Suspension de Raga TV à Kinshasa : OLPA craint pour l’indépendance de la Haute Autorité des Médias
L'Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA), réseau africain d’experts juristes et journalistes volontaires pour la défense et la promotion de la liberté de la presse en Afrique, a appris avec stupéfaction la décision n°HAM/B/CP/037/2005 du 1er juillet 2005 du Bureau de la Haute Autorité des Médias (HAM), institution publique de régulation des médias congolais, portant suspension de la chaîne privée de télévision Raga TV, émettant à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC).
Les motifs de cette décision indiquent qu’il y a eu traitement manifestement partial de l’information relative aux manifestations du 30 juin à Kinshasa, la récidive dans la diffusion d’un montage des images filmées alternant le genre « no comment » et le son sélectionné par un réalisateur subjectif. La HAM signale avoir aussi reçu une plainte des Services de l’ordre public.
Dans le dispositif, elle précise que la chaîne de télévision Raga Tv est suspendue pour une durée de dix jours. Elle est sommée de se faire enregistrer à la HAM conformément à la loi n°04/017 du 30 juillet 2004 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Haute Autorité des Médias. La décision de suspension ne concerne pas la chaîne de télévision Raga Plus.
De prime abord, OLPA constate que la décision prise par la réunion extraordinaire du bureau de la HAM est intervenue plusieurs heures après que les bureaux de Raga TV, Raga FM et Raga Plus aient été assiégés par des agents de la Police Nationale Congolaise (PNC), le signal des émissions coupé.
Il en est aussi de l’interpellation, le 30 juin 2005, de Luc Mikomo Kabongatre et Robert Muila, respectivement directeur des informations et journaliste à Raga Tv, Raga FM et Raga Plus par les éléments des services spéciaux de la PNC à l’immeuble Kin-Mazière de Kinshasa-Gombe.
Lors de sa réunion extraordinaire, le Bureau de la Haute Autorité des Médias n’a nullement fait allusion aux vices de procédure qui ont entaché la démarche des services de l’ordre public qui lui ont adressé la plainte dont ils ont obtenu gain de cause, d’autant plus que le président de la HAM s’était rendu le 30 juin 2005 à Kin-Mazière où étaient détenus les journalistes de Raga Tv et ceux d’Antenne A.
L’indépendance d’action dont jouissent les institutions d’appui à la démocratie entre elles et par rapport aux autres institutions de la République (Article 156 de la constitution), oblige à ces dernières de ne pas cautionner une irrégularité d’où qu’elle vienne.
Dans l’esprit du législateur congolais, la HAM devrait permettre aux médias d’accompagner efficacement le processus de paix, de réconciliation et de reconstruction. C’est pourquoi les médias devraient être mis à l’abri de l’emprise des pouvoirs politiques ainsi que des lobbies financiers afin qu’ils puissent bien former, éduquer et divertir la population par une information saine et objective.
C’est ainsi que les dispositions de l’article 9 de la loi n°04/017 du 30 juillet 2004 assigne entre autres objectifs à la HAM : de garantir la neutralité et l’équité des médias publics vis-à-vis des forces politiques et sociales, notamment lors des consultations politiques et électorales ; réguler le secteur des médias publics et privés commerciaux, confessionnels, associatifs, et communautaires ; mener en cas de conflit des actions de médiation entre les différents protagonistes intéressés et intervenants dans le domaine des médias ; veiller à la conformité des productions des radios, des télévisions et de la presse écrite aux lois de la République et l’éthique.
L’analyse simple de la décision de la HAM du 1er juillet 2003 démontre, à juste titre, que les membres du Bureau de cette institution ont péché par excès et par abus, sinon par pression.
Les accusations de partialité, de récidive dans la diffusion d’un montage des images filmées alternant le genre « No comment », la subjectivité du réalisateur portées contre Raga Plus ne semblent pas être fondées par rapport au droit professionnel et national de la presse ou encore à la technologie et pratiques de notre époque.
Il paraît aussi illogique que la diffusion d’une émission comme celle incriminée puisse entraîner la suspension de toute une station de télévision, au détriment de son personnel, de sa clientèle et de ses téléspectateurs.
OLPA rappelle que dans un passé récent lorsque les signaux de Canal Kin télévision, Canal Congo télévision, Radio Liberté Kinshasa ont été coupés par les forces de police ainsi que Global TV et la chaîne de télévision CEBS interdites d’émission par le porte-parole du gouvernement, la HAM avait protesté vigoureusement, qualifiant ces mesures d’illégales alors qu’il s’agissait des faits analogues à ceux reprochés à Raga Tv.
En prenant une telle décision sans respecter la procédure en vigueur au niveau de l’institution elle-même, le Bureau de la HAM a violé manifestement la liberté de la presse qui justifie même sa raison d’être et sur laquelle elle fonde son action.
La décision de la HAM semble fouler au pied le principe de légalité. Elle entame malheureusement la crédibilité de cette instance de régulation au niveau de la corporation et sème le doute sur son indépendance vis-à-vis des autres institutions du pays.
OLPA craint dès lors sur l’indépendance de l’action de la HAM pour l’avenir. Il en est de même du crédit à accorder à toute initiative ou décision qui proviendrait des organes de cette institution d’appui à la démocratie.
Un appel pressant est donc lancé à tous les professionnels de la presse qui oeuvrent au sein de cette institution d’avoir l’humilité et le courage de lever immédiatement et inconditionnellement cette mesure liberticide; et d’amorcer des actions susceptibles de redorer l’image de la HAM qui a été ainsi ternie par la prise d’une décision qui va au travers de la loi et du code de déontologie du journaliste congolais mis à jour par le Congrès de refondation de la presse congolaise du mois de mars 2004.
