Aujourd'hui, comme sous la dictature, les artistes musiciens congolais pratiquent l'art pour l'art.
L’art congolais est un diversifié. Il regroupe en son sein, la sculpture, la peinture, la musique, le cinéma et la danse pour ne citer que ces quelques exemples. Sa renommée sur le plan mondial est à la taille de sa grande richesse. Il n’existe pas de continent sur cette planète où l’on n’ait pas accueilli un musicien congolais. Ainsi que nous l’avons démontré plus haut, les candidats à l’exode y sont pour beaucoup. Quand, dégoûtés par le Congo, ils s’en vont vers d’autres pays, l’activité principale qu’ils y mènent, est celle de la musique et de la danse. Aujourd'hui en Afrique, nul ne peut contester la notoriété de la musique congolaise.
Une brève promenade dans les rues de Kinshasa fait prendre conscience qu’il n’y a dans la ville aucun mur qui ne porte soit un dessin, soit une écriture. La peinture, et essentiellement la décoration, est presque l’affaire de tous. La musique, à son tour se vit partout dans les quartiers et les écoles tout comme dans les assemblées religieuses. Lors des veillées mortuaires, les jeunes, aidés de deux ou trois tambours, exécutent d’une seule traite, cinquante à cent chansons populaires. Le Congo, on se contente de relever sa fécondité au niveau musical, ressemble à un pays où il fait bon vivre, et, en fait, les « ambianceurs » ne peuvent pas se sentir mal à l’aise à Kinshasa ? Mais, le regret qui se dégage de tout cela est que l’art pratiqué au Congo est en fait un opium.
En effet, depuis le début de la démocratie, les gens sont de plus en plus pauvres et malades. La facture sociale s’est ouverte, et l’on trouve désormais d’un côté les riches et de l’autre, les damnés de trente-deux ans de mégestion du pays par la dictature. D’un côté il y a ceux qui ne se déplacent qu’en grosses cylindrées, et de l’autre ceux qui vont à pied. La rareté des vélos, des mobilettes et des motos à Kinshasa montre que dans cette ville, la classe sociale moyenne n’existe plus. Ou on est riche ou on est pauvre.
Les artistes congolais, et spécialement les musiciens, se retrouvent dans la première classe sociale. Ils ont les moyens et les amitiés qui leur permettent de sortir des disques, de programmer et de réaliser de gigantesques tournées à travers le monde. Une chose est à noter ici. Les musiciens congolais aiment bien parcourir le monde mais acceptent difficilement de voyager à l'intérieur de leur propre pays. Quand ils y sont de passage, par hasard, ils se cantonnent à Kinshasa où ils se relaient dans l’unique salle de spectacle en bon état qui se trouve dans le bâtiment du Grand Hôtel de Kinshasa (GHK).
Un autre fait que j’ai remarqué. C’est que les musiciens congolais invitent rarement les autres musiciens Africains à se produire chez eux. Du temps de Franco (de son vrai nom Luambo Makiadi), cela se faisait pourtant. La conséquence heureuse de cet égoïsme c’est que les artistes musiciens se partagent les recettes des concerts entre eux. Ce qui leur permet de ne pas croupir dans la misère. Mais ce comportement n’est pas sans retombées. La jeunesse congolaise sur le plan musical peut rester bornée, manquant d’ouverture à d’autres traditions musicales. Le fait que l’art congolais porte bien sur la scène mondiale fait évidemment horreur à toute l’Afrique ; mais ce qui fait honte à la longue, c’est la monotonie et l’anachronisme des thèmes qu’il exploite.
Pour ce qui est de la chanson par exemple, elle ne traite que de l’amour, des déboires des femmes et des hommes, du sexe et de l’argent, de l’Europe brève, de la vie facile. Chaque musicien croit qu’en s’écartant de ces thèmes, tout à fait non à propos pour l’heure en R.D.Congo, il perdrait sa popularité et ne vendrait plus assez de disques. Le comble de la bêtise c’est que tous les jeunes se laissent séduire par ces tas d’histoires romantiques compilées et vendues uniquement pour de l’argent.
Dans toute la production musicale à la mode du Congo depuis 1990, rares les chansons engagées, qui dénoncent la misère du peuple, qui interpellent les décideurs politiques et économiques. Et pourtant, dans beaucoup d’autres pays d’Afrique, la musique a permis au peuple de prendre conscience de sa situation ; tel a été le cas du Cameroun, avec les chansons de Lapiro de Mbanga ou de la Côte d’Ivoire avec Alpha Blondy tous deux des chanteurs qui ne se contentent pas de faire de la musique pour la musique, mais composent une musique qui se veut en vérité tribune du peuple et tribunal où sont jugés les dirigeants indignes. En tout cas, au Congo, il n’y a pas de Bob Marley, il n’y a pas de Myriam Makeba ; On ne rencontre que des Michel Sardou, des Madona en version polycopiée. Aucun chanteur n’ose remettre en question la manière dont le pays est géré et pillé chaque jour de plus en plus par les Libanais qui se sont rendu maîtres de l’économie congolaise. L’accumulation des richesses par une minorité et la constante paupérisation de la grande du peuple ne semblent pas être leur affaire. Comme l’Etat lui – même, les artistes congolais ont donc démissionné des responsabilités qui sont les leurs.
A entendre les chansons congolaises, à contempler un tableau fait par un peintre congolais quand on n’a jamais séjourné dans ce pays, on croirait facilement qu’il s’agit d’un paradis où tout est fête et réjouissance. Les artistes pratiquent donc un art non enraciné dans le concret. Le pays agonise mais aucun musicien ne veut le dire. Personne n’est inspiré pour chanter la démocratie comme jadis, Tabu Ley (Rochereau) et Kabasele Joseph (Kallé Jeef) chantèrent « INDEPENDANCE CHACHA ». Et pourtant, avec l’audience dont ils jouissent auprès de la population et du monde entier, les artistes pourraient faire avancer la démocratie congolaise au même rythme que celle du Bénin et du Mali, pour ne citer que ces deux pays africains.
Pourquoi donc les artistes congolais se désintéressent-ils de ce qui se passe chez eux ? Pourquoi le Ministère de la Culture et des Arts n’a-t-il jamais organisé un concours pour récompenser la chanson congolaise qui parlerait le mieux de la situation catastrophique que traverse ce vaste et riche pays ? Les réponses à ces deux questions ne nous seront jamais données et, puisqu’elles font défaut, elles donnent à penser que la démocratie congolaise est un suicide orchestré si pas un crime organisé et commandité par certains lobbies puissants, sinon comment explique alors le silence qui se maintient à son sujet ? Et comment ne pas soupçonner les artistes de complicité avec les déstabilisateurs ?
Ce que nous avons voulu souligner ici, c’est que la République Démocratique du Congo est un grand pays artistiquement parlant. Mais dans les œuvres produites par ses artistes depuis 1990, date de son entrée en démocratie, on ne chante que sentiment, sexe beauté, argent, vie facile et vie européenne alors que le pays gagnerait à voir ses artistes traumatiser les difficultés que la population rencontre et y proposer par le fait même des solutions. On dit souvent des musiciens congolais qu’ils sont les premiers ambassadeurs du Congo auprès des autres peuples. Une chose essentielle manque à cette assertion : c’est celle de savoir quel est le Congo qui est représenté par les exaltateurs du sexe, des vêtements et de l’argent : le Congo des riches ou des pauvres ? Ou c’est au profit de ceux qui tirent un gain réel du chaos existant et qui font tout ce qu’ils peuvent pour le perpétuer.
Le propos que nous tenons peut susciter trois types de réactions. Il peut y avoir d’un côté ceux seraient d’accord avec nous et de l’autre, ceux qui ne partageraient pas notre analyse. Entre ces deux extrêmes, on rencontrerait alors ceux qui ne savent pas très bien où se positionner. Considérons un instant le groupe qui serait de notre avis. Il continuerait notre réflexion en y apportant des éléments nouveaux. Il expliquerait par exemple que, si le musicien congolais ne veut pas chanter la misère du peuple, c’est parce qu’il a peur : peur de perdre ses avantages matériels, car les chanteurs congolais sont généralement pris en charge par des barons qui risquent de les qualifier d’ingrats s’ils ne prennent pas en compte leurs aspirations.
Une autre explication que nos amis ajouteraient pour expliquer le manque d’engagement des artistes congolais, c’est celle qui se réfère au niveau d’instruction d’un bon nombre d’entre eux, incapables dès lors de comprendre ce qui se passe. Et, cette thèse est la plus vraisemblable. Beaucoup ne comprennent pas ce que veut dire le mot « DEMOCRATIE ». Ils ont appris à faire danser des filles nues sur les podiums de la télévision nationale et cela semble leur suffire. Il est donc temps, pensons-nous, que l’on réédite et que l’on adapte au Congo, des œuvres musicales et littéraires ayant fait leurs preuves ailleurs comme « l’Assommoir », « Germinal », « Exodus », « Les misérables », « Faits pour mourir », etc. Il est révolu, le temps de « la vie est belle ». Il est dépassé le temps de « Kinshasa la belle ».
Ce que nous disons ne concerne pas uniquement les artistes musiciens. Cela vaut également pour toutes les autres corporations d’artistes : peintres, par exemple, n’ont pas encore eu l’idée d’organiser une exposition dont le thème serait en rapport étroit avec la misère que connaissent les Congolais.
Ils croient que le peuple a encore besoin de contempler ses propres arbres, ses propres pirogues et ses palmiers. Le constat que nous faisons en définitive, est que l’artiste congolais est resté muet face à la misère et à la mort causée par la démocratie ratée, tout à fait comme il l’a été face aux mauvais coups portés au peuple par la dictature. Que les artistes congolais ignorent quel doit être leur rôle en ces temps de démocratie et continuent à pratiquer de l'art pour l'art, cela ne peut pas ne pas faire honte. A nous tous.

