LA POPULATION CONGOLAISE PEUT SENSIBLEMENT CONTRIBUER A LA SECURISATION DU PROCHAIN PROCESSUS ELECTORAL EN RDC.
.1. PREAMBULE.
Il est une réalité que malgré quelques dissensions entre des partenaires politiques congolais impliqués dans la Transition, pouvant d’ailleurs être considérées comme de simples incidents de parcours (1), le processus de normalisation en cours en RDC s’achemine lentement mais inexorablement vers la tenue des élections qui permettront au pays de se doter des institutions et des dirigeants nantis de la légitimité requise ; conformément aux vœux du peuple congolais et aux souhaits de la communauté internationale (2).
De ce fait, il est tout à tait normal que de l’opinion nationale et de la classe politique congolaises, ainsi que d’autres partenaires locaux et internationaux au processus de paix local soit focalisée sur des préalables juridiques, organisationnels et matériels propices à la tenue de scrutins comme l’élaboration et la promulgation de la loi électorale, e recensement, la mise en place de l’administration et de la logistique électorale etc.
Par contre, comme nous ne cessons de le souligner depuis un certain temps, il serait extrêmement important, du moins à notre humble avis, que les aspects sécuritaires relatifs aux prochaines consultations électorales ne soient pas considérés comme des matières secondaires dans l’agenda des garants de l’actuel processus de paix en cours au pays ; comme il semble malheureusement en être le cas actuellement, compte –tenu du fait que le secteur de sécurité congolais, si ébranlé par plus d’une décennie de tumultes politiques et des déplorables expériences insurrectionnelles, a besoin d’être profondément réformé au moment où le pays est actuellement considérées, selon certaines études (3), comme le quatrième pays africain le plus exposé aux risques d’attaques terroristes après le Kenya, la Tanzanie et le Burundi.
Cette situation ne peut que naturellement être aggravée par l’existence sur le territoire national et dans certains pays voisins de la RDC des groupes armés comme des rebelles Hutus des FDLR et autres milices locales réfractaires à la paix, potentiels alliés du terrorisme international, qui disposeraient d’une puissance de feu supérieure à celle des troupes régulières congolaises. (4)
Dès lors, il y a lieu de se poser la question de savoir, sans bien - sûr être le prophète des malheurs, ce qui adviendrait du processus de paix actuel en général, et en particulier des prochaines consultations électorales, qui devraient normalement s’étendre de la campagne électorale à la proclamation des résultats, s’il se produisait des incidents du genre du récent massacre de Gatumba au Burundi.
Quel impact négatif aurait sur l’opinion nationale et internationale congolaise une recrudescence des assassinats mystérieux comme ceux qui eurent lieu dans un passé récent à Kinshasa, Lubumbashi, Goma etc.? Quel effet moral démobilisateur aurait sur la classe politique et la population congolaise le fait que des convois de l’administration électorale tombent régulièrement dans des embuscades meurtrières tendues par des forces négatives présentes sur le territoire congolais ou en provenance de certains pays voisins de la RDC ?
Que dire de l’hypothèse que des meetings des partis politiques, dans le cadre de la campagne électorale, se transforment à des rixes entre des partisans, et conduisent à des émeutes ou carrément à des situations insurrectionnelles? Que penser de la possibilité qu’un leader politique quelconque soit mécontent du résultat des scrutins et en appelle ses partisans à la désobéissance civile susceptible de déboucher à une rébellion ?
Gouverner, c’est prévoir, dit – on. En tant que promoteur de la paix, nous estimons qu’il est nécessaire de solliciter l’attention des pouvoirs publics congolais sur leurs obligations constitutionnelles d’assumer une prise en charge anticipative adéquate de cette menace telle que ci- hait présentée; et surtout de sensibiliser la population congolaise, en tant qu’ensemble des citoyens, sur cette réalité actuelle que la sécurité collective des nations, a cessé d’être le monopole des Etats pour devenir une responsabilité commune entre les gouvernants et gouvernés.
2. APERCU SUR LE CONCEPT DE LA SECURITE HUMAINE.
Il nous a paru d’une certaine importance, pour une meilleure compréhension de la suite de notre réflexion, d’ouvrir une brève parenthèse sur le concept de la sécurité humaine, de plus en plus d’actualité depuis bientôt plus d’une décennie. (5)
Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale jusqu’au démantèlement de l’Union Soviétique vers la fin des années 80, les réalités découlant des exigences sécuritaires liées à la confrontation entre l’Est et l’Ouest avaient imprimé sur l’échiquier stratégique international la nécessité pour les Etats de survivre dans un environnement fondé sur la logique des armes dont l’équilibre de la dissuasion, qui leur imposait la fameuse « course aux armements », dans laquelle chacune des grandes puissances recherchait constamment à accroître sa puissance militaire, en vue de mériter le respect des autres et se maintenir dans l’ « arène atomique ».
Une des conséquences les plus fâcheuses de cette situation était que le citoyen, en tant qu’individu, était machiavéliquement sacrifié sur l’autel de la sécurité de l’Etat. C’est dans cet ordre d’idées que de milliers de jeunes Français, Américains, Russes, Cubains etc., perdirent la vie sur différents théâtres d’opérations militaires à travers le monde ; les opinions nationales s’accommodant de l’idée que ces pertes en vies humaines relevaient tout simplement du patriotisme.
Le signal d’alarme partit des Etats – Unis vers la fin des années 60, lorsque une bonne frange de l’opinion américaine commença à s’opposer à la meurtrière Guerre du Vietnam, et entreprit de lutter pour le désengagement américain du Vietnam. Cette pression citoyenne fut à la base de la « Doctrine Werenberger », dont l’actuel principe de « perte zéro « est une émanation, qui voulait que les Etats – Unis ne s’engagent dans un conflit armé que lorsqu’il est acquis que la victoire sera rapide et moins coûteuses en vies humaines.
Depuis lors, au niveau des relations internationales, il s’est de plus en plus consolidé cette nette tendance pour les Etats à placer la sécurité de l’homme, en tant qu’individu, au centre des préoccupations sécuritaires des Etats. C’est le fameux concept de la sécurité humaine, mis en exergue dans le « Rapport du PNUD sur le développement dans le monde de 1994 », qui est resté de mise jusqu’à ce jour.
Le citoyen étant devenu l’objet principal de l’action sécuritaire des pouvoirs publics ; il est par contre né une polémique (6) entre des théoriciens de l’approche néo – réaliste de la sécurité humaine comme Barry Zuzan, qui estiment que l’Etat devrait garder son rôle sécuritaire prépondérant ; mais qu’il faille seulement l’amener à inclure les aspects politiques, économiques, sociaux et environnementaux dans son évaluation de la menace ; un point de vue qui tranche avec celui des postmodernistes, dont Ken Booth, qui pensent que l’Etat ne devrait plus avoir la primauté dans la gestion de la sécurité de la collectivité et qu’il faille confier ce privilège aux acteurs non étatiques comme les individus, les groupes ethniques ou culturels, les ONG’s etc..
Les postmodernistes se fondent sur l’idée que l’Etat s’est lui – même disqualifié en tant que garant de la sécurité humaine, en devenant la source première de l’insécurité pour les citoyens (régimes dictatoriaux, police politique etc.), devenant ainsi pour ses propres citoyens la plus grande source d’insécurité. Nous avons personnellement une opinion favorable sur les vues des postmodernistes, au regard de ce qui se passe généralement en Afrique où l’homme en uniforme, suppôt de l’Etat, est plutôt devenu la principale source d’insécurité pour les citoyens.
En plus, l’actuelle affaire de la prise en otage de deux journalistes français et de leur chauffeur syrien en Irak nous a donné une belle illustration d’une certaine justesse de cette conception postmoderniste. En effet, il y a lieu de noter que les interventions du Président et du Ministre des Affaires Etrangères français ou du Gouvernement irakien ont quelque peu paru moins porteuses vis - à – vis des preneurs d’otages que celles des certains individus comme le Président du Conseil Culte Musulman de France, le Chef spirituel des Frères Musulmans et de la chaîne Al Jazira.
3. ROLE SECURITAIRE PRIMORDIAL DE LA POPULATION CONGOLAISE.
Il y a lieu de souligner que les consultations électorales ont souvent été une échéance très critique pour un bon nombre de processus de paix en Afrique. L’histoire politique récente des pays comme l’Algérie, l’Angola, le Congo Brazzaville montre à suffisance que l’organisation des scrutins peut directement ou indirectement occasionner des tumultes politiques se soldant par la rupture du processus de paix ou carrément la reprise des hostilités.
Au début de la présente réflexion, nous avons présenté des hypothèses qui donnent une idée de l’extrême fragilité du prochain processus électoral congolais, qui se trouve être le reflet de la situation sécuritaire globale du pays caractérisée par :
- Un consensus politique national susceptible de voler en éclats à tout moment comme viennent de le démontrer les récents événements de l’Est du pays.
- Un accomplissement plus ou moins douteux de la réforme du secteur de sécurité, supposée permettre le démantèlement effectif des anciennes rebellions, le processus DDR, l’intégration et la restructuration de l’Armée, de la Police et la redynamisation des services de renseignement, et la neutralisation des forces négatives présentes sur le territoire congolais.
- La survivance sur le territoire congolais et dans certains pays voisins des forces négatives, notamment des rebelles Hutus rwandais, occupant des portions du pays où ils pillent, violent et tuent dans une déconcertante passivité aussi bien de l’opinion nationale que de la classe politique congolaise.
- La déliquescence des structures nationales de sécurité, le déficit du professionnalisme et de l’esprit de corps au sein de l’Armée, de la Police et des services de renseignement au moment où la RDC est exposé à toutes ces menaces ci – haut mentionnées.
- Le néfaste développement d’une tendance aux discours populistes, haineux et prônant l’exclusion de certains groupes ethniques, politiques et militaires ; situant la classe politique congolaise aux antipodes de l’esprit et de la lettre de l’ « Accord global et inclusif ».
Au regard de ce sombre tableau de la situation sécuritaire du pays, il appartient au Gouvernement de la République de prendre des mesures dans le sens de la mise en place d’une structure inter – gouvernementale chargée de la coordination du travail de prise en charge de la menace interne et externe, et de la réhabilitation des unités anti – émeutes et anti – terroristes ; en mettant à contribution les ressources humaines dont regorgent le pays dans le domaine ; mais qui sont généralement mises en chômage ou banalisées à des sous – emplois, pour des raisons qui n’ont souvent rien à avoir avec l’intérêt national.
Nous pensons nécessaire de revenir sur ce que nous avons relevé plus haut, en soulignant que tout ce que le Gouvernement peut entreprendre, notamment en matières de sécurité, ne pourrait porter des fruits escomptés que s’il rencontre un écho favorable auprès de la population congolaise, qui se trouve être le principal garant de la sécurité de la Nation.
Nous avons dit plus haut que le concept de la sécurité humaine voudrait que l’homme, en tant qu’individu appartenant à une communauté, soit au centre des préoccupations sécuritaires de l’Etat ; et que nous partagions le point de vue des postmodernistes, qui estiment que le principal rempart de la sécurité d’une nation est moins constitué par l’appareil étatique que par la population elle – même, en tant qu’ensemble des citoyens d’un pays.
4. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS.
Qu’il s’agisse de la stratégie ou de la tactique militaire, l’attitude de la population a toujours été un facteur capital dans l’appréciation d’une manœuvre. L’histoire de l’humanité nous enseigne qu’il a toujours été difficile de venir au bout de la résistance d’une population déterminée à assumer sa liberté et sa destinée.
Le peuple congolais doit se ressaisir et réaliser qu’il a les capacités requises de barrer la route à tout personne ou toute entreprise du mal qui serait tentée de troubler l’ordre public ou de créer de l’insécurité dans le but de perturber les prochaines élections, et ainsi, de faire capoter l’ensemble du processus de paix en cours au pays.
En épiant et dénonçant les sinistres projets et actions des forces négatives, en leur empêchant de se fondre parmi elle pour accomplir leurs desseins terroristes, en refusant de cautionner des démarches machiavéliques de certains leaders politiques incapables de supporter le jeu démocratique normal, en s’opposant comme un seul homme à tout appel malveillant à la désobéissance civile ou à la rébellion, en s’abstenant de prêter l’oreille à l’intoxication et aux discours d’intolérance et de haine de certains politiciens démagogues et réfractaires à la paix, la population congolaise contribuera ainsi sensiblement à la consolidation des acquis du Dialogue inter – congolais, et à un bon déroulement du processus électoral, qui est actuellement la seule voie indiquée vers la démocratie et la bonne gouvernance, permettant l’espoir de l’amélioration de ses conditions matérielles et de son épanouissement.
Notes et références :
(1) Notamment les épisodes insurrectionnels de Jules Mutebuzi et Laurent Nkuda à Bukavu, ainsi que la récente suspension de sa participation à la transition par le RCD/Goma.
(2) Plusieurs recommandations du « Comité International d’Accompagnement de la Transition » à l’intention de la classe politique congolaise ont soutenu la tenue inéluctable des élections dans les délais impartis.
(3) Jeune Afrique Intelligent n° 2235, novembre 2003, p.p. 73 - 74
(4) Déclarations du Vice/ Président en charge de la Commission Politique, Défense et Sécurité à la chaîne de télévision TKM à Kinshasa, juin 2004.
(5) Le concept avait été mis en exergue par le « Rapport du PNUD sur le développement dans le monde de 1994 »
(6) Sagaren Naidoo, A Theorical Conceptualization of Human Security, in Peace, Human Security and Conflict Prevention in Africa, Institute for Security Studies, Pretoria, 2001, p.2
Kinshasa, le 12 septembre2004
Faustin B. LOKASOLA
Expert en questions de paix et sécurité
Coordinateur NPDAC/ ONG
Tel : (243) 98866498
E – mail : npdacong2003@yahoo.fr
