Congo - Les extraits, non publiés, du dernier rapport de l'ONU jettent un pavé dans la mare
Congo - Les extraits, non publiés, du dernier rapport de l'ONU jettent un pavé dans la mare
La paix reste en sursis à Kinshasa
Premier anniversaire de l'accord de paix. Optimisme de la volonté à Kinshasa. Des extraits du rapport de l'ONU dénoncent des réseaux.
COLETTE BRAECKMAN -- Le Soir du 19/12/2003
Un an après la signature, à Pretoria, de l'accord global et inclusif, la transition a démarré au Congo, avec un gouvernement d'unité nationale et une assemblée de 600 membres. Armand De Decker, le président du Sénat, est rentré de Kinshasa relativement optimiste et estime que les élections pourront se tenir dans le délai prévu - d'ici deux ans. Il s'est montré disposé à envoyer au Congo des juristes belges spécialisés en droit constitutionnel.
De son côté, la Banque mondiale a réuni les bailleurs de fonds à Paris, dans l'espoir de rassembler 2,3 milliards de dollars, destinés à financer la reconstruction du pays. Illustrant la situation à l'aide d'une vidéo où l'on voit des enfants assis sous le toit troué de leur école et se partageant, à 40, un ou deux cahiers, elle a démontré que tout était prioritaire : le secteur social, les infrastructures de base, la relance de l'économie, l'éducation… L'optimisme de la volonté manifesté par les bailleurs doit cependant être tempéré : le dernier rapport des experts de l'ONU sur le pillage des ressources du Congo a été expurgé de sa partie la plus explosive, histoire de ne pas éteindre espoirs ou illusions ! C'est que les experts du panel décrivent comment, via l'accord « inclusif », les forces impliquées dans le pillage se sont « ajustées » au nouvel environnement politique pour maintenir leurs réseaux et leurs profits.
Pour les experts, le Rwanda est toujours désireux de contrôler l'est du Congo. Cette influence s'exerce toujours via le RCD-Goma, désormais chargé de la sécurité, mais aussi via l'UPC (Union des patriotes congolais) à Bunia, dont les officiers rwandophones prennent directement leurs ordres à Kigali et via le gouverneur du Nord Kivu, Eugène Serufuli.
Ce dernier a recruté 18.000 hommes au sein d'une force locale d'autodéfense, qui aurait gardé des liens opérationnels avec James Kabarebe, le chef d'état-major de l'armée rwandaise. Une autre manœuvre de déstabilisation serait envisagée depuis le Kasaï, avec la participation de militants fidèles à Etienne Tshisekedi auxquels un pays africain non identifié aurait livré des armes via le Rwanda. Sur le plan économique, la « pompe à finances » est assurée par Congo Holding Development Company, une société, protégée par les officiers du RCD et active dans l'exploitation de l'or, du coltan et des diamants. Quant aux ex-FAR et Interhahamwe, le panel accuse Kinshasa de leur avoir longtemps envoyé des armes, mais dénonce aussi le fait que des officiers rwandais, présentés comme des déserteurs, auraient été infiltrés dans les rangs de ces miliciens hutus !
Pour ce qui est de la partie dite « pro-Kabila », les experts décrivent les envois d'armes aux combattants Mai Mai et au mouvement allié à Kinshasa, le RCD-ML, basé à Beni. Les principales ressources de ce réseau viendraient du « siphonnage » de recettes des sociétés d'Etat comme la Regideso, d'un contrat passé entre Miba (Minière de Bakwanga) et la société Emaxon, contrôlée par les diamantaires israéliens Leibovitz et Gertler tandis que 10 à 15 containers d'armes auraient été achetés en Jordanie.
Les intérêts ougandais, essentiellement commerciaux, s'exercent dans la région de l'Ituri. L'Ouganda y dispose toujours du relais représenté par deux mouvements rebelles qui vivent de recettes douanières et sont approvisionnés en armes via le lac Albert. Quant au MLC de Jean-Pierre Bemba, qui a perdu son principal point d'appui en République centrafricaine, il se serait désormais tourné vers Brazzaville d'où lui seraient parvenues, en août, des livraisons d'armes.
Cette partie non publiée du rapport des experts éclaire autrement les troubles entre Katangais et Kasaïens à Kinshasa et à Lubumbashi ou l'insécurité croissante à Kinshasa…·
Le 19/12/2003 | 06 h 00
COMMENTAIRE
L'optimisme de la volonté
COLETTE BRAECKMAN
C'est l'optimisme de la volonté qui prévaut à propos du Congo, et, un an après un accord de paix pratiquement imposé par la communauté internationale, et fortement appuyé par la Belgique, le pessimisme de la raison n'est pas de mise. Il est vrai qu'il y a quelque chose de miraculeux à voir cohabiter à Kinshasa les ennemis d'hier, à observer le fonctionnement du gouvernement de transition et celui d'une l'Assemblée nationale de 600 membres : tous les chefs militaires et politiques ont ainsi été retirés du terrain, et aspirés vers la capitale, ses honneurs et ses responsabilités.
Cependant, la partie non publiée du rapport des experts de l'ONU doit inciter à la vigilance : les ambitions personnelles ne sont pas apaisées. Et, surtout, les « groupes d'élite » (pour ne pas dire mafieux), qui, durant cinq ans, ont tiré profit de la guerre et des rapines, n'ont pas renoncé à leur entreprise. S'adaptant au nouveau contexte, ils ont simplement changé de tactique tandis que deux pays voisins, le Rwanda et l'Ouganda, ont gardé au Congo leurs réseaux d'influence et courroies de transmission.
Dans un tel contexte, l'envoi, à Kisangani, de quelque 150 militaires belges, chargés de former la première brigade mixte congolaise, est une entreprise aussi hardie que courageuse et volontariste. Car bien des questions subsistent. Outre le lieu où les Belges seront logés, il faudra savoir quelles seront les recrues que les trois belligérants (ex- armée gouvernementale , RCD Goma et MLC) mettront à disposition des instructeurs belges.
S'agira-t-il de soldats de métier, d'officiers promus « sur le tas » et in extremis, de bandits hâtivement revêtus d'un uniforme régulier? Si les ex-rebelles et les ex-mobutistes risquent de poser problème, ceux qui n'auront pas été choisis peuvent s'avérer plus dangereux encore : en tout soldat démobilisé et privé de solde, il y a un bandit qui sommeille et la Monuc est loin d'avoir entamé son travail de désarmement...
D'autres questions subsistent : la cohabitation entre les Belges et une Monuc très contestée à Kisangani, le caractère « multinational » que la Belgique voudrait donner à l'entreprise, sans avoir recueilli beaucoup de contributions jusqu'à présent...
La difficulté de la tâche ne devrait cependant pas être dissuasive car, sans la mise sur pied d'une armée nationale intégrée, il n'y aura pas de paix durable au Congo et les Belges ont raison de vouloir empoigner l'écheveau.
En veillant toutefois à ce que le partenariat n'exclue pas la lucidité...
