Pressions du GRET sur un quotidien indépendant : Le journal Le Phare de Kinshasa donne raison à OLPA

L’Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA), réseau africain d’experts juristes et journalistes bénévoles pour la défense et la promotion de la liberté de la presse, a fait état le 19 juin 2006 des pressions que le Représentant du Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques (GRET) en R.D.Congo exerçait sur un quotidien indépendant de Kinshasa « Le Phare ».

Après avoir dénoncé ces pressions qui étaient de nature à entraver la libre circulation de l’information, le GRET, par le biais de son représentant au Congo-Kinshasa, s’en était pris personnellement à un membre du Comité exécutif de l’OLPA, estimant que l’organisation ne devait pas se mêler d’une affaire concernant le Phare et le GRET alors que le droit d’informer et d’être informé était sérieusement menacé.

Voilà quelques jours après la sonnette d’alarme tirée par OLPA, le rédacteur en Chef du journal le Phare, Jean Kenge Mukengeshayi donne raison à OLPA.
Ci-dessous la teneur de la lettre adressée au représentant du GRET en R.D.Congo dont une copie a été réservée à OLPA.

Kinshasa, le 28 juin 2006

A Monsieur le Représentant du GRET en RDC
Kinshasa/Gombe

Monsieur le Représentant,

CONCERNE : ARTICLE DU PHARE DU 12 JUIN 2006

J’accuse réception de votre lettre datée du 15 juin
2006 en rapport avec notre manchette du 12 juin 2006
intitulée : «Un complot international contre la RDC».

D’emblée, je voudrais vous faire part de mon
indignation en raison de l’acharnement dont vous
faites montre à l’égard du Phare.

Après votre attaque en règle contre le journaliste
Jean N’Saka wa N’Saka, en concertation avec quelques
uns de vos compatriotes qui ont repris mot à mot
certaines de vos critiques aussi excessives
qu’injustifiées, voilà que vous revenez à la charge,
sans doute encouragé par notre volonté de jouer le
jeu, qui a pu vous paraître comme une renonciation à
notre liberté.

La seule chose qui saute tout de suite à mes yeux,
c’est que vous êtes le représentant du GRET en RDC. Il
s’agit d’une ONG qui appuie le secteur de la presse
dans notre pays. Mais je doute que cela vous donne
qualité pour représenter la Communauté internationale
et vous exprimer en son nom. Il y a ainsi dans votre
chef une dangereuse dérive et une consternante
confusion des rôles qui vous disqualifient aux yeux de
toute la presse congolaise, dont vous vous moquez du
travail du haut de votre chaire du GRET.

Je ne suis pas obligé de vous dire, comme vous
semblez m’y convier, qu’en lieu et place du Robert, le
Phare préfère de loin donner aux mots le sens que lui
donnent le sang, les larmes, les blessures et le
désespoir des Congolais face à la duplicité de leurs
prétendus partenaires. Je ne suis pas obligé de vous
dire que 36 mois durant, lorsqu’on a reçu mission
d’accompagner la transition, qu’on ferme les yeux sur
les manœuvres dilatoires des dirigeants, sur la
corruption, l’amateurisme et la mauvaise gouvernance,
et qu’on s’investit dans des communiqués complaisants,
c’est qu’on n’a pas intérêt à ce que cela marche dans
ce pays. C’est qu’on veut donner à l’accompagnement
un contenu opposé à celui qu’en attend le commun des
congolais.

Je n’irai pas, monsieur le représentant du GRET,
jusqu’à vous accuser de mauvaise foi. Acceptez
cependant, face à de telles évidences, que je ne
justifie pas devant quelqu’un qui n’en a pas qualité
l’analyse que vous vilipendez. Il me suffira
d’opposer à vos «lecteurs avertis» la forte demande
que nous continuons d’enregistrer sur l’édition du 12
juin. Il me suffira de vous donner cette information
qui vous surprendra : l’édition du 12 juin est le seul
journal, de toute la presse congolaise, qui a servi de
document de travail aux Evêques réunis le week-end
dernier en Conférence épiscopale nationale du Congo.
Voilà, me semble-t-il, des lecteurs qui ne sont pas
moins critiques et moins avertis que les vôtres!

Insinuer alors que le Phare écrit sur la base des
sollicitations des vendeurs de journaux est une
insulte grave que nous ne vous pardonnerons jamais.
Sachez que le Phare a existé avant le GRET et qu’il
continuera d’exister après. Que c’est l’un des rares
journaux à n’avoir pas changé, sous la dictée des
prétendus bienfaiteurs de la presse congolaise, sa
ligne éditoriale depuis sa création, et qu’il traîne
derrière lui une longue et riche tradition,
unanimement saluée sur le plan national, de lutte pour
la liberté, l’Etat de droit et la démocratie.

Vous parlez d’approximation, de sens des
responsabilités, de surenchère, ainsi que d’autres
intérêts que le journalisme. Ce n’est pas seulement
faire injure à notre journal et, à travers lui, à
toute la presse nationale selon vous manipulée par les
vendeurs. C’est aussi admettre que nous serions dupes
au point d’oublier que votre acharnement est le cheval
de Troie de ces intérêts qui tiennent à ôter aux
Congolais tout sens critique, à les infantiliser pour
en faire les clients attitrés des recettes magiques
conçues ailleurs et pour d’autres intérêts que les
leurs.

Voilà pourquoi vous abusez des leçons de déontologie
là où vous êtes incapable de produire la moindre ligne
qui soit synonyme d’injure, de diffamation, de
calomnie, d’altération des documents, d’incitation à
la haine...

Je vous rappelle, monsieur le représentant du GRET,
que les journalistes du Phare ont payé le prix le plus
fort en étant au front du combat pour la conquête de
la liberté de la presse dans notre pays. Il est
commode, en effet, de savourer à partir d’un bureau
climatisé et sous couvert de la coopération le fruit
de cette liberté chèrement payée par d’autres. A la
limite, je comprendrai – mais cela ne vous grandit
nullement - que le confort de votre position vous ait
fait oublier que ce sont les Congolais, et pas vous,
qui ont conquis cette liberté durant les années les
plus sombres de la dictature et que leur sacrifice
mérite respect.

En tout état de cause, je répète que vous n’êtes pas
qualifié pour parler de ce qui ne vous regarde pas.
Aussi, nous exigeons de votre part un minimum de
respect autant que nous récusons toute tentative de
réinstaller, sous le parapluie de la coopération, une
censure subtile et insidieuse. D’autant plus injuste
qu’elle ne se déploie que lorsque la critique
s’adresse aux pays européens.

Vous n’êtes pas qualifié, monsieur, parce qu’il existe
des organes de régulation et d’auto-régulation (Cfr le
rapport de monitoring de l’OMEC du 12 au 17 juin 2006)
qui n’ont pas trouvé à redire à l’article que vous
vilipendez. A moins que vous estimiez – autre insulte
- que ces structures ne sont pas à leur place, que
leurs animateurs ne connaissent pas leur métier et que
vous n’aurez de cesse de le leur apprendre.

Enfin, comprenez que je ne sois pas intéressé par un
échange complémentaire avec quelqu’un qui n’a pas de
respect pour le travail des autres et qui pense, grâce
à l’alibi de la coopération, recréer la presse
congolaise à sa propre image et pour son propre
confort.

Jean Kenge Mukengeshayi
Rédacteur en chef du Phare

Copie pour information à:

-Editeur du Phare
-GRET/ Paris
-HAM
-OMEC
-UNPC
-Organisations nationales et internationales de
défense des droits de l’Homme et de la liberté de la
presse.