LE CALVAIRE DE L’ENSEIGNANT CONGOLAIS.
Au cours de leur dernier séjour au Bandundu, Les “ KAMIKAZE ” ont eu l’occasion, une fois de plus, d’être confrontés aux dures réalités de l ‘arrière - pays : routes asphaltées jadis aujourd’hui transformées en pistes impraticables, écoles délabrées, bureaux administratifs fonctionnant sous des toits de feuilles de palmiers, centres de santé manquant cruellement de médicaments, populations désemparées, enfants faméliques, femmes parcourant plus de 40 km chaque jour pour s’adonner aux travaux des champs….
Voici le témoignage d’un enseignant rencontré quelque part dans le Bandundu profond.
“ Il y a lieu de se demander si l’enseignant est un Sisyphe ou un kamikaze. Jadis, l’enseignement était le métier le plus honorable. L’enseignant était l’homme le plus respecté au sein de notre société. Il était le Fonctionnaire de l’Etat qui pouvait engager des domestiques chez lui. Son salaire nouait les deux bouts du mois et il était “ l’homme oasis ” de sa contrée. Seul l’enseignant pouvait manipuler les billets de banque en quantité considérable. Au sein du village, les chasseurs, les pêcheurs, les tireurs de vin et tous ceux qui avaient des problèmes nécessitant une intervention financière ne défilaient que chez l’enseignant.
Il était l’homme le mieux habillé, sa femme et ses enfants symbolisaient le luxe et l’argent. Les traces de cette aisance matérielle et financière sont restées dans certaines contrées. Nous pouvons citer l’exemple de la cité de Tombola, contiguë au site de la paroisse Notre – Dame de Pelende, dans le Diocèse de Popokabaka. Le premier carré de cette cité est constitué d’une longue série de plusieurs dizaines de maisons construites en matériaux durables. Tous les propriétaires de ces résidences vitrées, ne sont que des enseignants qui sont aujourd’hui des pensionnés. Ils n’ont été ni en Angola chercher le diamant, ni faire des affaires pour construire ces maisons ; ils n’ont utilisé que leurs salaires.
Aujourd’hui, tout cela c’est de l’histoire. L’enseignant est devenu le marche–pied de la société. Il est devenu le Sisyphe congolais. La mythologie grecque nous révèle que Sisyphe, puni par les dieux grecs, était condamné à rouler une grosse pierre jusqu’au sommet d’une haute montagne. Chaque fois que la pierre atteignait le sommet, elle dégringolait en une fraction de seconde jusqu’au pied de la montagne. Et sans se lasser, Sisyphe redescendait jusqu’à la racine de la montagne pour recommencer son opération. Il en est de même pour l’enseignant congolais. Depuis qu’il a connu la pluie et le beau temps des années 60, sa vie est devenue précaire et s’est dégradée vertigineusement avec le règne des dinosaures. Chaque fois qu’une solution pointe à l’horizon, ses ennemis qui sont également ceux de la RDC, font tout pour brouiller les cartes.
Même le villageois le plus frustre se moque de l’enseignant. devenu objet de raillerie. L’enseignant est ridiculisé même à travers les chansons populaires. Tous ceux qui aujourd’hui vendent aujourd’hui un sachet de savon comme détaillant, trouvent là une occasion pour ridiculiser l’enseignant. Les propos injurieux à l’égard de l’enseignant sont devenus monnaie courante. A l’instar des propos tels que :
“ Qu’est –ce que vous valez, vous les enseignants ? Français mulayi mulayi ya pamba, na poche mbongo eza te ”. ( Vous ne valez rien, vous, enseignants. Vous parlez un bon français mais vous êtes pauvres ).
Les parents, devenus aujourd’hui les bailleurs de fonds de l’enseignants à travers la fameuse prime, trouvent eux aussi l’occasion de saboter l’enseignant, si bien que la fixation de ces frais de motivation, devient souvent un des moments les plus ridicules. Car, sans retenue, beaucoup de parents tiennent des propos discourtois à l’endroit des enseignants, lors de ces assemblées. On entend facilement des propos comme : “ Sans nous, vous porteriez déjà des feuilles de bananiers comme habits. Que les enseignants qui n’acceptent pas le montant fixé comme prime, démissionnent immédiatement, nous engagerons d’autres personnes ”.
Vis-à-vis de l’enseignant, les enfants qui passent entre ses mains, de l’école gardienne jusqu’à l’université, deviennent des ingrats et font le “ crocodile ”. Rappelez – vous le conte du crocodile ramassé en plein désert par l’homme, à qui il demandera de déposer au bord du fleuve, sinon il crèverait de soif et de chaleur. Après s’être sacrifié en traversant tout le désert, l’homme atteindra le fleuve. Lorsqu’il le déposera dans le courant d’eau et tournera le dos pour rentrer chez lui, le crocodile l’attrapera au mollet et menacera de le manger. Il en est de même pour l’enseignant. Tous ceux qui sont entrain de le maltraiter aujourd’hui sont ses propres élèves pour lesquels il s’est sacrifié, afin qu’ils deviennent ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Tel élève est aujourd’hui devenu un grand commerçant, mais il se moque de l’enseignant qui lui a appris à calculer, puisque ce dernier se promène “ à pieds ” et manque d’argent. Les exemples sont légion à ce propos.
L’enseignant d’aujourd’hui ne survit que par la grâce de Dieu. Il va au travail à jeûn et rentre sans avoir l’assurance de manger à son retour. Lorsqu’un cas de maladie survient au sein de sa famille, il est obligé d’aller mendier les produits pharmaceutiques. Scolariser ses propres enfants est un cauchemar. S’habiller comme il se doit, lui et les siens, est devenu un luxe.
Pourquoi contraint–on l’enseignant à faire le kamikaze ? Soumettre l’enseignant à la misère, c’est le contraindre à se sacrifier lui – même et tous les siens à une mort lente. Aujourd’hui par manque de moyens, l’enseignant croupit dans la misère la plus noire. Quand est–ce qu’il va vivre de son métier ? La quasi – totalité de la population à travers le monde peut apprendre en regardant et en étant soumis à des séances des travaux pratiques simplement, mais pas le métier d’enseignant. Un villageois qui ne sait ni lire ni écrire peut venir assister l’enseignant même pendant un siècle, il ne deviendra jamais un enseignant. Jusqu’à quand l’enseignant doit – il continuer à faire le bénévolat et l’apostolat ? Etre enseignant, est-ce être condamné à mourir pauvre ?
Que les gouvernants de la troisième République, trouvent les voies et moyens pour revaloriser l’enseignant, qui est le pivot moteur ou le pilier central de toute éducation, et de tout développement d’un pays qui se respecte ”.

