et de se taire, en attendant élections à venir ou ils peuvent exercer leur vigilance citoyenne à temps et à contretemps dans le cadre d'une démocratie participative non-institutionnelle? Bref, la citoyenneté responsable s'exerce-t-elle par intermittence ou de manière permanente?
Un observateur attentif de la scène politico-sociale de notre pays peut être surpris par la montée des fronts citoyens à l'intérieur comme à l'extérieur du Congo et de la capacité qu'ils ont de susciter des réponses de la part des gouvernants. Au regard de la minorisation de l'opposition institutionnelle, de la partialité des réponses de la majorité au pouvoir et de l'inefficacité de sa politique pour nos populations prises dans l'engrenage de l'insécurité, de la guerre d'agression, de la misère clochardisante et de l'institutionnalisation de l'impunité, la montée de ces fronts mérite une étude assez fouillée.
Ils suscitent de l'angoisse et de la peur chez les gouvernants. Menaçant par leur franc-parler et leurs analyses bien documentées, par leur détermination à mener la résistance contre les forces mortifères jusqu'au bout et leur sens de la dignité humaine et de la démocratie, ils font souvent l'objet des menaces précises et des poursuites extrajudiciaires. L'exemple du COJESKI est plus que parlant. De quoi la monté de ces fronts citoyens peut-elle être le symbole? Que jouent-ils en mettant en cause "la réputation" des gouvernants actuels?
Il est possible que ces fronts signalent, en filigrane, la remise en question de la démocratie électorale-représentative en en appelant à son complément: la démocratie participative contemporaine. La démocratie électorale-représentative ne serait plus l'unique lieu de légitimation du pouvoir. Etudions l'exemple du COJESKI pour en tirer quelques leçons.
Un communiqué de presse et une vigilance citoyenne
Dans un communiqué de presse N° RDC/COJESKI/24/10/2008, le Collectif des Organisations des Jeunes Solidaires du Congo informe l'opinion tant nationale qu'internationale "qu'il fait l'objet des menaces précises et des poursuites extrajudiciaires depuis le 06 septembre 2008 date à laquelle le COJESKI-RDC avait rendu publique une déclaration dans laquelle il avait fait un ultimatum de trois mois au Chef de l'Etat de la République Démocratique du Congo l'invitant d'user de ses prérogatives constitutionnelles pour mettre définitivement fin à la guerre et à l'insécurité qui déchirent le pays et qui prennent en otage une partie du territoire national." Le téléphone est mis à contribution pour fulminer ces menaces. " La dernière menace date du 22 octobre 2008 aux environs de trois heures du matin. Des militaires dans une camionnette Jeep ont fait irruption armes à la main au Quartier Général et siège administratif du COJESKI-RD situé au N° 22, avenu Cimbushi, Quartier Motel Fikin, dans la Commune de Limete, Ville de Kinshasa. Ils ont forcé sans succès le portail de la clôture et le service commis à la garde nocturne des bureaux du COJESKI-RDC a refusé d'ouvrir le portail en dépit des menaces verbales des hommes en uniformes."
En effet, dans sa déclaration du 06 septembre 2008, après une analyse minutieuse de la situation sécuritaire sévissant à l'Est de notre pays, le COJESKI lance "à dater ce jour (06 septembre), un ultimatum de trois mois au Président de la République Démocratique du Congo l'invitant à user de toutes ses prérogatives constitutionnelles pour mettre définitivement fin à l'insécurité, aux zones tampons, aux bandes armées et aux tragédies humanitaires qui déchirent le pays et qui prennent en otage une partie de la population congolaise. Dépassé les trois mois, une pétition sera signée sur l'ensemble du territoire national pour exiger la démission sans autre forme de procès du Président de la République ainsi que de son gouvernement, pour haute trahison." (Lire la déclaration du 06 septembre 2008)
Contactés au téléphone, certains membres du COJESKI confirment les menaces et parlent de la peur suscitée au sein des oligarques au pouvoir par la possibilité que cette ONG initie une pétition exigeant la démission de Joseph Kabila et du gouvernement avant les probables élections de 2011. Mais la menace de la pétition suffit-elle à tout expliquer? Nous ne pensons pas.
Le COJESKI a battu en brèche les arguments des gouvernants convertissant la guerre d'agression imposée au Congo par les anglo-saxons par la coalition rwando-burundo-ougandaise interposée en une guerre ethnique. Ce faisant, il sapait les fondements du Programme Amani mis sur pied par les gouvernants congolais comme lieu de recherche de solution à l'insécurité ayant élu domicile à l'Est de notre pays. Or, l'un des parrains du Programme Amani est Joseph Kabila à qui cette ONG demande de trouver d'urgence une autre solution sous peine d'être destitué par le peuple pour haute trahison.
Par ses méthodes de travail et son expérience, le COJESKI aurait aussi rompu avec la conception classique des ONGs: des machines humanitaires financées par le Nord pour distribuer de l'aide aux paumés du Congo sans aller suffisamment loin dans l'analyse de la situation générant la pauvreté et la misère; des machines se limitant à dénoncer les dérapages des gouvernants en matière des droits de l'homme sans mettre à nu le fonctionnement des réseaux maffieux et criminels opérant dans l'ombre du pouvoir représentatif , certaines ONGs se sont métamorphosées en groupes de réflexion et d'action humanitaire et politico-sociale.
De plus en plus des ONGs congolaises ont compris qu'elles ne peuvent exercer leur vigilance citoyenne sans des actions sanctionnant les pyromanes de la maison Congolaise. Ces ONGs congolaises viennent prouver que le vote ne suffit plus à légitimer un pouvoir représentatif quel qu'il soit.
En sus, certaines de nos ONGs ont connu une mue: des propagandistes du droit-de-l'hominisme, elles deviennent des "organisations résistantes" contre la montée des oligarchies de la prédation et de la manducratie.
Dans cet ordre d'idées, le COJESKI se définit comme étant "une organisation résistante qui grâce aux menaces similaires (à celles des kabilistes) auxquelles il est d'ailleurs habitué 13 ans durant, a pu développer des méthodes de travail adaptées à tous les contextes des crises politiques et des crises humanitaires." (Lire le Communiqué de Presse)Aussi, face à la recherche de l'enrichissement sans cause des politiciens congolais se ruant vers la mangeoire "josephite" et à la promotion des attributs d'un "Etat manqué" chez nous, le COJESKI oppose-t-il un travail abattu "essentiellement avec des centaines des bénévoles et des volontaires disséminés dans tous les coins du pays et en dehors du pays, engagés pour le respect de la dignité humaine, de sacro-saints principes de la démocratie et de la bonne gouvernance en République Démocratique du Congo."
D'où sa capacité de résister aux tentatives de corruption auxquelles sont soumis certains de ses membres sur les campus universitaires du pays et d'avoir des informations fiables à partir de plusieurs sources internes.
Pour dire les choses autrement, le COJESKI (comme le RENADHOC, La Voix de sans Voix, le JED, TOGES NOIRS, etc.) vient pallier l'incapacité de l'opposition institutionnelle à procéder à des analyses sans complaisance de la situation actuelle notre pays, à désigner les responsables de sa descente aux enfers et à proposer des sanctions à court, moyen et long terme. Que le COJESKI suscite la peur dans les rangs du pouvoir représentatif congolais prouve à suffisance que la démocratie électorale-représentative a marqué ses limites au Congo comme cela se vit dans plusieurs autres pays du monde.
Un attachement fétichiste à la démocratie électorale-représentative
Les menaces dirigées contre cette ONG trahissent un attachement fétichiste à cette forme déphasée de la démocratie malmenée par "la contre-démocratie". A quelque chose malheur est bon, dit-on! Les précédentes menaces auxquelles le COJESKI a survécu, celles de "tous les mouvements rebelles et de tous les pouvoirs et tyranniques des régimes politiques congolais", ont poussé (en dehors du pays) "ses 65 animateurs (…) en Belgique, en France, au Canada, aux USA, en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Italie, etc." (Lire le Communiqué de Presse) Dans la plupart de ces pays (dont nous copions mal le mode de gestion politique), depuis plus de vingt ans, "la souveraineté du peuple se manifeste (…) de plus en plus comme une puissance de refus, que ce soit dans l'expression électorale périodique ou dans les réactions permanentes aux décisions des gouvernants. Une nouvelle démocratie de rejet s'est de la sorte superposée à l'originelle démocratie de projet. S'est imposée sur ce mode la souveraineté d'un peuple-véto." (P. ROSANVALLON, La contre-démocratie. La politique à l'âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006 p.21)
Ces pays expérimentent de nouvelles formes de démocraties à travers "le Budget participatif", "le débat public", "le jury citoyen", etc. Ces nouvelles formes de démocratie participative sont les modalités contemporaines de l'expression des contre-pouvoirs, tapies à l'ombre de la démocratie électorale-représentative. Il n'est pas exclu que "le COJESKI" décidé à poursuivre "sans désemparer son combat pour que la RDC et la région africaine des grands lacs cessent de demeurer un oasis d'avilissement et de déshumanisation des populations" bénéficie de l'expérience de sa diaspora.
Dans ce contexte, la chasse aux sorcières pratiquée par le pouvoir kabiliste relève et de la mauvaise foi et du déficit épistémologique sans précédent dans la compréhension de la nouvelle intelligence de la démocratie. En fait, celle-ci n'est plus qu'électorale-représentative. (D'ailleurs, elle ne l'a jamais été, contrairement à ce que veulent nous faire croire les démocrateurs.) Elle est en train de se complexifier en revêtant d'autres formes. "Là où la démocratie représentative se satisfait pleinement d'un peuple silencieux dans l'intervalle entre les élections, pourvu qu'il laisse les experts et les élus gouverner, les citoyens des démocraties contemporaines n'acceptent plus de se taire. Ils revendiquent, pour une partie d'entre eux au moins, un droit à la reconnaissance et à la critique." (L. BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008, p.6).
A travers le travail abattu par le COJESKI (comme celui fait dernièrement par le RENADHOC) et certains médias alternatifs congolais, une autre société civile est en train de renaître au Congo sur les cendres des perdiemistes récupérés par le pouvoir; une société civile disposée à exercer une vigilance civique jouant "un rôle essentiel d'alerte et de protestation". Laquelle vigilance "se double désormais d'une autre forme de vigilance, plus diffuse, qui se manifeste sur le mode d'un flux continuel d'évaluations et de critiques de l'action des gouvernants par les gouvernés; à un niveau très décentralisé et dans les champs les plus divers des politiques publiques." (P. RONSAVALLON, O. C., p.45)
Cette renaissance de la société civile congolaise peut être porteuse des lueurs d'espoir pour le Congo de demain. L'essentiel serait peut-être qu'un nombre assez grand d'ONGs et de médias alternatifs (comme Congoindependant, Congolite, Congoone, Congoforum, Cascopie, Reveil-FM, etc.) renaissent de manière permanente au "nouvel esprit de la démocratie" en s'initiant aux nouvelles formes de la démocratie participative et en en partageant la théorisation et la pratique avec les Congolais et les Congolaises, fiers de leur identité de citoyens et de citoyennes responsables.
J.-P. Mbelu
