Suspension de 3 journaux de Kinshasa : OLPA dénonce l’empiètement des attributions de l’Omec et l’instauration des pratiques dictatoriales par la Haute Autorité

L'Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA), réseau africain d’experts juristes et journalistes volontaires pour la défense et la promotion de la liberté de la presse, dénonce l’usurpation des prérogatives dévolues à l’Observatoire des Médias Congolais (OMEC) et l’instauration des pratiques dictatoriales par la Haute Autorité des Médias, instance publique de régulation des médias congolais ; après la suspension de trois organes de presse écrite de Kinshasa, le 19 septembre 2005.
Le Bureau de la Haute Autorité des Médias (HAM) présidé par Modeste Mutinga Mutuishayi, a décidé de suspendre pour une durée de trois mois quelques journaux paraissant à Kinshasa, le 19 septembre 2005. Il s’agit de Pool Malebo, le Journal et l’Ouragan.
L’instance publique de régulation des médias accuse le Journal et son supplément Pool Malebo d’avoir publié dans leurs éditions n°181 du 16 au 19 septembre 2005, et n°20 du 15 au 20 septembre 2005, des articles révélant la remise d’un don de 30 millions de dollars américains au secteur éducatif de la République de Tanzanie par le gouvernement congolais. Une libéralité qui intervient au moment où le torchon brûle entre les différents partenaires du secteur éducatif congolais.
Les deux journaux incriminés citent une lettre de remerciement adressée par la Conférence épiscopale de la Tanzanie à la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Les 16 et 20 septembre 2005, Monseigneur Laurent Monsengwo Pasinya, évêque de Kisangani et président de la CENCO, a démenti avoir reçu une quelconque lettre en rapport avec ce don, estimant que la CENCO ne doit pas être mêlée à une nouvelle qui ne repose sur aucun fondement.
A en croire le Bureau de la HAM, les articles publiés par le Journal et Pool Malebo contiennent des propos non vérifiés, des imputations dommageables rendus dans une absence totale de rigueur et dans la quête du sensationnalisme, manquements graves aux articles 2, 3, 6, 11 et 13 du Code d’éthique et de déontologie du journaliste congolais.
Se fondant sur le démenti de la CENCO, la HAM considère que la fameuse lettre n’existe pas et met cela sur le compte de l’intoxication.
La Haute Autorité des Médias reproche aussi à l’Ouragan le fait d’avoir publié un article similaire dans son édition n°215 du 16 septembre 2005, et d’avoir reproduit une analyse de Jeune Afrique l’Intelligent du 15 mars 2003, mettant en cause les soldats de l’ancien mouvement politico-militaire MLC (Mouvement de Libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba, un des quatre vice-présidents de la République démocratique du Congo (RDC), dans plusieurs exactions commises en RDC en 2002.
La HAM pense que ces exactions ne sont pas directement imputables à J.P. Bemba et que « la reproduction de cet article ne concorde pas avec les objectifs de réconciliation et de paix assignés à l’Accord global et inclusif ».
Eu égard à tout ce qui précède, l’Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA) constate que sur le plan procédural, le Bureau de la HAM a violé délibérément la loi du 30 juillet portant attributions, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité des Médias.
En suspendant ces organes de presse, la HAM a non seulement empiété sur les prérogatives dévolues à l’Observatoire des médias congolais (OMEC), organe d’auto-régulation des médias et qui fait office de juridiction des journalistes, notamment pour des questions inhérentes à l’éthique et à la déontologie journalistique.
En outre, les mesures prises par la HAM sont liberticides, car elles violent la lettre et l’esprit de la Constitution de la transition ainsi que des instruments juridiques internationaux.
Tout en condamnant énergiquement cette entorse au droit d’informer et d’être informé, OLPA dénonce, en plus, la tentative de la HAM de vouloir instaurer des pratiques dictatoriales susceptibles de favoriser les intimidations de tout genre à l’encontre des médias congolais.
OLPA saisit la même occasion, pour faire part à l’opinion tant nationale qu’internationale de sa grande déception d’avoir espéré que la HAM allait contribuer positivement à l’amélioration de l’état d’exercice de la liberté de la presse en RD Congo et à l’essor de l’espace médiatique congolais.
Par voie de conséquence, OLPA exige la surséance pure et simple de l’exécution de cette décision qui relève de l’arbitraire et de l’illégalité.
OLPA prie instamment le gouvernement congolais à prendre des mesures urgentes susceptibles d’arrêter cet excès de zèle qui met en péril l’exercice d’une liberté aussi essentielle à la démocratie.
OLPA recommande aux professionnels de la presse de la R.D.Congo de respecter scrupuleusement les règles édictées par le Code d’éthique et de déontologie du journaliste congolais en croisant les sources d’informations, afin d’éviter de prêter le flanc à tout prédateur de la liberté de la presse.
OLPA invite par ailleurs l’Union nationale de la Presse du Congo (UNPC), l’Observatoire des médias congolais (Omec), la Haute Autorité des Médias, et les organisations de défense de la liberté de la presse à mettre sur pied un cadre de concertation pour prévenir ce type de mesures qui risquent de menacer la sérénité au sein de la presse congolaise.