ALLOCUTION DU CARDINAL MALULA A L'OCCASION DU Ier ANNIVERSAIRE DE L'INDEPENDANCE DU CONGO, LE 3O JUIN 1961.

EN MARGE DU 43eme ANNIVERSAIRE DE L’INDEPENDANCE DE LA R.D. CONGO

Prononcée il y a 42 ans, cette allocution du Cardinal Malula ( mort il y a 14 ans ) garde encore toute sa fraîcheur et son actualité.
Notre Groupe Culturel et Artistique, LES “ KAMIKAZE ”, invite les chrétiens, les croyants ainsi que tous les hommes et femmes de bonne volonté de méditer cet appel pathétique qui a tout lieu d’une prière prophétique.
A l’occasion du premier anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, le 30 juin 1961, Son Excellence Mgr Joseph – Albert Malula, alors Evêque Auxiliaire de Léopoldville ( devenu depuis lors Kinshasa ) a célébré un Te Deum d’action de grâce, en l’Eglise Notre–Dame du Congo.
Etaient présents à cette cérémonie Son Excellence Monsieur Joseph Kasa – Vubu, Chef de l’Etat, les Ministres, les Députés, les Sénateurs, Son Excellence Mgr Mojoïsky – Perrelli, Délégué Apostolique pour le Congo, le Rwanda et le Burundi, le Corps diplomatique et de nombreuses autorités civiles et religieuses de la Capitale.
Au cours de cette célébration , Mgr Malula a prononcé une allocution de circonstance qui reflète, 43 ans après l’Indépendance de notre pays, la situation précaire de la République Démocratique du Congo. Ceux qui disent que le Cardinal Malula était un pasteur et un prophète ont pleinement raison.
C’est pourquoi en ce jour sacré du 30 juin 2003, nous invitons nos compatriotes à faire une méditation profonde à l’aide du message ci - après de l’ancien Archevêque de Kinshasa :
“ Mes chers Frères, que le Dieu de la Paix soit avec vous tous.
En ce jour anniversaire de l’accession de notre pays à l’Indépendance, partout à travers le Congo, se déroulent des manifestations de joie populaire. Pour ne pas être pleine, cette joie n’en sera pas moins réelle. Elle retentira bien sûr dans des cœurs brisés par le deuil, accablés par la souffrance et la misère, une joie mêlée d’incertitudes et d’angoisses peut – être, joie d’un pays Indépendant, mais violemment secoué et encore à la recherche de son parfait équilibre. Joie quand même, car notre population se réjouira dans la Liberté.
L’annonce de la prochaine rencontre de tous les responsables de ce pays ouvre nos cœurs à l’espérance. Pasteur de vos âmes, il est de mon devoir de vous parler, à vous qui portez devant Dieu et devant les hommes la responsabilité du destin de notre pays. Que puis – je faire de mieux que d’adresser à vous et à toute cette terre du Congo, le message de paix que les anges apportèrent à l’humanité toute entière : “ Et in terra pax ! ” Et paix aussi à cette Terre du Congo, paix à tous ses enfants de bonne volonté.
Ces enfants de bonne volonté, c’est tout ce peuple congolais qui souffre aujourd’hui sans que ce soit de sa faute. Ces enfants de bonne volonté, c’est vous, chefs terrestres, à qui ce peuple avait confié le sort de son destin. Puissiez – vous comprendre, mes frères, que la véritable paix à laquelle aspire ce peuple est celle qui résulte du respect des droits de Dieu et du respect des droits de chaque homme.
Les droits de Dieu
O ! Vous, chefs terrestres, comprenez que votre autorité vient de Dieu ; sachez qu’au – dessus de vous, il y a le Roi des rois et que tous les chefs temporels lui sont soumis. C’est lui qui a dit : “ Gloriam mecam alteri non dabo ”, “ Ma gloire je ne la céderai jamais à un autre ”. A lui, toutes les autorités de la terre rendront compte de la manière dont ils auront conduit leur peuple.
Quelle paix loin de Dieu et de sa Loi ? Le Grand Africain Saint Augustin nous invite à méditer ces paroles profondes dont lui – même a expérimenté la vérité : “ Inquietum est cor nostrum donec requiescar in Te, Domine ”. Notre cœur sera toujours dans l’angoisse, jusqu’au jour où il retrouvera sa paix en vous, Seigneur.
Et le Psalmiste nous prévient : “ Nisi Dominus aedificaverit domun, in vanum… ” Si ce n’est pas le Seigneur qui bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui l’édifient ’’.
Les droits du peuple
Faisant miennes les parole du Christ, je vous crie : “ Misereor super turbam ”. J’ai pitié de cette foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui souffrent. Elle souffre dans son corps et dans son âme. Un déluge de désordres s’est abattu sur notre pays. Si l’on peut se réjouir de l’effort généreux et désintéressé de plusieurs ( étrangers notamment ), on doit cependant regretter de respirer encore si souvent l’odeur nauséabonde de l’injustice, de la corruption et de l’immoralité. Vous avez été élus par le peuple et pour le peuple. C’est lui que vous devez servir tout d’abord. Si vous vous servez de lui comme d’un tremplin pour “ arriver ” , il vous haïra au lieu de vous aimer. Ce peuple qui souffre aujourd’hui attend de vous la fin de sa misère, la véritable paix, celle qui rendra à nos centres administratifs, villages, campagnes et villes, leur tranquillité et leur prospérité industrielle ; la paix qui permettra à nos frères agriculteurs de jouir des fruits de leur labeur. Ce peuple attend de vous les conditions d’existence favorables à son épanouissement humain et à la poursuite de sa destinée surnaturelle.
Union des esprits et des cœurs
Cette paix ne peut être obtenue que si vous tous, chefs terrestres, vous réalisez l’union des esprits et des cœurs. L’intérêt supérieur de la Nation l’exige. En effet, tout royaume divisé en lui–même ne peut subsister et résister. Cette terre est la nôtre, à nous tous. C’est dire qu’elle a besoin de tous ses enfants, de leur intelligence pour penser, de leurs bras pour travailler, de leurs cœurs pour aimer. La course au pouvoir, les ambitions personnelles, les rivalités et les oppositions tribales sont un poison pour la Nation. Le Congo veut des chefs compétents, mais surtout capables de se dépasser dans un élan de dévouement désintéressé.
Mes frères, le peuple qui vous a choisi attend, las des misères ; ses yeux dilatés par l’espérance de son salut prochain, seront tournés vers la colline où vous vous rencontrerez pour décider de son sort. Allez – vous le décevoir encore ?
Lutte contre les ennemis de la nation
Un drame se joue au cœur de l’Afrique. Deux forces s’affrontent au Congo : le matérialisme d’où qu’il vienne et nos traditions spiritualistes. Le Congo est devenu le terrain de leur irréductibilité antagonisme. La lutte est d’autant plus âpre que le Congo servira d’un magnifique tremplin pour subjuguer le continent africain. C’est avec un cœur plein d’angoisse, mes frères, que j ‘élève ma voix pour avertir ceux qui ont la responsabilité de ce pays. Il n’y a qu’une option possible. “ Qui n’est avec Moi, dit le Christ, est contre Moi ”.
Unissons – nous, mes frères. Une poignée d’hommes de bonne volonté, auxquels je rends aujourd’hui un vibrant hommage, ayant comme arme leur foi en Dieu et leur dévouement à la Nation, ont pu endiguer la vague de tyrannie qui menaçait de réduire notre pays à l’esclavage. Nous ne cessons d’invoquer pour eux, Celui qui, du haut des cieux, dirige nos seulement les hommes mais aussi les événements. Qu’avec l’aide de Sa grâce, ceux qui ont commencé l’œuvre de pacification de notre pays, puissent l’achever.
Nous avons des valeurs typiquement africaines : notre foi en Dieu et l’espérance de revoir de nos ancêtres, glorieux, dans le grand village du Père Céleste. Nous nous unirons pour défendre ces richesses. Le matérialisme, cette course aux plaisirs, au confort, à l’intérêt égoïste ; cette superstition moderne qui, faisant miroiter devant les yeux de l’humanité le mirage d’un bonheur parasidiaque terrestre, menace d’emberlificoter certains de nos frères ; en réalité cette superstition des pays soi – disant hypercivilisés ne cherche qu’à nous réduire à un esclavage dans lequel les Droits de la personne humaine, de la famille et de Dieu sont littéralement méconnus.
Pasteur de vos âmes, je ne puis passer sous silence cet autre danger, non moins grand pour l’âme bantoue : l’infiltration dans notre pays de faux bergers. Certains perturbateurs d’avant l’Indépendance s’ingénient à se faufiler dans nos rangs sous le fallacieux prétexte d’être conseillers ou techniciens. On les chasse par une porte, ils rentrent par l’autre. Que veulent – ils ? Diviser les Congolais, attiser les haines, susciter ici les vieilles querelles de leur pays, faire perdurer la crise congolaise. Nous n’avons pas besoin de semeurs de zizanie au moment où tous les enfants de ce pays doivent conjuguer leurs efforts pour bâtir une nation forte et prospère. Que tous ceux qui nous tendent la main sachent que nous attendons d’eux une aide désintéressée, mais que nous nous opposerons farouchement à toute tentative qui viserait de violer dans l’âme bantoue ce qu’elle a de plus précieux : le sens du divin.
Mes chers frères, l’entente que je vous recommande n’est pas un simple geste de courtoisie. Elle est une question de vie ou de mort pour la Nation Congolaise. Cette réconciliation nationale ne sera pas en effet, une stagnation, mais, à votre honneur, elle sera le point d’un essor prodigieux pour le bonheur de tous les Congolais dans la liberté ”.