PROCESSUS DDR CONGOLAIS: EVALUATION CHIFFREE ET AUTRES CONSIDERATIONS.
Comme partout ailleurs en Afrique et dans le monde, en période post – conflit, le processus DDR a toujours constitué un des piliers de la reforme du secteur de sécurité et un des préalables sécuritaires majeurs pour la restauration de l’autorité de l’Etat, la consolidation de la paix et l’organisation des élections.
Cette affirmation se fonde sur le fait que le DDR est sensé à la fois clarifier la démarcation entre les politiques et les militaires, et permettre aux ex –combattants démobilisés de se faire une nouvelle vie, qui leur éviterait de succomber, par nécessité vitale ou par frustration, à la tentation de basculer dans la violence.
En effet, pour des hommes qui maîtrisent le maniement des armes et autres techniques de la guerre, la tentation est souvent grande, lorsqu’ils ne sont plus sous le drapeau et se retrouvent sans ressources, d’avoir tendance à continuer à se servir de leurs armes, en guise de gagne – pain; surtout lorsqu’ils se trouvent dans un environnement d’une totale détérioration des conditions de vie, comme c’est actuellement le cas en RDC.
C’est dans cet ordre d’idées qu’il nous est revenu, sans doute à l’instar de nombreux kinois, de nous poser certaines questions au regard de la recrudescence de la violence présentement constatée dans la capitale congolaise, avec la répétition des attaques à mains armées à la « western », des mutilations des corps etc., dont l’audace amène à penser que ces assaillants ne peuvent qu’être des professionnels des armes, pour ne pas dire des anti- terroristes, c’est – à- dire des gens ayant appris des techniques du terrorisme.
Pour ne pas tourner autour du pot, nous disons que toutes nos investigations et analyses sur les probables auteurs de cette violence nous renvoient sur les ex – FAZ en déshérence aussi bien à Kinshasa qu’à Brazzaville, curieusement ignorés par l’Accord Global de Pretoria, marginalisés dans le processus de l’intégration de la nouvelle armée, et dont le désespoir n’aurait d’égal que la frustration de voir les « patriotes » Mai – Mai et autres miliciens de l’Ituri se faire distribuer des galons et des fonctions comme des petits pains, au moment ou règne une incertitude totale sur leur sort.
Nous sommes de ceux qui pensent que la solution structurelle de l’actuelle recrudescence de la violence à Kinshasa passe fondamentalement par une requalification des conditions de vie du militaire congolais; ce qui implique ipso facto la nécessité d’un accomplissement judicieux du processus DDR.
C’est ici qu’il nous parait opportun de se soumettre à certains questionnements sur le DDR en RDC, maintenant que le processus de paix en cours au pays entre dans sa dernière ligne droite vers la tenue des élections.
Ou en sommes nous exactement avec le déroulement concret de ce DDR? Quel chemin le processus a- t – il déjà parcouru ? Quel est le volume global du travail qui reste à faire? Quelles sont les chances de réussite du processus de démobilisation et surtout de réintégration dans la vie civile de tous ces ex - combattants, au regard des limitations budgétaires du Gouvernements et autres réalités du terrain? Sera-t – il possible d’organiser des élections crédibles au pays sans l’accomplissement préalable d’un bon processus DDR?
Nous pensons que seule une objective évaluation à la fois quantitative et qualitative de l’ensemble du processus DDR congolais pourrait permettre de trouver des réponses satisfaisantes à toutes ces interrogations.
En effet, en guise des statistiques sur le processus DDR en RDC, il y a lieu de noter que le Gouvernement congolais évalue à quelques 320.000 hommes, le nombre des ex –combattants ayant appartenu aux différentes composantes belligérantes (210.000 selon les Nations - Unies), qu’il faudrait brasser, intégrer dans la nouvelle armée ou démobiliser, selon les cas; en vue d’aboutir à la création d’une armée nationale de 120.000 hommes; ce qui passe logiquement par la réinsertion dans la vie civile de quelques 200.000 hommes.
Or, malgré des propos optimistes du genre ceux tenus par le Général Kalume Numbi, Conseiller Militaire du Chef de l’Etat, selon lesquels le Gouvernement congolais allait soutenir un rythme d’intégration de trois brigades tous les deux mois pour parfaire l’intégration de l’Armée avant la fin de l’année, il y a lieu de constater une trop grande disproportion entre les chiffres escomptés et la vitesse du déroulement du processus sur le terrain.
Dans le cadre du programme dit de Démobilisation et Réinsertion Communautaire en Ituri, il est généralement admis que 11.000 ex – combattants ont été démobilisés.
Cependant, il y a lieu d’ajouter tout de suite que des informations concordantes fournies par des ONG locales rapportent que des ex –combattants fraîchement démobilisés en Ituri prennent le chemin des maquis, dont ceux du « Général » Bosco Tangana, et que d’autres sont recrutés par des Ougandais moyennant une somme de 200 dollars US par individu, officieusement pour servir de supplétifs de l’Armée ougandaise contre les rebelles de la LRA.
L’opération de la Force Aérienne Belge consistant à ramasser par avion, à travers la RDC, des ex – combattants à soumettre au processus DDR et à les rassembler à la Base de Kamina, n’avait recueilli qu’à peine 1300 hommes, ce qui est un chiffre tout de même trop modique.
Jusqu’à la fin de 2004, à Mahagi en Ituri pour ne citer que cet exemple, il n’y a eu que 18 Eafga’s démobilisés et 19 armes récupérées, tandis que le centre de transit de l’ONG Save Children Fund à Bukavu n’a eu jusqu’à ce jour qu’à démobiliser quelques centaines, selon la version la plus optimiste.
Jusqu’à présent, rien n’est encore fait au Nord – Katanga, ou pullulent pourtant des groupuscules armés constitués de milliers d’ex- combattants se réclamant de la mouvance Mai – Mai, dont les milices du sinistre Commandant Tshinja- Tshinja (l’égorgeur).
Par contre, il est rapporté que des combattants démobilisés au Kivu sont re-enrôlés par les Banyamulenges à Kaziba, Uvira et Minembwe; et par des Mai-Mai à Bunyakiri, Kalonge, Walungu, Mushinga, Irongo, Kabare, Idjwi etc.
Pour une garnison comme Kinshasa, dont les effectifs sont estimés à plus de 20.000 hommes, il est curieux de constater que seuls 141 ex –combattants ont, jusqu’à présent, été démobilisés.
D’une manière globale, il y a lieu de penser que d’octobre 2004 jusqu’à ce jour, un total de 9000 ex – combattants seulement a été intégré dans la nouvelle armée, dans le cadre de la formation des trois premières brigades intégrées respectivement à Kisangani, Kamina et Kitona, et qu’aucun ex – combattant n’a encore été effectivement réinséré dans la vie civile, hormis ceux de l’Ituri.
Donc, il y a lieu de constater que, depuis plus d’une année que le processus DDR avait été officiellement lancé, l’Etat congolais n’a pu brasser, intégrer et démobiliser que moins de 20.000 hommes; ce qui se situe à moins de 10 % des effectifs globaux des ex – combattants à soumettre au processus DDR.
En ce qui concerne le rapatriement des forces négatives présentes à l’Est du pays, les choses ne sont pas non plus meilleures, dans la mesure ou; les chiffres avancés sur le nombre des Interhamwes et ex - FAR rapatriés jusqu’à ce jour ne dépasseraient pas les 20.000 hommes, ce qui avoisine à peine le quart des effectifs estimés des Interhamwes et ex – FAR présents en RDC.
Au regard de ce qui précède, nous voudrions souligner que le processus DDR n’est pas une invention congolaise, il a déjà eu lieu dans d’autres pays comme l’Afrique du Sud, le Mozambique, la Sierra Leone etc..
Selon les données en notre possession, contrairement aux cas de ces pays, le processus DDR congolais nous semble avoir été conçu et être actuellement appliqué en dehors d’un cadre global de reforme du secteur de sécurité, avec un schéma directeur incluant la conception d’une politique nationale de défense et l’intégration de l’armée, ainsi que la réorganisation de la défense.
Une preuve éloquente de cette affirmation est à situer dans le fait que l’élaboration de la Loi organique sur la défense et l’armée en RDC a été faite sans une préalable définition d’une politique nationale de défense, et que le Service Militaire d’Intégration et la CONADER évoluent actuellement comme deux services tout à fait indépendants et dépourvus de toute coordination fonctionnelle.
En outre, les capacités budgétaires limités du Gouvernement n’augurent pas des perspectives meilleurs en ce qui concerne la réinsertion des ex - combattants démobilisés dans lave civile, qui constitue à la fois la partie la plus délicate et la plus budgétivore du processus.
Nous sommes de ceux qui pensent que c’est suite à ce déficit de conception que le processus DDR congolais ignore complètement la Police Nationale, alors que tous les ex – belligérants disposaient chacun d’une police qu’il faudrait également intégrer, d’autant plus que le rôle principal dans un contexte de restauration de l’autorité de l’Etat en période post –conflit revient plutôt essentiellement à la police qu’à l’armée.
Comme conclusion, nous disons que les garants du processus DDR congolais doivent se soumettre à des efforts titaniques pour espérer amener le processus à bon port dans les délais.
Notre pessimisme nous est dicté par le constat qu’il y a eu une conception trop approximative aussi bien de aspects fondamentaux que de mise en œuvre du processus; ce qui oblige présentement la CONADER à naviguer à vue, plus aux grés des situations conjoncturelles de terrain qu’en fonction d’un plan de travail clairement défini.
Nous ne pouvons nous empêcher de croire que, au regard de l’immensité du travail et de l’insuffisance de planification découlant de ce très mauvais départ, il ne serait pas évident que la CONADER réussisse à redresser la barque dans les 6 mois qui nous séparent du délai estimé pour l’intégration de l’armée et des 12 mois restant avant le tenue des élections.
Il y a lieu de penser que le climat actuel d’insécurité à Kinshasa pourrait se consolider aussi longtemps que de nombreux professionnels des armes continueront à ruminer des frustrations résultant de la marginalisation, et qu’un accomplissement non –exclusif du processus DDR et de l’intégration de l’armée constituent une approche primordiale pour la consolidation de la paix au pays.
En effet, aussi longtemps que les professionnels des armes congolais, plus particulièrement les anciens éléments des forces spéciales mobutistes seront marginalisés par le système, et continueraient à vivre en déshérence entre Kinshasa et Brazzaville ou, soit dit en passant, le pouvoir local n’a pas les moyens de les encadrer, même s’il en avait la volonté, ils seront toujours à la merci des vendeurs d’illusions et d’autres aventuriers, et par conséquent, constitueront toujours une menace pour la paix et sécurité à Kinshasa. Il ne faut pas être un spécialiste de renseignement pour se rendre compte de cette évidence.
En outre, il y a lieu de s’interroger sur la crédibilité qui serait accordée à des élections organisées dans un contexte ou; il n’existerait aucun distinguo statutaire entre la politique et la chose militaire, le milicien et le professionnel des armes, le « politico – militaire » et le fonctionnaire de l’Etat.
Faustin Bosenge Lokasola
Coordonnateur du Centre de recherches sur la paix et sécurité NPDAC/ONG
Chercheur associé à la Chaire UNESCO pour l’Afrique Centrale et les Pays de la SADC de l’Université de Kinshasa.
Partenaire au réseau de l’African Center for Strategic Studies de Washington.
Tel. (243)98866498
E –mail : npdacong2003@yahoo.fr
