C’EST LE DEGOUT DU CHEZ SOI ET LE BESOIN DUNE VIE MEILLEURE QUI INCITENT LES CONGOLAIS ( SURTOUT LES JEUNES) A FUIR LA R.D.C.
La balade démocratique en RDC, avec la détérioration des conditions de vie qu’elle a occasionnée au passage, a entraîné les jeunes du pays à éprouver un sentiment de dédain envers leur patrie et à croire qu’ailleurs, loin de leur lieu de naissance, ils pourront trouver un meilleur épanouissement. Pour tout jeune Congolais maintenant, rester à la maison veut dire mener une vie intenable ; et cela correspond aussi à la vérité. En effet, comment ne pas voir la vie en noir quand on manque pratiquement de tout ? Comment ne pas se sentir menacé dans son existence quand toutes les activités économiques réduites que l’on peut entreprendre finalement échouent ?
Le Congo Démocratique a prouvé qu’il était incapable de donner à sa jeunesse, l’éducation, la couverture sanitaire, les emplois, le cadre d’épanouissement et d’insertion dont elle a besoin. Les jeunes, après leurs études secondaires et universitaires, se voient abandonnées à eux – mêmes. Leurs parents, précipités dans le chômage forcé qu’a entraîné la fermeture de la quasi totalité des entreprises publiques, sont de plus en plus incapables de prendre en charge tous leurs problèmes. Même quand papa et maman travaillent, leur double salaire est tellement maigre et irrégulier qu’il est tout à fait insignifiant face à l’énorme liste des besoins qu’ils éprouvent. Cela est connu de tous.
Le salaire mensuel d’un fonctionnaire congolais ne lui permet pas de payer le prix d’un transport décent pour se rendre à son lieu de travail.
Les tarifs pratiqués par les transporteurs sont généralement l’équivalent de trois ou quatre semaines de salaire. Si telle est la situation, comment donc ce parent démuni peut – il encore prétendre assurer un quelconque bien – être à ses enfants ?
Il y a donc eu depuis 1990, une rupture de la chaîne qui, jusqu’alors, grâce à son fonctionnement normal, assurait un certain équilibre et une certaine aisance sociale. En effet, au temps des vaches grasses, l’enfant partait du ventre de sa mère à ses genoux et de là il était récupéré par la cour du village ou du quartier. De la cour familiale il passait à celle de l’école et au but de son cursus scolaire, l’Etat le sollicitait pour un emploi vacant quelque part. Le salaire que ce jeune diplômé recevait lui permettait de subvenir à ses besoins personnels, à ceux de son épouse, de ses enfants et parfois, à ceux de toute la famille. Mais, depuis le déclenchement du processus démocratique, l’Etat a cessé d’exister, tué par sa propre désorganisation et ses contradictions internes.
Tout jeune Congolais qui fait le parcours historique que nous venons de reprendre s’aperçoit que son avenir est sombre. Aussi éprouve – t – il un dégoût et une haine envers son pays. Il comprend que, si l’on est allé aussi loin dans la bêtise, dans la paupérisation de millions de personnes, c’est parce que l’argent dont le pays disposait hier est allé dans les poches de quelques particuliers, de quelques barrons du régime Mobutu, hier et des nantis d’aujourd’hui.. Et, comme s’il n’y avait pas d’autres alternatives, il décide tout simplement de partir. Partir où ? Cela importe peu. Il faut tout simplement partir, tenter sa chance ailleurs. Ainsi donc, découragés et effrayés par l’effondrement du monde autour d’eux, les jeunes Congolais, garçons et filles confondus, se tournent vers d’autres horizons, vers d’autres pays à la recherche de la survie. Au Congo, quitter est devenu une question de vie ou de mort. L’exode des populations que l’on expliquait jusqu’ici par d’autres causes, dont la sorcellerie, le conflit des générations, l’attrait des villes, s’explique aujourd’hui, au pays du Fleuve Congo, par une seule et grande raison : le dégoût du chez soi et le besoin d’un ailleurs que l’on croit toujours meilleur.
Parmi les jeunes Congolais qui aujourd’hui quittent leur milieu de vie initial, je puis relever quatre principales tendances. Le premier groupe, appelons le ainsi, est constitué par ceux qui ont un goût presque obsessionnel de l’Europe. Par centaines, ils débarquent au portes de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, du Portugal et, surtout, de la Belgique. Dans leurs rangs, on rencontre des diplômés d’Etat, des gradués, des licenciés et bien d’autres détenteurs de grades académiques et de titres universitaires. Très peu sont cependant, à leur arrivée en Europe, possesseurs des titres de séjour réglementaires. Les Congolais qui entrent régulièrement en Europe sont le plus souvent issus de la classe dirigeante qui a, entre les mains, l’argent, les amitiés et des relations dans toutes les chancelleries et représentations diplomatiques de Kinshasa. Ils peuvent alors voyager en avion, louer un taxi à l’arrivée et réserver une chambre dans un hôtel luxueux.
A côté de ceux – là, qui ont les moyens et les papiers, il y a, et ils sont les plus nombreux, les jeunes Congolais qui empruntent le bateau pour arriver dans le paradis de leurs rêves. Coincés entre les containers, les billes de bois ou les sacs de café comme des souris, ils endurent froid, chaleur, gaz et fumée pourvu qu’ils entrent en Europe, la terre de la réussite et de l’argent facile. Il n’est pas rare que les moins robustes ne tiennent pas le coup. Ils peuvent mourir d’étouffement ou de famine ; et, puisqu’ils voyagent souvent en groupes, les survivants jettent le cadavre à la mer en se partageant son avoir et surtout ses vêtements.
Toutefois, si les conditions de voyage les différencient, les candidats congolais à l’Europe sont égaux à l’arrivée. Ils se convertissent tous, qui en coiffeur, qui en bijoutier ou en musicien. Les techniques d’insertion sont les mêmes pour tous. Les banlieues sont les endroits où ils se regroupent habilement.
Le deuxième groupe est constitué de ceux qui, incapables de se rendre en Europe, ou en attendant de pouvoir y aller, se tournent vers d’autres pays africains connaissant une certaine paix sociale et une croissance économique acceptable. Une fois sur les lieux, ils se livrent à de petits métiers et à des trafics parfois scandaleux. C’est ainsi qu’on les retrouve comme coiffeurs, cordonniers, danseurs ou pasteurs dans quelque secte chrétienne si cela peut leur être profitable. Les moyens de transport dépendent ici des possibilités financières de chacun.
Pour l’instant, ils ont un peu délaissé l’Afrique de l’Ouest pour se bousculer aux portes de la Zambie et de l’Afrique du Sud, fleuron incontesté de l’économie africaine. Il arrive aussi des moments où, profitant d’une mission à l’étranger, le Congolais s’échappe de son hôtel et disparaît de la circulation. Le cas s’est présenté lors des Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. Toute l’équipe de basket – ball féminin du Congo-Zaïre y avait fait défection après son élimination.
Les deux premiers groupes de jeunes expatriés que nous venons de présenter ont ceci de commun qu’ils ont tous pour destination, des pays autre que le leur. Ce qui est à l’opposé de villes ou leurs villages d’origine. A la question : qu’allez – vous chercher ailleurs loin de chez vous ?, les jeunes congolais répondent qu’ils vont en Europe pour partager avec les Occidentaux, le fruit du dur labeur imposé par les Européens à leurs ancêtres pendant la colonisation.
Ils affirment poursuivre l’or, le diamant, le pétrole bref, les richesses que l’Europe extrait presque gratuitement de l’Afrique et du Grand Congo en particulier. A notre avis, les pays d’accueil ne devaient pas être trop sévères envers ces jeunes frères de Patrice Emery Lumumba qui viennent frapper à leurs portes. Ils n’ont pas choisi de s’expatrier ; on les y a poussés. Ils sont le signe qu’au Congo, chez eux, ça ne va pas. Ils sont les indices d’une société en déliquescence, la honte d’un Etat devenu impuissant.
Les Congolais qui s’expatrient nous posent une question difficile si nous voulons la résoudre par un jugement de valeur. Il n’est pas très aisé de dire si partir de chez soi est bon ou mauvais mais, une chose est sûre, les départs massifs de jeunes privent le Congo des têtes qui pourraient lui être utiles. Le pays n’étant pas propice à leur évolution, tous les sportifs, et les artistes s’en vont monnayer leurs talents sous d’autres cieux.
Par contre, beaucoup choisissent quand même de rester bien qu’en changeant de milieu. Garçons ou filles, intellectuels ou illettrés, tous vont alors dans les zones aurifères et diamantifères du pays. Ils constituent de gigantesques campements en pleine brousse ; et là se déroule une vie sans loi ni morale. Chacun fait ce qu’il veut et la réussite appartient à ceux qui savent se battre même physiquement. Si les hommes creusent le sol pour chercher les pierres précieuses, les jeunes filles qui rodent dans le campement jours et nuits, se vendent pour gagner un peu d’argent.
La prostitution et la promiscuité y sont tellement prononcées que les maladies dues au manque d’hygiène sexuelle tuent chaque jour, près d’une demi – dizaine de personnes. Ce qui cause le plus de honte, c’est que le jeune Congolais, en général, ne réussit jamais à faire des investissements rentables à long terme avec l’argent issu de la vente de l’or ou du diamant. Tout le gain se dilapide dans la boisson, les femmes et les vêtements. Seuls les Libanais, qui leur achètent ces pierres précieuses à des prix extrêmement bas – c’est le lieu de le dénoncer -, peuvent en tirer profit.
Parmi les jeunes qui restent au pays, bien que vivant ailleurs que chez eux, il en est qui s’adonnent à l’agriculture de circonstance. Ils pratiquent la culture sur des terres louées à des vieillards à l’intérieur du pays. Selon les saisons, ils produisent du maïs, du manioc, des pommes de terre. Ce quatrième groupe d’émigrés écoule ses récoltes sur les marchés des grandes villes avoisinantes. Mais ils paient un lourd tribut au manque d’infrastructures adéquates pour le transport rapide et la conservation des marchandises. En raison des pluies, il arrive qu’un jeune perde toute sa récolte de tomates parce que, là où il se trouve, aucun camion ne peut accéder. Si par chance un camionneur brave les bourbiers et réalise le transport attendu, avec l’argent gagné, le jeune agriculteur vient s’installer en ville où il emploie son argent avec intelligence. Il investira habituellement dans son ancien quartier, dont il connaît mieux les besoins, qui dans une échoppe, qui dans un petit moulin à maïs.
De ce que nous venons de dire, il ressort que la jeunesse congolaise, depuis la mise en route du processus démocratique, est poussée à l’exode, au départ. Beaucoup aimeraient bien rester chez eux mais, la misère et le spectre de la mort précoce les poussent à chercher un ailleurs qui serait meilleur. La République Démocratique du Congo qui se balade en démocratie depuis treize ans a choisi d’ignorer les besoins des jeunes, et ces derniers, abandonnés à leur triste sort, sont contraints d’aller frapper à la porte du reste de l’humanité. Dégoût du chez soi et besoin d’un ailleurs meilleur, voilà le sentiment que la démocratie congolaise a cultivé en sa jeunesse.

