Arrestation de Laurent Nkunda : incident conjoncturel ou approche structurelle de la paix en RDC?
La nouvelle de l’arrestation de Laurent Nkunda a naturellement été perçue par l’opinion de façon aussi surprenante qu’irréaliste. Le commun des mortels a eu difficile à comprendre qu’un homme qui se présentait comme un actif défenseur de la minorité Tutsie contre des extrémistes Hutus et paraissait disposer d’atouts militaires, politiques et diplomatiques au point de contraindre les autorités de Kinshasa à rejoindre la table de négociations au pays de l’indécrottable Raila Odinga, se retrouve subitement mis aux arrêts et prêt à être livré à ses ennemis par le pouvoir en place à Kigali, lequel était par définition considéré comme le parrain de son insurrection.
En effet, l’arrestation de Laurent Nkunda a engendré des opinions aussi variées que controversées en RDC, en Afrique et dans le reste du monde. Certains observateurs avertis y voyaient une habile manœuvre du Président Paul Kagamé visant à brouiller les pistes d’une Europe d’où commençaient à s’élever des voies stigmatisant à tort ou à raison une nocive responsabilité de Kigali dans l’actuelle persistance de l’imbroglio sécuritaire à l‘Est de la RDC. Une opinion proche de la minorité Tutsie de la RDC trouvait dans cette arrestation de Laurent Nkunda une preuve tangible que l’insurrection du CNDP n’était pas une entreprise rwandaise comme ne cessait de le répéter l’intéressé. Une autre opinion était que Laurent Nkunda servait-là simplement de monnaie d’échange contre une entrée par la grande porte des troupes rwandaises en RDC.
Des questionnements sur cette arrestation de Laurent Nkunda ont été assez nombreux. Comment ne pas y voir l’habileté politique et diplomatique des hommes d’Etat rwandais autrefois reconnue par le belge Karel De Gutch ? Comment ne pas penser que les autorités de Kinshasa ont une fois de plus besoin de scruter davantage les contours réels de l’intérêt national du Congo pour éviter de répéter les turpitudes d’une rébellion kabiliste qui servit de guide aux troupes rwandaises pour se débarrasser d’un Président Mobutu déjà poussé à la sortie du pouvoir par la maladie ? Face à toutes ses acrobaties militaires et politiques observées actuellement à Kinshasa et Kigali, une question fondamentale serait celle de l’incidence de cette arrestation de Laurent Nkunda sur la consolidation de la paix en RDC, et par ricochet, le retour de la stabilité dans les Grands Lacs ?
En effet, depuis le Dialogue Inter Congolais de Sun City jusqu’à ce jour, la combinaison d’évaluations toujours déficitaires du profil réel des questions sécuritaires et d’absence d’une stratégie nationale de sécurité ont contraint les autorités de Kinshasa à pratiquer une navigation à vue constituant une entrave majeure à la consolidation post-conflit de la paix dans le pays. Il y a lieu de se rappeler les flottements du Gouvernement congolais entre une solution militaire et un règlement de la crise sécuritaire engendrée par l’insurrection de Laurent Nkunda. Contre l’avis de ses partenaires internationaux, Kinshasa opta autrefois pour une initiative militaire qui se solda par de lourdes pertes en vies humaines et précieux équipements militaires à Mushaki, avant de se résoudre par la suite à engloutir des dizaines de millions de dollars dans l’organisation de la Conférence de Goma.
Serait-il juste en ce jour de penser que l’actuel déploiement des troupes rwandaises à l’Est de la RDC et la dernière arrestation de Laurent Nkunda seraient l’ultime solution ? Rien n’est moins incertain.
De même le succès de toute médication est foncièrement lié à un établissement préalable d’un bon diagnostic, de même les chances d’une résolution heureuse d’une équation sécuritaire sont tributaires d’une bonne évaluation de sa nature et structure. C’est seulement un ciblage adroit des racines profondes du mal qui est sensé dicter éventuellement des stratégies sécuritaires, des démarches politiques ou diplomatiques ou carrément une action militaire. Toutes les crises sociopolitiques et conflits armés ayant endeuillé les Grands Lacs ses deux dernières décennies ont été à l’origine de simples conflits identitaires résultant des frictions socioculturelles opposant des populations bantoues à celles de souches nilotiques, avant de ne revêtir qu’à posteriori des contours politiques justifiant des actions militaires.
Bref, l’actuelle problématique sécuritaire dans les Grands Lacs résulte fondamentalement de la juxtaposition spatiale suite à des accidents de l’histoire de deux groupes ethniques aux modes de vie foncièrement contradictoires. Le problème est de fond est que des éleveurs Tutsis soient contraints à partager une espace accusant une de plus fortes densités des populations du continent avec des agriculteurs Hutus. Les cycles de conflits identitaires et violences ethniques déplorées dans les Grands Lacs ne sont que des conséquences logiques des frictions entre d’agriculteurs Hutus, enclins à couper l’herbe pour planter, et d’éleveurs Tutsis ayant plutôt besoin de laisser pousser la végétation pour paître leurs bétails. Ce sont toutes ces contradictions sociales qui expliquent que les Grands Lacs soient aujourd’hui une poudrière et un triangle de la mort.
Tout observateur averti de la question ethnique dans la sous-région remarquerait que les regains des violences et les conflits armés à l’Est de la RDC précèdent généralement des échéances électorales. C’est que l’accès au pouvoir politique constitue pour les uns et les autres un moyen de sauvegarder ou de conquérir l’espace vitale. Or, la démocratie étant par définition la victoire de la majorité, les Tutsis minoritaires au Rwanda, au Burundi et en RDC y ont développé par instinct de conservations des aptitudes physiques et capacités organisationnelles leur permettant de contrôler le pouvoir militaire en compensations de leurs insuffisances sur le terrain politique.
A la lumière de l’affirmation qui précède, il y a lieu de conclure que les pistes d’une résolution structurelle de la question ethnique dans les Grands Lacs procéderaient plus des approches plus sociologiques que des solutions exclusivement politiques et militaires. De même la désignation du Tutsi Azarias Ruberwa au poste de Vice-Président de la République et de plusieurs anciens insurgés Tutsis au grade de général au sein de l’Armée congolaise n’a pas mis fin à la persistance de l’insécurité à l’Est de la RDC, de même l’actuel déploiement des troupes rwandaises en territoire congolais et l’arrestation de Laurent Nkunda pourront n’être que des incidents conjoncturels susceptibles d’être balayés par un probable remodelage de la précaire alliance liant actuellement le pouvoir de Kinshasa et Bosco Ntangana, un ancien lieutenant de Laurent Nkunda. Nous pensons qu’une solution durable à la crise congolaise passe inévitablement par la détermination et le démantèlement des causes réelles de l’actuelle déliquescence de l’Armée congolaise.
A titre illustratif, les élites de ce pays devraient chercher à comprendre comment le même soldat congolais qui défit les redoutables Légions Libyennes au Tchad au début des années 80 , qui stoppa nette l’offensive des rebelles du Front Patriotique Rwandais aux portes de Kigali en 1989, qui contribua plus récemment encore à la pacification du Congo Brazza en 1999, et qui permit au Président Patassé de repousser plusieurs assauts de son opposition armé en 2000 ne puisse se révéler chaque fois incapable que lorsqu’il lui faille se battre pour la cause nationale.
Les Romains trouvaient que le meilleur moyen de garantir la paix était de préparer la guerre. Le stratège allemand Clauzewits ne s’offusqua pas de souligner que la guerre n’était qu’une pratique normale de la politique internationale. De nos jours, le Professeur Paul Claval relève que le langage prédominant dans les rrelations internationales est celui de la force, que la paix n’est que le résultat d’un effet dissuasif que la stature militaire nationale d’un pays exerce sur ses adversaires potentiels. Il est aujourd’hui clair que la Guerre du Golf, dont les actuels conflits armés en Irak et en Afghanistan ne sont que des suites logiques, ont découlé du credo de nouvel ordre mondial autrefois très prisé par le Président Georges Bush senior.
Philippe Delmas souligne que : « …L’organisation des relations entre les puissances se ramène à l’organisation des guerres. ... Au fil du temps, les nations ont inventé « l‘ordre » ; ce n’est pas l’harmonie, mais le bornage de l’inacceptable. L’ordre ne fut jamais la paix, mais une définition des raisons de faire la guerre : souveraineté, frontières, intérêts vitaux et autres équilibres toujours fragiles. La mesure de la puissance d’un pays est de pouvoir jouer un rôle dans la définition de l’ordre pour que ses intérêts soient pris en compte, c’est-à-dire reconnus comme importants par les autres. L’organisation ainsi convenue assurait la stabilité plutôt que la paix. Car, le privilège des puissances était de contenir la guerre chez les autres. Elle ne survenait entre elles uniquement que lorsque l’ordre était violé ou qu’une puissance nouvelle avait grandi à laquelle l’ordre en cours ne faisait pas une place suffisante…. » Fin de citation.
Nous voyons que l’actuelle propension du Rwanda à lorgner constamment sur le territoire congolais procède d’un comportement tout à fait normal des relations internationales où la stature militaire nationale est un facteur primordial de souveraineté nationale. Ce que font actuellement le Rwanda et l’Angola en termes d’accroissement de leur influence militaire dans la sous-région procède d’une pratique normale des relations internationales. C’est ce qu’avait en son temps compris et pratiqué le Maréchal Mobutu qui n’hésitait pas à déployer des troupes zaïroises en Angola, au Rwanda, au Tchad etc.
En bref, nous disons que le fait que Luanda et Kigali soient prompts à déployer des troupes en territoire congolais rentre dans l’ordre naturel des choses. Cependant, penser un seul instant que le salut du Congo proviendrait de ces deux voisins, c’est faire montre de beaucoup de naïveté. En se penchant sur les causes des faiblesse actuelles de l’Armée congolaise, les élites congolaises se rendront vite compte qu’elles ont essentiellement résulté d’un choix politique délibérément effectué par le pouvoir en place qui, depuis le 17 mai 1997, n’a cessé de pratiquer une politique d’exclusion et de médiocratie dont le seul mérite est de consolider la déliquescence des forces de défense et sécurité congolaises.
A notre humble avis, c’est la restauration de la stature militaire de la RDC qui est sensée permettre une neutralisation effective des groupes armés étrangers qui tuent, violent et pillent en toute impunité des citoyens congolais sur leur propre sol. C’est le rétablissement de l’Etat par le truchement de la reconstitution de ses forces de défense et sécurité qui constitue une approche structurelle de la consolidation de la paix au Congo, et par ricochet, du retour de la stabilité dans les Grands Lacs.
Or, les Congolais se doivent de casser des œufs pour faire des omelettes. Serait-il prudent d’opter pour des positions radicales dès lors que votre armée nationale débande et se livre au pillage à chaque fois que l’ennemi est annoncé à une dizaine de kilomètres. C’est ainsi que nous solliciterions l’indulgence de certaines sensibilités nationales pour souligner qu’il ne serait pas prudent pour les élites congolaises de rejeter en bloc toutes les idées actuelles de création d’un cadre supranational de gestion commune d’immenses richesses gisant dans la partie du pays jouxtant la frontière rwandaise.
Pour sortir le Congo de ses décombres actuelles, ses élites devraient de temps à autre s’efforcer à se départir de la nocive tendance à tout voir à travers les prismes des frustrations légitimes et passions compréhensibles ayant résulté des humiliations les plus abjectes subies de la part de certains peuples voisins. Les élites africaines ont intérêt à se ressourcer sur des expériences historiques des dirigeants japonais et allemands au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, et plus récemment encore du Président Anouar El Sadate et de Nelson de Mandela qui comprirent que les pistes du salut pour leur pays passaient par un certain oubli d’un passé sombre et douloureux au profit d’un futur commun où d’anciens ennemis sont sensés d’évoluer ensemble dans le respect mutuel, la paix et la concorde sur les sentiers du développement et de la prospérité.
Faustin Lokasola N’Koy Bosenge
- Coordonnateur du Centre d’Etudes Stratégiques
de la Chaire UNESCO pour l’Afrique Centrale
et les Pays de la SADC ;
-Chercheur au CDSM de l’Université Witwatersrand de Pretoria ;
- Membres des réseaux SADSEM, FOPRISA et ASSN.
- Emails: chaireunescounikin@yahoo.fr / npdacong2003@yahoo.fr,
- Bureau de liaison : Immeuble Journal Salongo / Gare Centrale de Kinshasa.
- Tel. :( 243) 0998866498 / (243) 0817872393.
