RDC-GOUVERNEMENT, BUDGET ET DROITS DE L'HOMME POUR LA TOLERANCE ZERO
‘Tolérance Zéro’ en chiffres dans le budget 2011(*)
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Analysé par Pascal Kambale
Le Potentiel – Kinshasa
30 décembre 2010
http://www.lepotentiel.com/afficher_article.php?id_edition=&id_article=105075
La justice est l’institution naturellement chargée d’appliquer la politique gouvernementale de lutte contre la corruption. Cette réalité, le président de la République l’a reconnue dans son troisième discours sur l’état de la nation le 7 décembre 2009 en ces termes :
« L’assainissement du pouvoir judiciaire est une nécessité urgente; un facteur de crédibilité et une condition de succès pour notre politique ‘Tolérance Zéro’, si essentielle pour la moralisation de la vie publique et la bonne distribution de la justice. Les récentes mesures n’en sont qu’un premier pas. Elles doivent être complétées, et cela sans tarder. Par la restructuration du pouvoir judiciaire, conformément aux prescrits de la Constitution. Mais aussi par un ensemble de réformes, dont la révision de la loi pénale pour en renforcer les peines et la mise sur pied d’une structure de coordination multidisciplinaire de la lutte anti-fraude. »
Les choix des priorités opérés dans le budget de 2011 actuellement en discussion devant le Parlement sont néanmoins très loin de refléter cette politique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
Avec 6.890.000.000 de Fc (7 millions de dollars), le budget alloué au pouvoir judiciaire ne constitue que 0,1% du budget total de l’Etat, qui est de 644 milliards de FC ou 6,7 milliards de dollars. Ce budget est inférieur aux 8.473.093.953 de Fc prévus pour les dépenses en « Famille et enfants » non autrement précisées. On peut difficilement élever la réhabilitation de la justice au rang de priorité si on ne lui consacre même pas la moitié de 1% du budget de l’Etat.
Le budget alloué au fonctionnement du ministère des Relations avec le Parlement dont on a du mal à percevoir l’utilité est, à 1.476.297.754 de FC, plus important que celui de 1.116.552.595 de FC affecté au bureau du Procureur général de la République qui, en principe, est chargé de superviser les enquêtes et les poursuites judiciaires contre les auteurs de corruption – autrement dit, le Monsieur Tolérance Zéro par excellence.
Au sein du pouvoir judiciaire, la Direction nationale du service Anti-fraude ne reçoit que 260.945.027 Fc (289.938$) d’allocations pour son fonctionnement. En comparaison, c’est plus du double de cette somme qui est alloué au Service de la presse présidentielle, soit 481.500.000 Fc.
Une somme ridicule de 5.133.610.297 de Fc, représentant 0,07% du budget total de l’Etat, est affectée au fonctionnement du ministère de la Justice et doit être partagée entre le cabinet du ministre, le secrétariat général du ministère et les 17 directions et services spécialisés du ministère.
Deux de ces directions et services spécialisés reçoivent des allocations qui ne reflètent pas leur statut de piliers de la politique de Tolérance Zéro du gouvernement. La Direction de la brigade anti-fraude ne reçoit que 45.030.242 de Fc (soit 50.000$) pour son fonctionnement. Il y a surtout le bras principal par lequel le gouvernement est censé agir contre la corruption, la bien nommée Cellule chargée de la Lutte contre la Corruption, qui, avec seulement 127.459.362 de Fc (141.621$) reçoit:
- le tiers du budget alloué à la « Direction des Décorations » de la Chancellerie des Ordres Nationaux : 366.804.184 de Fc ;
- le quart des allocations du service de communication de la Présidence de la République : 436.400.000 de FC ;
- et 15 fois moins que la somme allouée au « Bureau des Services personnels du chef de l’Etat » : 1.912.683.548 de FC.
Il est aussi intéressant de noter que la somme de 15.491.920 de Fc prévue pour l’acquisition d’équipements de bureau et d’équipements informatiques de la Cellule de la Lutte contre la Corruption est presque identique aux 14.946.471 de Fc prévus pour « Alimentation (nourriture, aliments, boissons) » du cabinet du ministre chargé des Relations avec le Parlement.
De même, le budget de 38.237.761 de FC prévu pour équiper le bureau de la Cellule de la Lutte contre l’Impunité du ministère de la Justice est inférieur aux « indemnités kilométriques » allouées au cabinet du ministre des relations avec le parlement ainsi qu’au secrétariat général du même ministère, soit 39.879.799 de Fc.
« J’en appelle à un programme d’amélioration de l’environnement carcéral. La place des criminels est en prison. Les criminels sont néanmoins des êtres humains. Les conditions de vie en prison ne peuvent donc pas laisser indifférent un gouvernement soucieux des droits humains. » Ainsi parlait le président de la République dans son quatrième discours sur l’état de la nation le 8 décembre 2010.
Mais quelle est la réalité ? Comment le gouvernement, a-t-il traduit dans le budget 2011 cette préoccupation majeure pour les droits des détenus ? Au total ce sont 462.669.819 de Fc (514.077$) qui sont affectés à la nourriture, aux aliments et boissons des prisonniers de l’ensemble des maisons de détention. Ce budget est presque le tiers des 1.104.455.866 de Fc affectés à l’entretien de la résidence officielle du Premier ministre. Autrement dit, nous dépensons pour la nourriture de notre Premier ministre le triple de ce que nous consacrons à l’alimentation des pensionnaires de nos 11 prisons centrales (une dans chaque province) et de nos 3 camps de détention (Buluo, Osio et Luzumu).
A vrai dire, le projet de budget déposé au parlement contient un ordre de priorités pour le moins déconcertant. Par exemple, pour 2011, le gouvernement entend consacrer aux « Contacts avec les Partis Politiques » une somme – 22 607 149 de Fc – plus ou moins égale à celle – 22.938.798 de Fc – prévue pour honorer les contrats signés en vue de faire fonctionner l’Ecole de Formation des magistrats.
Il est également prévu 54 218 925 Fc pour « Habillement » dans le fonctionnement du cabinet du ministère de la Culture et des Arts, une rubrique qui n’existe pas pour le cabinet du ministère de la Justice. Ce n’est pas la seule curiosité lorsqu’on compare les deux ministères. Le projet de budget 2011 prévoit 54 218 925 de Fc pour « Alimentation (nourritures, aliments, boissons) » du cabinet du ministère de la Culture, contre « seulement » 4.708.387 de Fc à la même rubrique pour le ministère de la Justice.
(*) Les chiffres utilisés dans cet article sont tirés du ‘Projet du budget de l’Etat pour 2011’ publié le 7 octobre par le ministère du Budget à l’adresse http://www.ministeredubudget.cd/budget2011/budget2011.html
(**) Pascal Kambale est avocat à Kinshasa et enseigne à l’Université Catholique du Graben à Butembo
