SERAIT-IL PRUDENT ET JUSTE D’IGNORER POLITIQUEMENT LA QUESTION DE BUNDU DIA KONGO?
Il est de plus en plus observé depuis plusieurs semaines une certaine effervescence au sein des états-majors des partis politiques dans la perspective d’un réaménagement ministériel justifié aussi bien par une gestion des finances publiques par la Primature considérée par la Présidence de la République comme calamiteuse et la nécessité d’un arrangement politique permettant d’associer le CNDP à la gestion de la Cité. Ce fut presque dans cette logique de prime à la guerre que l’ « Opposition armée » brula autrefois la politesse à Etienne Tshisekedi en briguant une de quatre vice-présidences de la République pendant la transition politique alors que les ex-FAZ de Brazzaville étaient carrément ignorés au profit des entités Maï Maï lors du processus d’intégration post-conflit de l’Armée et de la Police.
Une fois de plus, tout porte actuellement à croire que le pouvoir en place s’apprête à honorer pour la nième fois ceux qui avaient pris l’option de le défier militairement tout en ignorant superbement les auteurs d’autres revendications similaires qui se gardèrent de ne pas franchir le Rubicon de l’insurrection armée.
Or, il fait pratiquement trois ans que des incidents très violents opposèrent les forces de l’ordre aux adeptes du mouvement spirituel à consonance politique de Bundu dia Kongo dans le Bas-Congo, avant d’être réitérées sept mois plus et donner lieu à une intervention des forces de l’ordre qui se solda par plusieurs pertes en vies humaines. Comme de coutume dans l’actuelle scène politique congolaise, le dossier de ces très déplorables événements se retrouva au Parlement et il n’occasionna qu’une interpellation sans conséquences des ministres concernés, de laconiques mesures de suspension et la mise en place d’une commission d’enquête dont les conclusions étaient déjà destinées aux oubliettes de l’histoire.
Maintenant qu’il est question d’un remaniement quasiment motivé par le besoin d’une prise en compte du CNDP pour des motifs de réconciliation nationale, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, serait-il juste et équitable d’ignorer totalement la question de Bundu dia Kongo ? Ce mouvement serait-il aujourd’hui l’objet d’un traitement aussi discriminatoire s’il était autrefois aussi militairement solide que le CNDP de Laurent Nkunda ? Qu’est-ce qui garantit au pouvoir en place qu’il n’est pas-là entrain de confirmer la culture de prime à la guerre, et par ricochet, motiver la naissance d’autres insurrections armées?
En effet, au moment des faits, en tant que praticien de la lutte anti-terroriste, notre modeste personne voyait réunies dans ces timides initiatives insurrectionnelles de Bundu dia Kongo pratiquement toutes les conditions de couvaison d’une mouvance intégriste susceptible de basculer vers une espèce de terrorisme. Et, nous n’étions pas le seul à avoir eu cette appréhension. A ce propos, un certain James Momba a écrit, nous citons :
« …. Lorsqu’on y regarde de près, le modus operandi de Sekebanza emprunte à la marque de grands groupes terroristes connus dans le monde, dont l’ETA en Espagne. Suivant des témoignages concordants, le Bundu dia Kongo de triste histoire disposait des camps d’entraînement où des adeptes suivaient une formation paramilitaire. Personne ne dispose cependant des éléments précis sur toutes les articulations de cette formation. N’était-on pas entrain de former des terroristes? Rien n’est exclu, et l’on ne voit pas l’autorité morale du mouvement avec son capital d’intelligence - faire les choses à moitié, alors qu’il est derrière un objectif précis et bien établi. Peut-on négliger la portée de l’ancrage de l’idéologie dans le cœur de la jeunesse de ce mouvement (Le quotidien La République, 29 mai 2009) ». Fin de citation.
Ceci étant dit, la question de Bundu dia Kongo mérite tout de même une attention qui aille au-delà de simples débats pour la forme au sein de l’Assemblée Nationale assortis des recommandations sans lendemain, comme ce fut le cas avec l’insurrection de Laurent Nkunda jusqu’à ce qu’elle rebondisse et prenne de l’ampleur au point de menacer l’existence même du pouvoir en place. Les garants de la paix et sécurité dans ce pays devraient chercher à savoir quels seraient les fondements idéologiques et objectifs politiques de ce mouvement ? Quelles en furent les souches profondes et causes immédiates ? Les arrestations massives des adeptes et l’interdiction du mouvement étaient-elles des solutions indiquées ? Quelles seraient les approches d’une résolution structurelle de cette délicate et périlleuse question de Bundu dia Kongo ?
Le Bundu dia Kongo est un mouvement à la fois spirituel et politique dont la philosophie et les objectifs politiques entrent dans la droite ligne du traditionnel messianisme négro-africain prôné par le kimbanguisme, matsouanisme, kitawalisme etc. Ses adeptes se retrouvant disséminés au Sud de la RDC et du Congo Brazza, au Nord de Angola et au Cabinda, le Bundu dia Kongo dit se battre pour la réhabilitation des valeurs culturelles de l'ethnie Kongo dans la perspective d’une renaissance des civilisations noires qui existaient en Afrique Centrale avant l’arrivée de l’homme blanc, ce qui ne pourrait être en soi une mauvaise chose.
Se fondant sur une espèce de philosophie de libération, le Bundu dia Kongo s’oppose dans une certaine mesure à un ordre établi qu’il considère à tort ou à raison injuste et illégitime, et à la présence massive des non-originaires de la province considérés comme des suppôts de ce pouvoir établi. C’est dans ce cadre que le mouvement mène un combat politique qui trahit une nette propension à la revendication identitaire, xénophobie et un discours anti-establishment. Le leadership religieux et politique de Bundu dia Kongo est assuré par certaines notables du Bas-Congo dont le nommé Ne Muanda Nsemi, chef spirituel du mouvement, lequel dispose d’un service d’ordre constitué des « mikengi », entendez des miliciens chargés de la garde et surveillance. Ce sont de jeunes gens très endoctrinés, ayant subi une espèce de formation paramilitaire et pratiquant les arts martiaux.
Selon des medias progouvernementaux congolais, les adeptes du mouvement s’adonnaient aux tueries et destructions méchantes des biens d’autrui, interdisaient l’exécution de l’hymne national et la tenue des cultes matinaux dans des écoles chrétiennes, perpétraient des agressions et enlèvements à l’endroit des agents de l’ordre public et paisibles citoyens, occupaient illégalement des bureaux de l’Etat, des paroisses et des hôpitaux, et lançaient des tracts séditieux etc. De toutes les façons, les sanglants événements du 30 juin 2006 à Matadi et d’autres incidents malheureux y afférents opposèrent antérieurement ou postérieurement dans le Bas Congo des adeptes de Bundu dia Kongo aux forces de l’ordre. Il fut également rapporté des cas d’implication des Casques bleus de la MONUC.
Les principales personnalités officielles directement impliquées dans lesdits événements sont (www.societecivile.cd, aout 2006) :
- Le Gouverneur de la Province du Bas-Con,go ;
- Le Commandant de la 2ème Région militaire ;
- Le Commandant en Second de la 2ème Région militaire Chargé des Opérations ;
- L’Inspecteur Provincial de la Police Natiuonale,
- L’Inspecteur Provincial Adjoint de la Police Nationale Chargé des Opérations et des Renseignements ;
- Le Maire de la Ville de Matadi. (www.societecivile.cd, aout 2006).
Du coté des adeptes de Bundu dia Kongo, les principaux noms cités dans les différents récits sont ceux de Ne Muanda Nsemi, et de Ne Lubanzu, un des lieutenants du chef spirituel du mouvement. Les principales victimes des actes de vandalisme et la violence de sang perpétrés par les adeptes de Bundu dia Kongo étaient les membres des forces de l’ordre et services de sécurité (policiers, militaires, agents d’immigration etc.), des religieux catholiques et protestants, ainsi que d’autres paisibles citoyens.
S’agissant des souches lointaines et causes immédiates du conflit, il est difficile de ne pas admettre que toutes ces vagues de violence imputables aux adeptes de Bundu dia Kongo tiraient leurs origines aussi bien dans une idéologie intégriste que dans des frustrations géopolitiques et socioéconomiques consécutives notamment à une présence massive des ressortissants de l’Est du pays dans des services locaux de l’Etat et entreprises publiques comme la Direction Générale des Migrations, l’Office National de Transports, l’Office des Douanes et Assises etc. où les originaires se sentaient plus ou moins mis à l’écart.
Pour les adeptes de Bundu dia Kongo, c’était-là une preuve éloquente de la marginalisation géopolitique de leur province et une légitimation de leur exacerbation et frustrations. La conjonction de certains dérapages du pouvoir en place avec un environnement social profondément miné par le marasme économique et la précarité de l’emploi ne pouvait qu’apporter de l’eau au moulin de la revendication identitaire et violence xénophobe des adeptes de Bundu dia Kongo, et par conséquent, conduire à la naissance et l’extension de toute cette violence déplorée.
Les causes immédiates de la vague de violences déplorées en juin 2006 furent fondamentalement d’ordre politique. La vague de populisme des militants de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social d’Etienne Tshisekedi et du Parti Lumumbiste Unifié d’Antoine Gizenga qui protestaient à Kinshasa contre la décision du pouvoir en place de prolonger la transition politique avait occasionné dans le Bas-Congo un onde de choc que le Bundu dia Kongo mit à profit pour organiser une marche de protestation qui constitua l’amorce de toute une série d’incidents violents et meurtriers. Plus tard, ce fut la victoire de la famille politique du Chef de l’Etat lors de l'élection du Gouverneur et Vice-Gouverneur de Bas-Congo, le 27 février 2007, qui fut le leitmotiv de la vague de violence qui déferla dans la province. Des médias proches de l’opposition congolaise avaient soutenu que les interventions des éléments de la Police et de l’Armée lors de ces événements du Bas –Congo s’étaient soldées par plusieurs centaines de morts parmi les populations civiles, alors que des sources officielles parlaient d’une trentaine.
En grosso modo, les incidents violents imputables aux adeptes de Bundu dia Kongo dans le Bas-Congo se produisirent entre juin 2006 et février 2007. Les principaux théâtres des affrontements entre les éléments de la Police Nationale Congolaise et les adeptes de Bundu dia Kongo furent les territoires de Luozi et Seke Banza, ainsi que la ville de Matadi dans le Bas-Congo. Ces sanglants événements du Bas-Congo furent échelonnés en deux temps. Les premiers incidents violents et meurtriers furent déplorés à partir du 30 juin 2006 à Matadi. Ils se propagèrent par la suite vers Boma, Muanda, Khanzi, Nlemba, Seke-Banza, Manterne, Lukula, Mbata-Siala, Sumbi, Isangila etc. La deuxième vague de violence intervint à partir du 29 février 2006 à Luozi et Seke Banza, plus précisément dans le Secteur de Mongo-Luala dont est originaire Mr Ne Muanda Nsemi et d’autres agglomérations locales comme Kinkenge, Kibunzi, Nkundi, Mfininga, Mbanza-Mwembe, Kinkungu, Ngombe-Mbeya, Mbandakani.
Autant il est bon d’établir des responsabilités et de prendre des mesures de suspension, autant il serait mieux de trouver les voies et moyens d’éviter que ces malheureux événements du Bas-Congo ne se reproduisent plus. Pour ce faire, il aurait été souhaitable que le Gouvernement de la République diligente une enquête indépendante dans le but de bien cerner les causes profondes de ces vagues de violences. Tout en étant la plus facile des solutions, une simple interdiction des activités de Bundu dia Kongo serait le meilleur moyen de pousser tous ces jeunes gens endoctrinés et fanatisés à basculer de la contestation politique à la clandestinité, et par ricochet, à une situation encore beaucoup plus délicate et complexe à gérer par le pouvoir en place au regard de la perspective des élections de 2011.
C’est ainsi que la simple interdiction des activités de Bundu dia Kongo ne saurait aucunement constituer une solution structurelle à ce confit. Le dialogue est toujours mieux qu’un règlement judiciaire susceptible de causer davantage des ressentiments des populations concernées et faire ainsi le lit de l’intégrisme et du terrorisme aux portes de Kinshasa.
En effet, à l’instar du Représentant spécial de l'Union européenne dans les Grands Lacs, Mr Aldo Ayelo, nous pensons qu’il faille toujours laisser un peu d’espace à l’opposition pour éviter qu’elle n’ait plus que la violence comme mode d’expression politique (http://www.congovision.com, mai 2009). C’est ainsi que le Gouvernement de la République peut toujours mettre à profit la qualité de parlementaire de Mr Ne Muanda Nsemi, Chef spirituel de Bundu dia Kongo, pour créer une ouverture politique pouvant permettre à ses adeptes de se sentir quelque part impliquées dans la gestion de la Cité. Il s’agit de réduire ainsi à défaut de démanteler complètement les causes profondes de ces violences imputables à ses adeptes que sont les frustrations sociopolitiques et la pauvreté. C’est bien-là une approche structurelle pour la prévention d’une résurgence de ce conflit.
En effet, ce n’est pas par faiblesse politique que Nicolas Sarkozy a recruté des ministres au sein de la Gauche, que plusieurs proches collaborateurs de Barack Obama sont des Républicains et que Denis Sassou Nguesso, pourtant vainqueur à la fois de la guerre civile et des élections, s’est arrangé pour se faire aujourd’hui entourer de ses anciens pires ennemis que sont Bernard Kolélas, Yombi Opanguo, Charles Ganao etc. Personne ne peut voir sa nuque s’il ne dispose de deux miroirs. Les carrières politiques du Maréchal Mobutu et du Président Bongo, que le Père Tout-Puissant protège leurs âmes, nous montrent à suffisance que la paix, la popularité et la longévité au pouvoir découlent plus du dialogue conciliateur que d’un prompt usage de la force.
Lokasola N’Koy Bosenge
Doctorant
Chaire UNESCO / Université de Kinshasa
Coordonateur du Centre d’Etudes Stratégiques
Membres de CESA, SADSEM, FOPRISA et ASSN.
Tel. : + 243 998866498 / + 243 817872393
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