LES CONFLITS SOCIAUX EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO.
Comme partout, il y a au Congo des conflits objectifs d’intérêts, de terres et de rivalités pour le pouvoir. De tels conflits ne sont pas à nier ou transcender, mais à arbitrer. Pour le sociologue, une société avec un minimum de conflits ou de frictions ne s’impose pas comme un idéal, car cette société n’aurait plus l’occasion de se redéfinir et d’évoluer. Le problème en situation de conflit est de le résoudre sans coût social excessif, en lui permettant de s’exprimer avant qu’il ne prenne des dimensions destructrices et en mettant en place des lieux de négociation qui assurent à chacun autant de satisfactions que possible.
Mais la construction des identités donne aussi lieu à des conflits. Car les identités sont multiples et ne se réalisent qu’à travers des projets qu’il faut articuler. Aucune identité n’épuise en effet la réalité humaine. Il est des objectifs que l’on poursuit en tant que membre de telle ethnie ou de telle Eglise, mais il en est d’autres qu’on ne peut promouvoir qu’à un échelon supérieur, national ou mondial, par exemple. Les différents niveaux ne s’excluent pas.
L’Etat a besoin pour fonctionner de façon participative, d’un tissu serré d’associations diverses, qui constituent la société civile. Les ethnies peuvent être une force sociale d’intégration, quand elles invitent leurs membres à s’inscrire dans des actions collectives d’autopromotion, de réflexion critique et de négociation. Mais il importe d’articuler correctement les différents niveaux d’identité et de projet. Un projet particulier ne peut être légitimement promu que s’il peut s’intégrer dans celui de la grande société à laquelle chaque groupe appartient.
Pour l’articulation des identités ethniques et de la conscience nationale, un des problèmes fondamentaux est celui du découpage des unités politiques et administratives. Celui – ci doit assurer à toutes les unités d’un même niveau les mêmes droits et obligations. Il doit en outre permettre une insertion suffisamment satisfaisante de tous les habitants d’un pays. En République Démocratique du Congo, plus de la moitié de la population appartient à des groupes qui n’ont pas de territoires propres tant soit peu étendus et toutes les ethnies ont des enclaves et des zones de cohabitation. Toutes les unités territoriales sont donc nécessairement pluri – ethniques et doivent être organisées comme telles.
L’administration coloniale qui avait dans les années 1920 tenté la constitution de territoires portant le nom d’une tribu y a rapidement renoncé devant les problèmes qui en résultaient. L’identité ethnique ne peut dès lors être prônée comme une nationalité. Ses représentants peuvent influencer la gestion de l’Etat en fonction de son système de valeurs et de ses intérêts, mais ils ne peuvent prétendre imposer seuls les orientations de l’Etat. Une ethnie ne peut même pas s’auto – proclamer : les identités étant sociales, elles ont besoin de reconnaissance de l’ensemble social dans lequel elles doivent fonctionner.
Les conflits d’identité qui surgissent dans l’histoire des sociétés sont en général liés à des conflits d’intérêts. Il s’agit, d’une part, comme on vient de le voir, d’articuler correctement ses différentes appartenances, selon le niveau respectif et l’importance des divers projets qui constituent les identités. Une analyse sociale correcte, une éducation appropriée et des activités de conscientisation en sont des instruments obligés. Il s’agit de développer une culture de la paix, ou une culture démocratique, où les différences sont acceptées sans être culpabilisées et où chacun accepte l’obligation de convaincre pour emporter l’adhésion aux objectifs et aux méthodes dont il se fait le promoteur.
Les autorités ethniques et les aînés en général ont ainsi à apprendre à cohabiter dans un monde pluraliste, où la vie s’est élargie. Les ethnies sont appelées à devenir des relais de participation, si elles veulent continuer à jouer un rôle dans un monde qui s’est transformé. Elles n’ont pas seulement à reconnaître aux autres les avantages qu’elles veulent s’attribuer à elles – mêmes. Elles ont à s’inscrire dans des projets plus vastes que ceux qu’elles peuvent promouvoir seules. Elles peuvent être à ce prix des forces positives dans le tissu de la vie sociale.
Mais ce qui vient d’être dit des ethnies vaut aussi pour les Etats et les consciences nationales qui s’y développent. Celles – ci ne peuvent se bâtir sur l’exclusion. Si le projet national qui mobilise les ethnies est seulement la lutte contre un ennemi extérieur, le danger est grand qu’une fois le danger étranger écarté, la logique de l’exclusion se prolonge dans une sorte de xénophobie à l’échelle ethnique. Au plan intérieur, les responsables d’un pays ne peuvent faire le bonheur de leur peuple sans s’efforcer d’intégrer dans la définition et la réalisation des objectifs communs toutes les composantes de ce peuple. Au plan extérieur, bien des problèmes se posent à un échelon supérieur à celui des Etats. Les Etats européens l’ont senti et s’emploient à construire l’Europe. Les pays du Tiers Monde et ceux de l’Afrique en particulier ont plus de raisons encore d’unir leurs efforts pour une transformation du système financier, économique et politique mondial dans lequel ils vivent.
Puissent les dirigeants de nos sociétés poursuivre vraiment le bien de leurs populations par des actions intelligemment menées aux niveaux respectifs où elles doivent être organisées pour être efficaces. Ils mériteront ainsi la béatitude des artisans de paix.
(*) Extraits de la Conférence intitulée : “ Les conflits sociaux en Afrique ” développée par le Révérend Père Léon de SAINT MOULIN, s.j., Professeur aux Facultés Catholiques de Kinshasa en collaboration avec Monsieur Nono KANZUMBA et le Groupe Culturel Les “ KAMIKAZE ” devant 978 étudiant(e) s membres du Club Universitaire de Paix en Afrique Centrale ( CUPAC).

