Rapport de stage à Humanité Nouvelle
Rapport d’activité
Stage effectué du 13 septembre au 13 octobre au sein de l’ONG « Humanité nouvelle » sous le patronage de Monsieur Pascal Rukengwa.
Remarques préliminaires :
Je venais dans un cadre tout à fait personnel, sans aucune formation pratique dans l’encadrement des enfants. Mon regard sur les activités d’Huno est donc emprunt d’une grande subjectivité. Néanmoins, mes observations m’ont beaucoup appris et je suis très heureuse d’avoir pu partager ces quelques semaines en votre compagnie.
Remarques générales :
1. Le premier constat est celui du manque de moyens financiers.
- Quelque soit le dévouement et le dynamique de l’équipe, elle ne peut pallier aux carences financières .
- La prise en charge des enfants des rues demande des moyens très importants dès lors que l’on envisage une réinsertion effective des jeunes dans la société puisque leur marginalisation est essentiellement d’origine économique. Or, pour 2002, les budgets ne sont arrivés que début octobre au lieu de janvier. On ne peut demander aux enfants d’être assidus aux rencontres avec les animateurs (que ce soit pour les cours d’alphabétisation, de sport ou de musique) si, par ailleurs, ils n’ont rien à manger, pas de lieu pour se reposer, pas de vêtements, etc.
2. La pertinence de certaines stratégies préconisées par les bailleurs.
- Ne faudrait-il pas, au vu de la situation économique et sociale qui prévaut à Kinshasa, envisager de rendre les enfants économiquement indépendants (et donc responsables) à partir de l’âge de 15 ans, voire, dans une certaine mesure, 13ans ? A Ndjili, certains enfants de 12 ans à peine, travaillent MAIS suivent aussi une scolarité: ils travaillent par demi-journée et assument leur minerval et leurs repas. Cette situation nous semble moins dramatique que celle des enfants de Gombe qui passent leurs journées à mendier. Outre que cela pervertit complètement leur sens des responsabilité, à partir d’un certain âge, la mendicité ne paie plus. Les bailleurs ne semblent pas admettre cette réalité, considérant les jeunes comme des enfants qu’il faut protéger et prendre en charge jusqu’à l’âge de 18 ans. C’est évidemment une situation idéale, mais qui ne nous paraît pas très réaliste à Kinshasa. Les structures manquent terriblement et vouloir s’occuper de tous les enfants jusqu’à 18 ans revient à s’occuper mal de tous les enfants, y compris des plus jeunes, bien plus démunis face à la rue que leurs aînés.
- Il y a un autre problème avec les enfants plus âgés : s’il est vrai qu’ils peuvent donner un exemple positif aux plus jeunes, en tant que « grands frères », ils ont parfois aussi une influence négative. Ainsi, Guy nous a dit ne pas pouvoir aller dormir dans la maison du centre de Gombe car il était chassé par les plus vieux (à vérifier). En outre, quel est l’exemple donné par les plus vieux ? Ils vivent bien souvent de vol et de petits trafics. Ils restent, à quelques exceptions près, dans une situation de dépendance.
3. Les actions
- Nous pensons que Humanité Nouvelle gagnerait à cibler son action sur les enfants plus jeunes (jusqu’à 15 ans). Au regard de la précarité économique dans laquelle vivent de nombreux Kinois, il me paraît encore une fois illusoire d’encadrer les adolescents au delà de 15 ans, surtout s’ils ne font montre d’aucune bonne volonté. Si l’enfant n’est pas encore inscrit dans un programme de réinsertion (scolarité, formation professionnelle ou petit boulot) à cet âge là, c’est peut-être qu’il n’en éprouve pas l’envie.
Ex : Mitterrand a refusé de retourner à Livulu alors que le minerval était payé et qu’une assistante sociale est venue le chercher dans le centre ville pour discuter avec lui. Il faut bien sûr donner une seconde chance à cet enfant, mais le problème ici, est peut-être qu’il n’a pas été encadré pendant ses congés scolaires. Où s’arrête l’action de Humanité Nouvelle ? Faut-il prendre tous les enfants par la main pour être certain qu’ils aillent bien à l’école, qu’ils ne volent pas ? Encore une fois, c’est illusoire parce que l’ONG n’en a pas les moyens.
- Il existe des tas d’ONG qui s’occupent des enfants des rues à Kinshasa. Malheureusement, la coordination entre ces différentes instances est très faible pour ne pas dire inexistante. Plus d’efficacité dans la prise en charge des enfants passe par plus de coordination. D’autant plus qu’aucune ONG ne prend en charge les enfants de manière globale (resocialisation + remise à niveau scolaire + prise en charge de l’hébergement + alimentation + soins sanitaires et médicaux). Or, par définition, les enfants de la rue ont besoin que l’on prenne en compte tous ces éléments. Ne pas le faire, c’est risquer de s’épuiser vainement à sortir les enfants de la rue. C’est pourquoi, malgré le refus du bailleur de fonds, le projet de boulangerie et de petits boulots nous paraît plutôt bonne. Elle aurait au moins eu le mérite de responsabiliser les enfants et de leur donner de quoi vivre.
Les enfants
1. Ceux dont la situation est la plus dramatique.
Delou
Né en 1989. Pas bien grand ni costaud pour son âge, on reconnaît Delou entre tous les gamins de Kin. Une balafre boursouflée déchire son visage du front au menton. La rue est sa maison depuis deux ans. Delou se raconte d’une voix monocorde. Il cache sa tristesse derrière un visage impassible. Quand ma mère est morte, mes petits frères sont restés au village où elle a été enterrée. Moi, j’ai suivi mon père qui s’est remarié. Mais il est parti à la guerre et il n’est jamais revenu, explique l’enfant. Cette femme ne s’occupait pas de moi. A partir de mes 8 ans, elle a arrêté de payer le minerval pour l’école. Un jour, elle m’a dit que puisque mon père était mort, elle préférait se remarier. Elle est partie et m’a laissé seul dans la maison.
Le jour, il mendie pour s’acheter du pain, et il revient la nuit dans son cabanon. Je préférais dormir dans la rue avec les autres enfants plutôt que de rester tout seul. J’ai arrêté de rentrer à la maison. La balafre ? Delou désigne ses baskets, presque neuves. Des enfants voulaient me les voler. Ils m’ont traîné jusqu’au cimetière. Là, ils ont attrapé des tessons de bouteilles en disant qu’ils allaient me tuer. J’ai essayé de fuir mais mon pied a heurté une pierre. Je suis tombé sur la route. Une voiture le fauche. Après ça, je ne me souviens que de l’hôpital. J’y suis resté tout seul quatre jours. Puis, les médecins m’ont dit qu’il y avait beaucoup d’accidentés et qu’ils préféraient soigner ceux qui avaient de quoi payer.
Aujourd’hui, ses traits défigurés lui valent d’être rejeté par les autres enfants. Ils m’accusent d’être sorcier. Quand ça arrive, je préfère partir, changer de quartier.
Emmanuel, 12 ans
Emmanuel vit dans une petite maison à côté d’une ferme-porcherie avec ses parents et ses trois sœurs. Deux de ses petites sœurs sont mortes en bas-âge. «Bouffées par les parents » disent les voisins. Emmanuel a quitté l’école en 4e primaire. Il n’y avait pas d’argent pour le minerval. La famille vit dans des conditions extrêmement rudes. L’enfant porte des vêtements qui ne cachent plus grand chose de sa peau tant ils sont déchirés. Ils laissent voir des plaies profondes sur les bras, les épaules. Son crâne et son visage portent encore des cicatrices récentes. Je l’ai battu avec une branche d’arbre, explique la mère. Il avait volé. J’aime mon fils mais il a la tête dure.
Sa mère n’a pas prononcé le mot ndoki mais le gamin est régulièrement accusé de sorcellerie par son père. J’ai volé parce que j’avais très faim, explique l’enfant. Dans cette famille, le père qui travaille pour le fermier, le bailleur, avec son fils, n’a plus été payé depuis 7 mois. En ce moment, Emmanuel s’occupe seul des cochons, son père est parti faire le travail du charbon pour tenter de ramener un peu d’argent. Emmanuel nettoie la porcherie, transporte des sacs de nourriture, soigne les bêtes. Sans manger de la journée bien souvent. Comme ses sœurs, il montre quelques signes de malnutrition.
Emmanuel est perçu comme un enfant difficile par ses parents, contrairement à ses sœurs qui ne semblent pas poser de problèmes. Il a commencé à nous tenir tête vers 10 ans. Je crois que c’est du chantage pour nous forcer à l’inscrire à l’école mais ce n’est pas possible. Le gosse avoue : je veux étudier, je réussissais bien.
Lorsque nous avons quitté Emmanuel, il était 15h. Sa mère revenait d’un champ voisin avec quelques racines. L’unique repas de la journée pour la famille. La pauvreté n’a rien de sorcier, elle est simplement inhumaine.
Cet enfant n’est pas un enfant de la rue mais sa situation est terrible et demande attention.
Distingué, 8-10 ans (Ndjili)
Distingué ne connaît pas son âge. Il se donne 12 ans alors qu’il n’en paraît pas plus de huit. Il faut procéder par déductions. L’enfant est allé à l’école tant que sa mère était en vie, c’est-à-dire jusqu’en 2e primaire mais il n’a pas fini l’année. Il ne se souviens plus de quand cela date. « Ca fait longtemps ». Son père, militaire, était déjà mort et Distingué a été recueilli par un de ses oncles avec son grand-frère. Combien de temps ? Entre six mois et un an et demi puisque l’enfant a passé une nouvelle année chez son oncle. Ensuite, il est allé dans la rue mais n’a pas encore passé de nouvelle année dans la rue, ce qui signifie qu’il a quitté le foyer depuis moins d’un an. Pas plus de six mois, estime Crispin. On peut donc en déduire que Distingué a entre 8 ans, minimum et 10 ans maximum. Si l’enfant est réinscrit en deuxième année (ce dont les animateurs l’estiment capable), il aura un à trois ans de retard. Son histoire, telle qu’il nous l’a racontée. Distingué parle d’une voix basse, monocorde et sans émotion apparente. Il ne sourit pratiquement jamais, est très calme, trop sans doute, et a l’air de souffrir énormément de sa situation. « Papa était soldat, il est mort à la guerre. Maman est morte de la malaria. C’est le petit frère de mon père qui nous a alors recueilli, mon frère et moi. Il ne nous donnait rien à manger. La femme de mon oncle m’aimait bien. Mais il avait une maîtresse qui l’a envoûté pour qu’il nous chasse de la maison. Celle-là nous battait et nous a mis à la rue. Je ne sais pas où est mon grand frère. » Distingué, contrairement à d’autres enfants, a l’air de subir la rue plus que de la vivre. Il ne semble pas avoir d’attache pour ses compagnon d’infortune. Il dit vouloir retourner à l’école. Pour lui, l’internat semble indispensable, ainsi que la recherche d’une famille d’accueil pendant les congés scolaires car c’est un enfant qui a perdu beaucoup de son identité.
2. Les « vieux enfants » (Gombe)
Junior, 19 ans.
Junior figure parmi les plus anciens. Il est là depuis les débuts en 1999, ce qui, en soit, n’est pas spécialement une bonne nouvelle. Mon père est mort et ma mère est partie faire les champs, dans la brousse, loin de la maison, explique-t-il. Je n’ai pas voulu rester sur la parcelle avec mes petits frères, je suis parti dans la rue pour chercher de quoi manger. Aujourd’hui adolescent, Junior a décidé de s’en sortir. Grâce à l’association, il apprend la menuiserie dans une école professionnelle, le soir, il vient dormir dans la cabane du centre de Gombé. Je compte fabriquer des chaises et des lits pour le centre, explique-t-il. J’ai vécu avec les petits dans la rue, c’est à moi de les aider et de les protéger. Comme je peux. En reprisant leurs vêtements et en leur apprenant à lire, par exemple.
Junior a fait savoir qu’il voulait qu’on lui achète du bois pour montrer ce dont il était capable. Il est aujourd’hui suffisamment vieux pour travailler et subvenir à ses besoins. Pour lui, il faut envisager un placement chez un patron en apprentissage.
Mitterrand, 16 ans.
Mon père est parti, ma mère s’est remariée et son nouveau mari ne m’aimait pas du tout, explique Mitterrand. Pour manger, je demande aux gens… Grâce au centre, j’ai pu retourner à l’école ou j’apprend les métiers de l’art et la couture.
Mitterrand a pourtant refusé de retourner au centre de Livulu où il étudiait et où le minerval a été payé. Il semble vouloir saisir la chance qu’on lui donne de reprendre l’école. S’il ne le fait pas, il faut se poser la question de l’utilité à suivre encore cet enfant.
Melchand, dit Maïs, 14 ans
Melchand a le sourire franc et facile. Il est enfant de la rue depuis un an. Quand on lui demande pourquoi il a quitté la maison, il se renfrogne. Il montre son œil droit. On m’a frappé ici avec des pierres. On m’a manqué. « On », c’est l’oncle chez qui Melchand est allé se réfugier lorsque se mère est morte et que son père s’est remarié. Les coups, la faim ont poussé le gamin à fuir la maison. L’oncle, pas plus que le père ne payait l’école. Je voudrais reprendre l’école classique là où je me suis arrêté faute d’argent : en sixième primaire. Après, je veux apprendre la mécanique.
Joël, 18 ans
Joël vit dans la rue depuis dix ans déjà. Il vivait de mendicité jusqu’à ce que l’armée ne l’enrôle de force, voici deux ans. C’était lors de l’opération « Arrêtez les vagabonds ». J’ai fui. Je ne veux pas me battre. Nous sommes en guerre et je ne veux pas mourir. Et l’armée paie trop mal… Je préfère être mécanicien.
