Tshisekedi fait le bilan de 44 ans d'échecs et d'humiliations
Le Congo, notre Patrie, est indépendant depuis le jeudi 30 juin 1960. Le 44ème anniversaire intervient ce mercredi 30 juin 2004. Nous devons marquer un arrêt, réfléchir sur notre trajectoire de peuple libre et, si nécessaire, réorienter nos choix présents et futurs.
Mais, avant toutes choses, nous déplorons et dénonçons les massacres, les pillages, les viols et les déplacements des populations dans les provinces Orientale, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Nous réitérons notre solidarité à l'endroit des victimes et de leurs familles éplorées. Nous condamnons ces actes de barbarie, leurs acteurs, leurs complices et leurs commanditaires. Nous disons en même temps notre profonde humiliation et notre intime sentiment de honte au vu de l'incapacité dans laquelle a été placé ce qui nous reste encore d'armée nationale pour défendre le territoire, les institutions légales, la vie des personnes et la sécurité des biens. L'incapacité de l'Etat à prévenir de telles calamités nous désole.
Mais pour comprendre la gravité, les causes et les implications de l'impuissance qui nous collent à la peau, revenons brièvement sur le sens même du jour de 30 juin 1960.
Notre serment de liberté
Combattantes et combattants de l'UDPS, chers compatriotes, ce jour est un jour exceptionnel. Devant Dieu et devant l'Histoire, la nation congolaise a pris la ferme résolution de fêter l'événement chaque année, pour commémorer notre commune renaissance à la liberté. La nation a pris également l'engagement solennel de renouveler, en ce jour, à elle-même et à la face du monde, le sentiment de demeurer à jamais libre, de rester toujours unie dans une marche collective vers un destin commun, et de demeurer solidaire dans la défense de la paix et dans la conquête du progrès. Notre hymne national nous fait jurer chaque jour de léguer ce serment " à notre postérité, pour toujours".
Le destin du Congo est aujourd'hui en état d'équilibre instable et, plus quel jamais auparavant, sur le fil du rasoir. Profondément marqué par des horreurs au quotidien, le pays peut sombrer dans une barbarie et un chaos irréversibles. Ou il peut, au contraire, se ressaisir dans une paix durable et dans un effort solidaire vers un progrès soutenu. Depuis 44 longues années, nous tournons en rond, au carrefour de l'histoire. Nous avons, certes, une impatience grandissante d'emprunter le même boulevard que d'autres grandes nations avant nous. Mais nous faisons face à des obstacles sans nombre, que nous nous dressons à nous-mêmes sans répit, souvent avec le concours de nos détracteurs extérieurs.
L'union des Congolais dans une même direction et vers un grand destin de peuple libre, de société d'équité et de nation de progrès: voilà notre défi commun ! Voilà ce que devait être notre idéal partagé ! Voilà le véritable sens de notre serment le jeudi 30 juin 1960! Voilà le flambeau qu'à chaque jour anniversaire, il nous faut passer solennellement à nos enfants et aux enfants de nos enfants. Le Congo a pour socle ce serment que la politique politicienne, l'amateurisme, l'affairisme, le terrorisme d'Etat, les magouilles, l'esprit de mercenariat et certaines ingérences extérieures ont juré d'enterrer sous les intérêts égoïstes et sordides.
Le projet national et républicain, la charte de nos libertés et notre aspiration à la dignité d'homme, n'ont pas pire ennemi que l'effacement de la mémoire collective. Nous avons tous, à ce sujet, un devoir sacré de vigilance!
Notre mémoire collective en danger
Combattantes et Combattants de l'UDPS, chers compatriotes,
Dans les tourbillons des dictatures, répressions aveugles, massacres et carnages, assassinats politiques, arbitraires, guerres civiles, agressions extérieures, pillages, détournements, hold-up, mensonges croisés et accusations réciproques des malfrats, comment retrouver le vrai sens de notre cheminement collectif? Que peut-il rester de nos repères communs lorsque nos engagements successifs sont reniés aussitôt? A titre d'exemple, souvenons-nous du sort réservé aux constitutions, textes, serments et accords suivants: Table ronde de Bruxelles, Loi Fondamentale, Congrès de Kisantu, Conférences de Tananarive et de Coquilhatville, Conclave de Lovanium, Constitutions de Luluabourg et celle de 1967 qui fut 12 fois amendés, de la CNS et de Sun City, Serments constitutionnels de quelques deux centaines de gouvernements qui se sont succédés, Compromis Politique Global, Accord de Lusaka, Accord Global et Inclusif, Accord de Pretoria, etc.
Que serait-il resté de tout cela ? Dans nos actes immédiats ? Dans nos réflexes conditionnés ? Et surtout dans nos mémoires de citoyens ? Qu'en avons-nous dit à nos enfants? De nos bourreaux, de nos bienfaiteurs, de nos héros et de nos traîtres, qu'en savent ces jeunes? En effet, nos jeunes générations vivent - et vivront longtemps! - dans des villages, quartiers et cités où les monuments historiques ont été rasés, où les musées ont été bradés et les archives pillées, et où les registres d'état civil et des cimetières sont utilisés comme papiers d'emballage ! Où sont les ouvrages qui parlent de nos luttes, de nos larmes, de nos pertes, de nos victoires, de nos délires collectifs, de nos espoirs communs, de nos tribulations, de nos vrais héros?
L 'UDPS insiste sans arrêt sur la nécessité pour notre peuple d'élargir et de renforcer la culture politique. Il s'agit d'une invitation au réveil de la mémoire collective. Pour les peuples, comme pour les individus, toute vision de l'avenir repose largement sur la mémoire du passé.
La date du 30 juin 1960 constitue ce jour, pour nous Congolais, le jour du plus grand rendez-vous de la nation congolaise avec l'Histoire. Nous invitons humblement les divers témoins de notre itinéraire à s'investir sans tarder dans la rédaction de leurs mémoires. Tout aussi humblement, nous incitons nos chercheurs, nos griots, nos conteurs et nos musiciens à nous restituer notre mémoire collective; pour le faire, ils doivent, nous le savons bien, ne compter qu'avec leur sens patriotique, les facilités opérationnelles leur étant difficilement accessibles. Nous en appelons modestement à ceux qui détiennent des documents rares, des archives privées, des pièces historiques, des symboles collectifs. à les garder précieusement. Ce patrimoine sera reversé dans nos musées, le jour où nous aurons réussi à refonder notre Etat. Nous en appelons, enfin, à nos compatriotes conservateurs et gardiens des musées, de garder intacts les lambeaux restants de notre patrimoine pillé. Notre demande instante va également - et tout aussi humblement - aux individus et institutions des puissance occupantes d'hier et d'aujourd'hui. Nous les invitons à daigner partager un jour, selon des formules équitables à négocier bientôt, la jouissance de leurs riches collections avec le Congo et les Congolais.
Une Nation à la recherche d'un Etat
Combattantes et Combattants de l'UDPS, chers compatriotes, Le 30 juin est aussi un jour de bilan. Il s'agit, pour chaque conscience, de dresser un bilan global sur la marche de la nation. Il ne s'agit pas de réciter la litanie des calamités qui continuent à s'abattre sur plusieurs coins du pays. Au point où nous en sommes aujourd'hui, les divisions, les querelles politiciennes, l'amateurisme et la dilution des responsabilités à la tête de l'Etat, dominent la marche du Congo. Nul n'en disconvient. Mais nul ne peut contribuer à baliser le chemin de la paix et du progrès en érigeant un mur de lamentations, en versant des larmes pour des calamités dont nous savons tous qu'elles ne sont pas les premières, et qu'elles ne seront malheureusement pas les dernières de cette Transition tant espérée, devenue aujourd'hui une marche cahoteuse vers l'inconnu.
A l'UDPS, notre façon de pleurer les morts inutiles et de compatir avec les personnes torturées, les veuves délaissées, les orphelins sans soutien, les personnes déplacées, les populations affamées, les femmes violées et les enfants abandonnés ou déscolarisés, c'est de transformer cette immense désolation du pays profond et cette injustifiable misère humaine en une détermination sans faille - inaltérable et constante - en faveur de la lutte pour un Etat de Droit, pour une démocratie pluraliste, et pour un progrès social équitablement partagé. La détresse du pays redouble notre détermination à servir le Congo et Congolais conformément à notre serment commun du 30juin 1960.
Servir le pays, au cours de cette période critique de son histoire, c'est essentiellement offrir notre solidarité à tous les patriotes où qu'ils se trouvent, pour travailler ensemble à la re-fondation de l'Etat, à la création d'un Etat à la hauteur du destin et des aspirations de la nation congolaise. Oui, à maintes reprises le Congo a déjà prouvé, à lui-même et à la face du monde, qu'il est devenu une nation. Que par delà l'extrême diversité de culture, le peuple congolais n'est pas un ramassis de tribus. Mais qu'au contraire, du nord au sud, de l'Est à l'Ouest, ce peuple, dont le passé est fait de sueur et de sang, adhère à l'idéal d'ériger ensemble, au cour du continent africain, une seule et même communauté de destin : grande, puissante, prospère, digne et ouverte au monde. Les événements qui ont endeuillé et humilié le pays en mai et juin de cette année ont donné à notre peuple - avec sa jeunesse et sa diaspora en tête - l'occasion historique de crier à l'unisson sa haine et son dépit face à l'inorganisation, l'impuissance et les jérémiades de leur pouvoir frileux. Mais également contre les complicités croisées, à la base des désolations, insultes et humiliations infligées à notre beau et grand pays.
L'UDPS refuse le rôle du justicier. Ce pays n'a aucun intérêt à nous entendre distribuer torts et satisfecits à chaque coup que se donnent ceux qui s'accordent tous à freiner la marche:'au Congo vers la démocratie. Mais la réaction du Congo profond n'a pas tardé. A l'unisson: ce peuple qu'on a tort de croire amorphe et malléable, divisé et corvéable, s'est brutalement levé les 2, 3 et 4 juin 2004 dans plusieurs villes et bourgades du pays. Il.. a dit dans les langues du pays et dans un langage clair, tout le mal qu'il pense de l'attelage institutionnel en place, des complicités croisées et de l'incompétence partagée qui privent notre pays d'un leadership terme.
Le moment est venu, en ce 30 juin 2004, de répéter notre admiration et d'exprimer notre fierté d'appartenir à ce peuple. Le Congo profond vient, en effet, de prouver qu'il ne s'est jamais endormi et que, même affamé et aplati, il puise l'essentiel de ses énergies dans l'humiliation et le désespoir auxquels tentent de le condamner les tyrannies successives, la médiocrité et les trahisons au sommet de l'Etat. Sortant de nos universités et instituts supérieurs longtemps à l'abandon, sortant également des bidonvilles et des égouts, ... les étudiants, les " shègués ", les chômeurs, et les parlementaires-debout ont donné le ton, ils ont manifesté dans nos rues, avec une exaspération à la hauteur des espoirs déçus et de l'humiliation subie.
Nos chances actuelles
Combattantes et combattants de l'Udps, chers compatriotes,
Les chances du Congo se sont élargies. Il nous faut en prendre conscience. Non pas pour relâcher nos efforts. Mais plutôt pour renforcer notre foi dans la victoire finale, et exploiter tous nos atouts dans notre noble combat.
La communauté internationale enfin éveillée ne nous compte plus son appui : ni politique, ni diplomatique, ni économique, ni financier, ni moral. La faim, la misère, les massacres, l'impuissance collective, la médiocrité et les intrigues au sommet de l'Etat doivent nous armer chaque jour d'une détermination farouche de renouer avec notre destin de peuple libre et de nation prospère.
A force de ployer sans dignité sous la charge des régimes ignominieux, la femme congolaise est aujourd'hui debout : au foyer, dans les affaires, à la tête des ONG et des institutions publiques, dans l'armée, la police et la magistrature, dans l'éducation, les formations hospitalières et la recherche scientifique. La femme en éveil constitue une chance inestimable pour la victoire d'un peuple qui lutte.
La diaspora congolaise, qui a grossi sous les divers régimes de répression et de régression, a cessé d'être un ramassis d'apatrides à la recherche d'un bonheur introuvable. Elle se réveille aujourd'hui comme une force morale et un lobby non négligeable, dans l'intérêt de la reconstruction de notre Etat.
La profession des communicateurs dans notre pays accumule de brillantes lettres de noblesse, non seulement pour avoir poussé, accompagné et renforcé notre combat contre l'assujettissement à l'extérieur et les tyrannies de l'intérieur, mais surtout pour avoir forgé la cohésion d'un véritable corps de métier, arc-bouté sur la charte de la liberté de la presse et puissamment servi par le progrès de nouvelles techniques d'information et de communications. Nos journaux, nos émetteurs de radio et de télévision, nos agences d'information et nos correspondants de presse, . ont réussi à créer, au-delà d'inévitables bavures de parcours, un puissant courant de liberté qui trouve sa meilleure _expression dans la diversité d'opinions. Même si le journalisme d'investigation tarde à venir, mais le professionnalisme croissant de nos communicateurs rassure, quant à l'issue de notre combat commun en faveur de la démocratie.
Les formations politiques écopent souvent le reproche injuste d'être en surnombre. Mais le vrai reproche n'est pas là. Il est plutôt dans le manque d'idéal, le vagabondage au gré des intérêts du moment, la veulerie et l'inconsistance des états-majors. Aux yeux de l'UDPS, qui a offert des martyres à ce pays pour avoir réclamé le multipartisme intégral sous les diverses dictatures, la pluralité des formations politiques est un atout pour la démocratie et un rempart contre le retour en force d'un Parti-Etat sous la houlette d'un soldat téméraire ou de quelque politicien illuminé.
La classe d'affaires congolaise a été certes, au vu et au su de tous, bloquée dans son élan. Elle a même été purement et simplement découragée par de pillages perlés, l'insécurité et la corruption, la terreur fiscale et l'arbitraire judiciaire.
Mais il convient de se réjouir qu'elle a aujourd'hui une pépinière rajeunie et élargie de hauts cadres formés dans de grandes écoles. Bien que livrés au chômage et à la débrouille, ces hauts cadres jeunes n'en rêvent pas moins à créer et gérer leurs propres affaires. Leur frustration est grande face aux querelles de clochers, aux diversions et aux agendas cachés de ce qui nous tient lieu de classe d'Etat. Ils constituent une véritable poudrière : de sa détonation peut jaillir un Etat congolais re-fondé sur les intérêts légitimes du développement intérieur. Ils sont aujourd'hui à l'affût, cachés dans le maquis intérieur des activités informelles, ou embusqués dans la diaspora congolaise à l'étranger.
Le progrès fulgurant des télécommunications dans notre immense territoire a raccourci sensiblement les distances, et réduit le compartimentage géographique et politique du pays. Ces atouts précieux des dictatures éliminés, l'ère de la démocratie et de l'union renforcée du peuple congolais a sonné. Les confrontations que la politique politicienne crée entre individus, groupes, ethnies et provinces n'appartiendront bientôt plus qu'au passé.
Tous ces atouts cumulés constituent autant de chances pour la nation congolaise d'espérer survivre unie, forte, prospère et respectée. Un tel rêve commun n'est réalisable qu'à l'abri d'un Etat moderne, fondé sur la loi républicaine, un système politique démocratique, des institutions stables et transparentes, et une crédibilité internationale.
Nos tâches actuelles
Combattantes et Combattants de l'UDPS, chers compatriotes,
Il nous appartient donc de nous mobiliser.
D'abord, pour forcer la marche de l'Histoire vers le rendez-vous que nous nous sommes récemment fixé à Sun City: les élections libres, transparentes et démocratiques.
Ensuite pour veiller à ce que les institutions à créer et les personnalités appelées à les animer soient à même de rassurer tous les citoyens et les étrangers en séjour régulier dans notre pays.
Pour réussir ces tâches, nous ne manquons pas de leviers: notre union et notre détermination comme une nation à la recherche d'un Etat ; l'aide de l'Eternel que les Congolais n'ont jamais cessé d'implorer, la sollicitude de la Communauté internationale et j'en passe.
Notre finalité commune reste de renouer bientôt avec notre serment commun de bâtir " un pays plus beau qu'avant, dans la paix! " En cette date anniversaire, l'UDPS, avec la constance qui la caractérise, renouvelle à notre nation souffrante, les assurances de sa fidélité à l'idéal du 30 juin 1960.
Je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 29 juin 2004
Tshisekedi wa Mulumba.
