Rapport de l’Amnesty international : les enfants congolais
L’Amnesty international vient de publier un rapport accablant qui met en cause les ex-belligérant en Rdc. Les faits relatés sont si troublants qu’ils choquent les consciences. Aujourd’hui, à cause de la guerre et pour des raisons égoïstes et étrangères, toute une génération de la jeunesse congolaise est sacrifiée. Seule la justice pourrait apaiser ces consciences troublées.
Depuis 7 ans, la guerre frappe de façon presque ininterrompue la République démocratique du Congo. Depuis 1998, cette guerre a provoqué la mort de plus de trois millions de personnes, pour la plupart des civils, hommes, femmes et enfants. Les civils ont été inlassablement et impitoyablement pris pour cibles. La mort et les souffrances intenses sont devenues le lot quotidien des Congolais.
Ce conflit est marqué par l’utilisation sur une grande échelle d’enfants comme soldats par tous les belligérants. Aujourd’hui, la Rdc est l’un des pays au monde avec le plus grand nombre d’enfants soldats. Au cours de leur formation, ils subissent généralement des traitements violents et dans certains camps, des enfants sont morts dans des conditions déplorables. On peut les forcer à essayer de repérer les troupes ennemies ou à servir de gardes du corps pour leur chef ou encore les contraindre à devenir des esclaves sexuels. Garçons et filles sont également contraints de transporter de l’équipement, de l’eau, de la nourriture et des munitions ou bien de servir de cuisinier
Enfants en Guerre
Depuis 7 ans, la guerre frappe de façon presque ininterrompue la République démocratique du Congo. Depuis 1998, cette guerre a provoqué la mort de plus de trois millions de personnes, pour la plupart des civils, hommes, femmes et enfants. Des dizaines de milliers de femmes ont été violées. D’innombrables actes de torture on été commis. Des centaines de milliers de personnes fuyant le conflit, ont été contraintes de quitter leurs maisons pour se réfugier dans les pays voisins ou dans d’autres régions du pays. Nombre d’entre elles sont mortes de malnutrition ou en raison de leur impossibilité de recevoir une assistance humanitaire. Jusqu’à deux millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de la Rdc, dont 400.000 enfants. Ce n’est pas une guerre dans laquelle les civils sont les victimes malheureuses de dégâts collatéraux, mais une guerre dans laquelle ils ont été inlassablement et impitoyablement pris pour cibles. La mort et les souffrances intenses sont devenues le lot quotidien des Congolais. En outre, ce conflit est également caractérisé par l’utilisation d’enfants comme forces combattantes par toutes les parties au conflit. Aujourd’hui, la Rdc est l’un des pays au monde avec le plus grand nombre d’enfants soldats.
Amnesty international estime que le plus important facteur qui attise les combats est la compétition qui s’est instaurée entre milices adverses, soutenues de manières différentes par le gouvernement de la Rdc, l’Ouganda et le Rwanda, pour contrôler et bénéficier d’immenses richesses provenant de ressources naturelles de la Rdc. Parmi ces richesses naturelles, citons: l’or, le diamant, le bois et le coltan. Le contrôle militaire d’une région permet également aux dirigeants militaires et politiques des forces locales et étrangères d’extorquer la population locale et de monopoliser les droits de douane sur le commerce transfrontalier, commerce qui revient à plusieurs millions de dollars par mois. De leur côté, les combattants de base des milices, qui ne profitent pratiquement pas des richesses accumulées par leurs dirigeants, se livrent en toute liberté au pillage, aux viols et aux exécutions illégales, dès qu’ils remportent une victoire.
Les Kadogos ont appris à violer, à tuer. Quel destin ?
Les récompenses en matière de suprématie militaire sont telles que les groupes armés s’efforcent constamment et par n’importe quels moyens, de renforcer leurs capacités militaires. La nature souvent aléatoire des alliances forgées entre certaines des milices et leurs commanditaires étrangers souligne l’absence d’un programme politique cohérent et théorisé. Ces alliances ne sont que des mariages de convenance dans lesquels les dirigeants des milices s’engagent à respecter les ordres de leurs commanditaires en échange d’un soutien militaire direct. En dépit d’un embargo sur les armes officielles, des quantités substantielles d’armes continuent d’affluer dans le pays, sans pratiquement aucune vérification. Dans tout le pays, les armes sont utilisées pour commettre des actes de violence armée et des atteintes aux droits humains, en particulier des viols, des agressions, des exécutions sommaires et des déplacements forcés. Les dirigeants des milices, enrichis grâce au pillage des ressources et aux prélèvements abusifs, n’éprouvent aucune difficulté à acheter des armes, bouclant la boucle d’un cercle vicieux perpétuel de rapines par la force suivi de l’acquisition d’armes grâce aux bénéfices engrangés, suivie de nouvelles razzias.
Mais les armes ne sont pas suffisantes en elles-mêmes. Les groupes armés ont besoin de soldats pour former les rangs de cette armée. Les campagnes de recrutement sont pratiquement ininterrompues et l’enrôlement forcé est répandu depuis 1996, même si l’engagement militaire est lui aussi courant. Pour s’assurer qu’ils ont le nombre requis de soldats, tous les belligérants (groupes politiques armés et gouvernement) de la Rdc se sont tournés sans scrupule vers le recrutement des enfants. Dans le contexte de la guerre, et de la destruction de la plupart des infrastructures économiques et sociales, les enfants souvent laissés à l’abandon ou qui sont déplacés en raison du conflit, sont généralement les plus susceptibles d’être recrutés. Certains rejoignent les rangs des forces volontairement pour assurer leur survie après l’éclatement de leur famille et des structures économiques et sociales ou sont plus sensibles que les adultes à la propagande des recruteurs et moins au fait des réalités de la guerre qui les attendent. Mais on ne laisse aucun choix à la grande majorité d’entre eux qui sont simplement enrôlés de force. Les chefs des milices estiment souvent que les enfants sont plus malléables, plus obéissants et plus faciles à endoctriner que les adultes. En outre, le flux massif d’armes légères en Rdc a rendu plus viable l’utilisation d’enfants soldats, car ces armes légères peuvent être facilement portées par les garçons et les filles âgés de moins de 10 ans.
En général, les belligérants en Rdc manquent de professionnalisme et de formation militaires ou tout simplement ils n’ont pas les moyens de développer des stratégies militaires complexes. De nombreuses batailles sont livrées, et remportées, sur la simple base de la supériorité numérique. C’est pour cela que plus une milice pourra recruter des enfants, meilleures seront ses chances de remporter une victoire militaire. Autrement dit: les enfants sont souvent recrutés pour servir de chair à canon. Une fois recrutés, les enfants sont généralement envoyés dans des camps avec des adultes pour y suivre un entraînement et un endoctrinement. Sur la ligne de front, les enfants sont régulièrement forcés de commettre des exactions, en particulier des meurtres ou des viols contre des civils ou des soldats ennemis. Le sentiment de perte et les traumatismes auxquels ils ont été exposés ou qu’ils ont été contraints de commettre pendant les actions militaires ont un impact dévastateur sur leur intégrité mentale et physique.
En réaction aux pressions appuyées nationales et internationales concernant les méthodes de recrutement, la plupart des dirigeants des forces armées en Rdc ont compris que pour essayer de regagner un semblant de respectabilité internationale, ils doivent se déclarer opposés aux recrutements des enfants et favorables aux opérations de démobilisation. Toutefois, ces prises de position semblent plus être un exercice de relations publiques qu’un engagement honnête et concret. Au cours de l’année 2003, le taux de recrutement des enfants s’est en fait accéléré dans certaines régions orientales du pays. Cela est dû en partie aux milices qui essayent de compenser le retrait offciel, mais en réalité bien incomplet, des troupes ougandaises et rwandaises du pays. Bien qu’en période de soi-disant transition vers la paix, beaucoup de parties au conflit continuent de recruter des combattants, en particulier un nombre important d’enfants soldats.
Dans l'ex-camp des rebelles du Mlc, un enfant cire les brodequins des soldats
Par conséquent, il est du devoir du gouvernement de transition d’unité nationale de la Rdc, des responsables des groupes armés et milices non représentés au sein du gouvernement de transition ainsi que des gouvernements étrangers impliqués dans le conflit en Rdc, de donner des ordres précis pour faire cesser le recrutement, l’entraînement et l’utilisation d’enfants de moins de 18 ans comme combattants. S’agissant de la question de l’impunité des recruteurs d’enfants, les personnes soupçonnées du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats doivent être présentées à la justice.
Les informations et les analyses contenues dans ce rapport sont basées essentiellement sur des recherches effectuées par Amnesty international sur le terrain, en Rdc durant l’année 2003. Au cours de leurs visites à Beni, Bukavu, Bunia, Goma, Kinshasa et Uvira, les chercheurs ont interviewé de nombreux enfants soldats enrôlés ou démobilisés. Les chercheurs ont également eu des entretiens avec des experts locaux et expatriés spécialisés dans le domaine du recrutement, de la démobilisation et des droits humains relatifs aux enfants soldats. Ils ont également rencontré plusieurs responsables gouvernementaux et de groupes armés pour faire part de leurs préoccupations concernant l’utilisation d’enfants soldats. Les réponses officielles émises durant ces rencontres sont contenues dans le présent document.
Nous souhaitons remercier tous les militants des droits humains qui ont aidé les chercheurs d’Amnesty international dans leur tâche. Travaillant dans des conditions souvent difficiles et dangereuses, leur courage, leur engagement et leur respect pour la personne humaine contrastent singulièrement avec l’indifférence flagrante aux souffrances humaines qui caractérise un si grand nombre de dirigeants militaires et politiques du pays. Afin de protéger leur identité, nous n’avons pas donné le nom des militants des droits humains avec qui Amnesty international a collaboré et nous avons changé le nom de tous les enfants qui ont bien voulu témoigner. Amnesty international tient également à remercier les enfants et les jeunes adultes qui ont témoigné de leur expérience déchirante de la vie militaire et de leur espoir une fois démobilisés.
DES VIES PERDUES
Recrutement et formation
Le recrutement et l’utilisation d’enfants comme soldats en Rdc ou plus exactement le Zaïre comme on l’appelait alors, a augmenté dramatiquement à partir de 1996. En juillet de cette année, une coalition armée nouvellement formée, appelée l’Afdl a fomenté un soulèvement dans la province orientale du Kivu. Soutenues avant tout par le Rwanda mais aussi le Burundi, et face à une armée zaïroise mal entraînée et mal rémunérée, les forces insurrectionnelles ont progressé rapidement vers la capitale Kinshasa, renversant le président Mobutu et portant au pouvoir en mai 1997 Laurent-Désiré Kabila.
Dans le courant de l’année 1996, dans la ville orientale de Bukavu, plusieurs milliers d’enfants auraient suivi un entraînement militaire au sein des forces de l’Afdl, créant un précédant pour l’utilisation d’enfants soldats qui sera suivi par tous les autres groupes armés du pays jusqu’à ce jour. Certains enfants se sont engagés volontairement dans l’Afdl, séduis par la propagande et par la perspective initiale de recevoir chaque mois 100 dollars (89,2 euros), ce qui représentait beaucoup plus que ce qu’un Congolais moyen gagnait. Mais plusieurs milliers d’autres garçons et filles, ont été recrutés contre leur gré et souvent sans l’accord de leur famille, créant un précédant dramatique pour l’avenir. A ce jour, certains de ces enfants n’ont jamais revu leurs parents.
Jeanne a été recrutée de force par l’Afdl à l’âge de 11 ans en 1996: « J’ai été recrutée à Goma alors que je rentrais de l’école. Sur la route, il y avait des soldats dont le véhicule avait l’air d’être en panne. C’était en fait un piège. Ils m’ont appelée, moi et d’autres enfants . Quand je me suis approchée d’eux, ils m’ont alors attrapée et mise dans leur véhicule avant de m’emmener dans un camp d’entraînement militaire. C’est là que j’ai été entraînée et c’est de là que nous avons commencé à marcher sur Kinshasa. Parce que nous avons été emmenés de force alors que nous rentrions de l’école, nos parents n’ont pas su ce qui nous était arrivé. A ce jour, je ne sais pas si mes parents sont vivants. Et même s’ils le sont, ils ne savent pas ce qui m’est arrivée ».
Depuis 1996, beaucoup d’autres enfants ont été enlevés en Rdc, dans les rues comme Jeanne. D’autres ont été enlevés dans des classes, des camps de réfugiés ou pour personnes déplacées de l’intérieur. De nombreux enfants ont également été enlevés de chez eux sous la menace des armes, devant leurs parents affolés, qui ont assisté impuissants à leur enlèvement. D’autres encore ont été kidnappés alors qu’ils jouaient chez des voisins ou qu’ils marchaient au bord de la route. Des centaines de milliers d’enfants ont perdu leurs proches, sont séparés de leur famille ou bien déplacés: ils deviennent des proies faciles pour les recruteurs car ils n’ont plus personne pour les protéger. Dans quelques cas rares mais bienvenus, des parents ont été capables de localiser leur enfant enlevé et ont pu payer des soldats pour le relâcher. Mais dans la majorité des cas, les parents sont impuissants à empêcher la perte, souvent pour toujours, de leur enfant.
En plus de la conscription forcée, de nombreux enfants ont rejoint volontairement les rangs des forces armées ou des milices. Plusieurs facteurs expliquent les raisons pour lesquelles des enfants s’enrôlent volontairement dans les groupes armés, soit de leur plein gré, soit suite à des campagnes intenses entreprises par les groupes armés pour encourager l’enrôlement des enfants. Avant 1996, la population ne bénéficiait de presque aucun service. La guerre qui a depuis éclaté en Rdc, a provoqué la destruction quasi-totale des infrastructures politique, sociale et économique du pays. Comme les adultes, les enfants s’engagent parfois dans l’espoir d’échapper à la pauvreté et à leurs pénibles conditions de vie. Pour eux l’armée demeure le seul moyen de survie dans une économie qui est devenue petit à petit exsangue après des dizaines d’années de corruption puis en raison de la guerre. La pauvreté généralisée et l’éclatement des services sociaux de base, comme l’éducation et le centres de soins, ont donc poussé des orphelins et des enfants séparés de leur famille lors de la panique engendré par une attaque armée, à rechercher la protection d’un groupe armé pour assurer leur propre sécurité, leurs besoins en nourriture et satisfaire leur sentiment d’appartenance à un groupe, même si celui-ci est violent. Incapables de subvenir de façon adéquate aux besoins de leurs enfants et à leurs propres besoins, certains parents encouragent leurs enfants à s’engager dans les forces ou les groupes armés, espérant que leurs enfants toucheront un salaire, recevront une éducation et de la nourriture, et seront protégés par ces groupes armés.
Mais dans les zones où la propagande, les opérations de recrutement et les combats sont menées en fonction des lignes ethniques, ce qui est le cas principalement des régions du Kivu et de l’Ituri, on encourage de nombreux enfants à rejoindre les rangs des forces ou des groupes armés et à défendre leur propre groupe ethnique. Le conflit a fait beaucoup de victimes, de plus en plus d’enfants se sont enrôlés dans les rangs des forces ou des groupes armés afin de venger leur famille ou leurs amis, dont un ou plusieurs membres avaient été victimes d’un meurtre ou d’un viol souvent commis devant eux. Ils croient, ou bien ils sont endoctrinés par les adultes pour croire, qu’ils vont contribuer à une cause qui permettra à leur famille et leur entourage d’être protégés des autres forces présentes dans la région. Certains enfants sont influencés par les campagnes de propagande ou de recrutement militaires ou par des amis, et ils s’enrôlent au nom du devoir patriotique ou de leur propre perception du prestige et du statut de soldat.
Une fois recrutés, les enfants suivent une période de formation militaire et d’endoctrinement allant de quelques jours à plusieurs mois. En général, la formation consiste à apprendre à défiler, à obéir aux ordres, à démonter et remonter un fusil et à tirer. Ces formations sont toujours difficiles et de nombreux enfants, en raison de leur fragilité physique naturelle, succombent aux rigueurs physiques ou aux traitements brutaux qui leur sont infligés. Parfois, ils sont torturés, violés, privés de nourriture, de soins et de sommeil. Selon le témoignage d’un enfant soldat, des centaines d’enfants sont morts durant les 6 mois d’entraînement suivis à Bukavu en 1996 avec les forces de l’Afdl.
Thomas, qui est âgé aujourd’hui de 16 ans, a été recruté dans le Nord-Kivu à l’âge de 13 ans par le Rcd/Goma alors qu’il se rendait à l’école. Son frère de 8 ans ainsi que plusieurs autres enfants ont également été recrutés à la même époque. Il a été envoyé au camp d’entraînement de Mushaki dans le Nord-Kivu pendant 5 mois. En raison de blessures graves dues à des coups sur sa colonne vertébrale, il y a peu de chances qu’il retrouve l’usage total de ses jambes : « Les traces que j’ai sur tout mon dos sont dues aux commandants du camp qui m’infligeaient 40 coups de crosses de fusil chaque fois que je ne parvenais pas à faire comme un adulte les exercices quotidiens ou bien si je m’endormais pendant mes tours de garde. En raison des coups, deux de mes amis dans le camp sont morts. Les soldats les ont enterrés dans les toilettes. Je pense toujours à eux ».
Les exactions que les enfants doivent endurer pendant l’entraînement sont à l’image de la vie dans une armée, une vie dominée par les souffrances et les violations. Les enfants sont particulièrement vulnérables aux rigueurs de la vie militaire et souffrent surtout de maladies et de malnutrition dans les zones hostiles des forêts équatoriales. Même, lorsqu’il n’y a pas de combat, le taux de mortalité est élevé chez les garçons et les filles, car ils sont contraints d’aller à la limite de leur endurance physique et émotionnelle.
Les enfants qui survivent à ce régime de privation accomplissent différentes tâches: cuisiniers, porteurs de matériel, d’eau, de nourriture, de bois de feu et de munitions pour les soldats adultes. Ils sont souvent utilisés pour transporter des biens pillés par leurs commandants durant les batailles ou pour récupérer les fusils des soldats ennemis tués pendant les combats. Certains servent de gardes du corps auprès de leurs chefs, alors que d’autres sont envoyés en mission de reconnaissance dans la brousse ou dans les villages voisins pour repérer les positions ennemies et évaluer le nombre de soldats. Les responsables militaires pensent que puisque ce sont des enfants, ils passeront inaperçues aux yeux des ennemis. Les filles servent d’esclaves sexuelles pour les soldats et les viols sont courants.
A un moment ou à un autre, presque tous les enfants soldats seront confrontées à la réalité des combats. Inexpérimentés et parfois téméraires, ils se retrouvent face aux troupes ennemies comme boucliers humains pour protéger les soldats adultes qui les suivent. Il est impossible d’évaluer avec précision le nombre d’enfants morts au cours des sept dernières années de conflit mais il y en a eu des milliers et des milliers. Certains n’ont pas même pas été enterrés dignement. Même leur famille ne connaîtra sans doute jamais le véritable sort de ces enfants.
Ceux qui survivent sont souvent blessés, voire handicapés, avec peu de chance de pouvoir gagner leur vie pour le reste de leurs jours. Les bombardements à l’artillerie lourde, les déflagrations fréquentes dues aux explosions ont commotionné et rendu sourds certains enfants. Les médicaments sont souvent rares et il est parfois difficile d’acheminer, dans un délai raisonnable dans un centre de soins, ces enfants blessés au coeur des forêts. Bénédicte, recrutée par l’Afdl à l’âge de 11 ans, a rapporté à Amnesty international ce qu’elle a vécu au front : « Plusieurs de mes amis ont été tués au cours des combats. D’autres ont perdu des membres - des bras, des jambes. Je me souviens d’un camarade, un de mes amis, dont le nez avait été arraché. Un autre avait un grand trou au visage, autour de ses lèvres et de sa bouche ».
Des innocents victimes de brutalités
Si certains enfants sont téméraires ou ne réalisent pas complètement les dangers qu’ils traversent, la plupart éprouvent des peurs intenses lorsqu’ils sont envoyés pour la première fois sur un champ de bataille et ils ressentent un dégoût profond à la vue des cadavres et des blessés. Pour les forcer à surmonter leurs émotions et leurs réticences à tuer, les chefs brutalisent très tôt les enfants en les forçant à commettre des crimes contre leur gré. Ce processus démarre souvent dans les camps d’entraînement. Gaston a été enrôlé alors qu’il se trouvait dans sa salle de classe, à l’âge de 10 ans par l’Afdl: « On avait peur parce que nous étions jeunes et on ne savait rien au sujet de l’armée. Même sur les terrains de tirs, lorsqu’ils vous disent de tirer, vous avez toujours peur. Pour que je puisse vaincre ma peur, j’ai dû tuer quelqu’un dans le camp d’entraînement. Une nuit, ils ont emmené quelqu’un alors que je montais la garde de l’entrée du camp. C’était un enfant dont ils avaient caché le visage. Ils m’ont dit que c’était un rebelle, un ennemi et que je devais le tuer. C’est exactement ce que j’ai fait sur-le-champ, avec mon poignard. Cette nuit-là, après l’avoir tué, je n ‘ai pas fermé l’œil ».
Une fois sur le front, les brutalités continuent. Les enfants sont contraints à perpétrer des exactions, des meurtres, des viols contre des civils et des soldats ennemis. Certains ont dû même tuer des membres de leur propre famille. D’autres ont été forcés de se livrer à des actes de cannibalisme ou sexuels avec le corps d’ennemis tués pendant les combats. On donne souvent aux enfants des drogues ou de l’alcool pour anesthésier leurs émotions pendant qu’ils commettent ces crimes. Albert avait 15 ans lorsqu’il a été recruté par le Rcd/Goma en 1999: « Je peux vous dire par expérience personnelle que nous kadogos [enfants soldats] nous étions plutôt nombreux. Après la capture d’un village, ce qui arrivait, c’est qu’ils nous donnaient du chanvre [haschich] et nous forçaient à tuer des gens pour nous endurcir. Parfois, ils amenaient (les femmes et des filles pour être violées). Les officiers ne justifiaient jamais leurs actes. Chaquefois qu’ils faisaient quelqu’un prisonnier, ils ordonnaient aux kadogos de faire ces choses devant les soldats adultes, comme si c’était un spectacle, pour humilier les villageois. Cela ne nous intéressait pas mais ils nous battaient si nous refusions d’obéir. Avant de faire cela, avant de tuer quelqu’un, vous deviez fumer du haschich et une fois que vous l’aviez fumé, cela empêchait l’esprit de la personne que vous avez tuée d’entrer dans votre corps... ».
Olivier a commencé son existence d’enfant soldat à l’âge de 11 ans et pendant les 7 années suivantes, il a servi dans différents groupes armés. Après la capture de Katoye, une ville dont le sous-sol recèle de coltan, son commandant membre du Rcd/Goma, a ordonné à ses soldats d’attaquer les populations. « Il nous a ordonné de tout piller, de chasser les civils et de détruire leurs maisons. La population a réagi et à essayer de nous en empêcher. Alors le commandant nous a dit de tuer quiconque opposerait une résistance. Il m’a personnellement ordonné de le faire et a demandé à deux autres soldats de me surveiller et de me tuer si je refusais d’obéir. Alors, j’ai tué, j’ai tiré sur ces gens. Ils m’ont amené une femme et ses enfants et j’ai dû les mettre dans un trou pour les enterrer vivants. Ils criaient et me suppliaient de leur épargner la vie. J’ai pris pitié d’eux mais lorsque je me suis retourné, j’ai vu les deux soldats qui m’accompagnaient. Alors je me suis dit: « si je les laisse partir, ces soldats vont me tuer ». Alors j’ai fait ce qu’on m’avait demandé de faire et j’ai enterré la femme et ses enfants vivants pour sauver ma propre vie ».
La question de la responsabilité pénale des enfants pour les exactions qu’ils ont commises doit être envisagée dans le processus judiciaire et de réconciliation de l’après-conflit. Lorsque des enfants ont commis des exactions sous la contrainte ou l’influence de stupéfiants, la responsabilité de leurs supérieurs adultes est clairement établie. Les dirigeants politiques et militaires doivent être tenus responsables pour les crimes commis par les enfants sous leurs ordres. Toutefois, certains enfants soldats qui ont été démobilisés ont déclaré à Amnesty international qu’ils avaient peur de revenir dans leur région d’origine car les gens du cru avaient été les témoins des crimes commis par ces enfants soldats.
Albert, dont nous avons déjà cité le témoignage un peu plus haut, est aujourd’hui âgé de 19 ans. Il est démobilisé: « J’ai été ostracisé par la population. Quand j’ai tué des gens à K., on m’avait surnommé « l’assassin » et le nom est resté. Les gens ont commencé à dire que « l’assassin » avait quitté l’armée et que maintenant il allait devoir payer pour ses crimes. Pour moi, ce serait du suicide de retourner là-bas. Ils me tueraient ».
Lorsqu’un enfant est soupçonné d’avoir commis des crimes de son plein gré, Amnesty international pense qu’une enquête devrait être diligentée et, s’il y a suffisamment de preuves recevables, qu’il devrait être poursuivi en respectant à la lettre les normes et les normes internationales pour l’équité des procès des personnes âgées de moins de 18 ans, conformément aux principes du droit international relatif à la justice pour mineurs qui place l’intérêt de l’enfant au coeur des préoccupations. En reconnaissant les besoins spécifiques et la vulnérabilité des enfants, ces principes insistent sur la réhabilitation et la réinsertion des enfants dans la société plutôt que sur les sanctions.
Brutalisés, ces enfants l’ont été. En outre, la majorité d’entre eux ont été profondément traumatisés par leur expérience et continuent d’être hantés par le souvenir des exactions dont ils ont été témoins ou qu’ils ont été contraints d’accomplir. Les conséquences psychologiques sévères de leur séjour dans l’armée doivent être prises en compte sans délai lors des initiatives de démobilisation et de réhabilitation, ainsi que dans le processus de réconciliation de l’après-conflit.
Violence sexuelle envers les enfants soldats
Presque toutes les filles soldates ont été violées ou exploitées sexuellement par leur chef et les soldats de leur unité. Certains garçons ont également raconté des expériences similaires. Au-delà de la brutalité et du traumatisme du viol lui-même, toute agression sexuelle peut provoquer des lésions physiques, des grossesses non désirées, des infections par le virus Vih et autres maladies potentiellement mortelles. La majorité des filles soldates qui ont été victimes de violence sexuelle, souffrent également de traumatismes psychologiques et pratiquement toutes ont besoin d’un traitement médical pour les blessures physiques reçues pendant leur épreuve. Certaines filles violées par des soldats sont mortes car elles n’ont pu avoir accès à des centres de soins.
Natalia a 16 ans. Elle est du Sud-Kivu et a été recrutée par le Rcd/Goma quand elle avait 12 ans: « Je vivais au village avec ma mère, mes frères et mes soeurs. Un jour, notre village a été attaqué par les Maï-maï. Les soldats maï-maï ont pris tout ce que nous possédions. Quelques jours plus tard, notre village a de nouveau été attaqué mais cette fois-ci par le Rcd/Goma qui nous ont accusés de collaborer avec les Maï-maï et de leur donner de la nourriture. J’ai assisté aux meurtres de plusieurs de mes proches par les soldats. Ils ont violé ma mère et mes deux soeurs. Je me suis cachée mais j’ai vu comment ils ont violé ma mère et mes soeurs. J’avais peur et j’ai pensé que si je rejoignais les rangs de l’armée, je serais alors protégée. Je voulais me défendre. Une fois dans l’armée, on m’a appris à porter et à me servir d’un fusil, et je montais la garde la nuit et le jour. C’était horrible parce que je n’avais que 12 ans et que j’étais régulièrement frappée et violée pendant la nuit par les autres soldats. Un jour, le commandant a voulu que je devienne sa femme. Alors j’ai essayé de m’échapper. Ils m’ont rattrapée, m’ont fouettée et m’ont violée chaque nuit pendant plusieurs jours. A 14 ans à peine, j’ai eu un bébé. Je ne sais même pas qui est son père. Je me suis de nouveau enfuie et cette fois-ci, j’ai réussi à m’échapper. Mais aujourd’hui, je ne sais pas où aller et j’ai peur de rentrer à la maison, parce que j’étais une soldate ».
De nombreuses filles ont été torturées, maltraitées ou emprisonnées pour avoir repoussé les avances sexuelles de leurs supérieurs. Pour éviter de tels traitements, il est devenu routinier pour de nombreuses filles de céder aux avances sexuelles, qu’elles accomplissent contre leur gré. D’autres consentent à des rapports sexuels en échange de faveurs comme de la nourriture mais elles avouent se sentir « sales » après l’acte.
Emilie, recrutée de force à 11 ans par l’Afdl, a décrit ce qui lui est arrivé quand elle a dit « non » à son commandant: « Certains commandants avaient un sens moral, mais il y en avait d’autres qui voulaient seulement coucher avec n’importe qui. Ou vous acceptiez ou vous refusiez avec les conséquences que cela entraînait. Les commandants avaient, pour la plupart, une concubine et cela créait également des problèmes avec les autres femmes. Si vous refusiez, vous vous moquiez de son autorité, vous le défiez et alors il va vous causer des ennuis. Je me suis souvent fait fouetter sur le dos pour avoir dit non à mon commandant. C’est lui-même qui m’avait fait fouetter ».
Au terme du droit international coutumier, un viol commis pendant un conflit armé constitue un acte de torture. Le statut de Rome considère de tels actes comme étant des crimes de guerre.
La brutalité de la justice militaire
En plus de dureté de la vie quotidienne dans l’armée endurée par les enfants soldats, et qui bien souvent constituent des cas de mauvais traitements, les enfants sont également traités de façon brutale s’ils refusent d’obéir aux ordres ou de commettre d’autres transgressions, que celles-ci soient réelles ou interprétées comme tel. Certains sont battus ou placés en détention pour s’être endormis pendant leur tour de garde ou pour ne pas avoir effectué un exercice correctement. D’autres sont emprisonnés pour désertion, pour délits commis sur ordre des soldats adultes, ou à la suite d’allégations de connivence avec l’ennemi. Ils sont souvent torturés et maltraités pendant leur détention. Les conditions d’emprisonnement, qui sont souvent des trous remplis d’eau creusés dans le sol ou des containeurs en métal sans fenêtre, peuvent en elles-mêmes constituer des punitions cruelles et inhumaines. Les enfants soldats doivent également comparaître devant des tribunaux militaires sans représentation légale. Certains ont même été condamnés à mort et exécutés.
Jeanne, dont le recrutement forcé dans les forces de l’Afdl a été décrit plus haut, a rapidement compris qu’il fallait obéir aux ordres sans discuter: « L’armée c’est une simple question d’obéir aux ordres. Le principe c’est d’obéir à l’ordre avant tout. Les explications et les justifications viendront ensuite. Très rapidement, vous comprenez que si vous n’obéissez pas à un ordre du commandant, vous serez réprimandé et puni. On a été fouetté et maltraité à maintes reprises parce qu’on n’avait pas obéi à un ordre ».
Kalami a été recruté à 9 ans. Quand les délégués d’Amnesty international l’ont rencontré à Goma, il avait 15 ans. Il venait de passer six ans de sa vie à combattre dans les rangs de différentes forces armées. A la fin 2000, alors qu’il était dans le Rcd/Ml, après avoir été impliqué dans une bataille particulièrement violente, il a pris la décision de s’échapper. Malheureusement, il a été rattrapé: « La bataille n’en finissait pas. On nous a dit de tuer les gens en les forçant à rester chez eux pendant que nous mettions le feu à leur maison. On a même dû enterrer des gens vivants. Un jour, un ami et moi-même avons été forcés par notre commandant de tuer une famille, de découper leurs cadavres et de les manger. Après la bataille, j’ai décidé de m’enfuir et j’ai couru dans la forêt. Mais à Lubero des soldats m’ont découvert et m’ont ramené dans le camp. Ils m’ont emprisonné et m’ont battu tous les jours. Voyant que j’étais sur le point de mourir, un soldat a décidé de m’envoyer à l’hôpital de Lubero où des employés de l’Onu m’ont recueilli et m’ont démobilisé. Aujourd’hui, j’ai peur. Je ne sais pas lire, je ne sais pas où est ma famille, je n’ai pas d’avenir. Le pire, c’est pendant la journée quand je pense à mon avenir. Rien ne me rattache à la vie. La nuit, je ne dors plus, je ne fais que penser à toutes les choses horribles que j’ai faites et que j’ai vues quand j’étais soldat ».
Les enfants soldats sont parfois maintenus en détention pendant des mois, voire des années, sans véritable accès à des soins médicaux. Jean de Walikale dans le Nord-Kivu, a 15 ans et au mois de mars 2003 était détenu en prison depuis près d’un an. Il a été recruté de force à 12 ans par le Rcd/Goma. Au cours de son entraînement, il a été brutalement battu avant d’être contraint de rejoindre les lignes avant à Walikale. « Le 22 juillet 2002, mon commandant m’a demandé, ainsi qu’à deux autres soldats d’aller arrêter un homme. Quand nous sommes arrivés, l’homme a attaqué les autres soldats avec un marteau et il a frappé mon arme avec le marteau. J’avais peur et j’ai essayé de l’empêcher de se saisir de mon arme. Alors que nous nous débattions, le coup est parti et a blessé mortellement l’homme. J’ai été arrêté. Je n’ai pas de parents, ce qui signifie que personne ne m’apporte à manger. C’était dur de se battre au front. J’avais peur de mourir. J’ai été obligé de tuer des gens et j’ai vu tellement d’amis mourir ».
Damien, un ancien enfant soldat, a été condamné à mort à l’âge de 15 ans à Mbandaka dans une partie du territoire contrôlé par le gouvernement congolais. Il a été jugé en 1999 par la Cour d’ordre militaire, réputé pour son iniquité, qui l’a déclaré coupable de vol à main armée et d’association de malfaiteurs. Damien reconnaît que l’arme qui a servi au vol était la sienne mais qu’elle lui avait été dérobée sans son accord. Il affirme n’avoir joué aucun rôle dans le vol. Il n’a pas pu interjeter appel lorsque la sentence lui a été signifiée. Il s’était enrôlé dans la ville orientale de Beni quand il avait environ 13 ans, après avoir entendu un appel radiodiffusé qui exhortait les enfants à s’engager. Il espérait gagner assez d’argent pour payer ses études. Il a combattu sur le front dans la province de l’Équateur. Il est toujours hanté par les visions de nombre de ses camarades qui y sont morts. En 2001, sa sentence a été commuée en prison à vie dans le cadre d’une amnistie présidentielle. En août 2002, sa sentence a de nouveau été réduite à 5 ans d’emprisonnement. A la date du mois de mars 2003, il accomplissait sa sentence à Kinshasa, la capitale.
Des enfants soldats ont également été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Bahati de Masisi dans le Nord-Kivu a été arrêté à Uvira par le Rcd/Goma, le 25 mai 2003. Il était soupçonné d’avoir tué un soldat la nuit d’avant pour lui dérober son poste de radio. Il n’a pas pu bénéficier d’un procès et a été exécuté en public le jour de son interpellation.
Les enfants qui tombent entre les mains des troupes ennemies courent également de grands risques d’être exécutés extrajudiciairement, ainsi que l’explique Jeanne de l’Afdl: « Nous avons exécuté certains prisonniers de guerre, bien que nous en gardions beaucoup de vivants pour montrer à la communauté internationale que nous étions vraiment agressés. Mais nous n’avons pas gardé tous les prisonniers. C’est vrai, on en a éliminé certains. Vous ne pouvez pas avoir des procédures judiciaires sur la ligne de front parce que vous vous battez pour votre survie. Vous êtes du camp A et vous appelez ceux gens du camp B des rebelles et eux aussi vous appellent rebelles. C’est pour cela que quand vous vous retrouvez face à l’ennemi, tout ce que vous pouvez faire, c’est l’éliminer avant qu’il vous élimine.
Publié sur le Potentiel, 25 septembre 2003

