Assassinat des moines de Tibehirine (Algérie) : Des zones d'ombre demeurent toujours

(De 1978 à 1989, j’ai été successivement postulant, novice puis religieux au Monastère de KASANZA (Diocèse de Kikwit, Province de Bandundu, en RDCongo) où les Trappistes de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance – OCSO – m’ont appris le sens du travail bien fait, la rigueur , l’exactitude et l’honnêteté intellectuelle dans les analyses, la franchise, la charité chrétienne élémentaire, la compassion et l’attention sans cesse soutenue pour et à l’égard des autres . Des choses qui ont servi et contribué énormément à ma formation et à mon épanouissement humain et social.
Les Moines de Tibéhirine, je les ai connus et côtoyés durant les 9 mois de mon séjour d’études et d’expérimentation religieuses dans cette extraordinaire maison de prières.
Ces hommes m’ont inspiré courage et respect dans le sacrifice suprême de leur vie. 7 après leur tragique disparition , des réflexions me hantent toujours. Que je veux partager aujourd’hui avec vous. Librement.)
1. Qui a tué les Trappistes de Tibéhirine ?
Si l’on s’en tient aux apparences, ce sont bien les G.I.A. Mais Djamal Zitouni, qui se présentait comme le chef de l’organisation terroriste, était-il réellement maître de ses troupes ? A cette question dans la question, les spécialistes répondent encore aujourd’hui de manière dubitative.
A Paris, l’on considérait , de façon générale, que les dissensions internes faisaient des G.I.A. une organisation incontrôlable et incontrôlée , morcelée en clans hostiles qui se livraient , dans l’ombre, une guerre impitoyable. Cette analyse a conduit certains à formuler l’hypothèse suivante : les 7 trappistes ont été enlevés par des chefs locaux qui n’obéissaient qu’à eux-mêmes. Otages, les moines devaient servir de monnaie d’échange avec le gouvernement algérien. Et c’est peut-être lorsque l’armée algérienne , voire les G.I.A. (Groupes Islamiques Armés) eux-mêmes , ont tenté de les récupérer qu’ils ont été tués, leurs ravisseurs préférant s’en débarrasser plutôt que de les laisser s’échapper. Quoiqu’il en soit, à Paris, on estimait que ce crime est la preuve des divisions des G.I.A.
2. L’assassinat des Moines a-t-il affecté les relations franco-algériennes ?
La politique de la France vis-à-vis de l’Algérie n’a jamais été claire jusqu’il y a quelques mois, à peine. Elle n’a cessé d’osciller entre la souplesse et la rigidité, dans ce que les psychanalystes qualifieraient de « complexe freudien ». D’une part, pour les dirigeants français, l’Algérie demeure une nation à part, trop proche par l’Histoire et trop présente par le nombre de ses ressortissants vivant en France pour être traitée comme les autres pays.
D’autre part, elle a connu depuis l’Indépendance, en 1962, trop de soubresauts pour que la méfiance ne soit pas la règle dans les rapports d’Etat à Etat. A Paris, depuis toujours, coexistent dans les milieux dirigeants deux attitudes parfaitement contradictoires : l’une récuse le régime autoritaire qui gouverne l’Algérie et réprouve les méthodes utilisées par la Sécurité militaire pour combattre les F.I.S. et les G.I.A. ; l’autre, plus réaliste, considère que l’installation des islamistes au pouvoir à Alger serait catastrophique pour l’Algérie, le Maghreb et pour la France elle-même. Elle prône donc une politique de « coopération active ».
Lorsque Jacques Chirac arrive au pouvoir, il y a 8 ans, son premier souci été de relancer la politique méditerranéenne. L’Algérie étant incontournable, il a cherché à régler les contentieux existants. Malheureusement pour lui, alors que des relations plus confiantes s’établissaient avec le Général Zéroual, des manœuvres au sein de l’administration française et la méfiance viscérale des militaires algériens ont fait échouer l’opération. Et depuis cette date, de nombreuses personnalités ont tenté d’effacer le malentendu entre les deux pays. Et on peut dire aujourd’hui, qu’elles y sont parvenues.
Depuis plusieurs années, Chirac a compris que la réussite de sa politique méditerranéenne passait par une attitude de fermeté extrême à l’égard du F.I.S. et des G.I.A. S’il a pris soin, de donner dès le début, à ses déplacements au Maroc et en Tunisie un lustre particulier , c’est précisément parce qu’il mesurait le risque présenté par l’islamisme pur et dur.
Mais vis-à-vis de l’Algérie, le problème était plus complexe ; les milieux politiques continuant à bouder Liamine Zéroual malgré son élection à la présidence de la République. Pour que la situation officielle se débloque, il fallait qu’un déclic se produise. Ce déclic, il n’est pas impossible que la mort des moines l’ai provoqué dans les semaines qui ont suivi. Pourquoi ?
Parce que l’opinion publique française, bouleversée par un drame auquel les médias français ont donné un énorme retentissement , avait commencé à bouger. Et fait nouveau, la hiérarchie catholique elle-même, tout en parlant de pardon et de réconciliation, affirmait , résolue à agir avec détermination dans le même sens.
Du coup, ceux qui, dans les milieux proches du pouvoir, expliquaient depuis des mois que l’on ne saurait lutter efficacement contre le terrorisme islamiste si la France ne se rapprochait pas de l’Algérie, ont toutes les chances d’être entendus.
Ainsi, la mort tragique des moines de Tibéhirine a finalement entraîné une clarification des relations entre Alger et Paris , et débouché, quelques mois plus tard, sur une rencontre entre Jacques Chirac et Liamine Zéroual… Et il y a à peine deux mois et demi, entre Jacques Chirac et l’actuel président Algérien qui a accueilli son homologue français pour une visite de trois jours….. qui restera «mémorable » dans l’esprit de beaucoup de français…et bien évidemment…de nombreux algériens.
Les moines de Tibéhirine ont-ils été sacrifiés à l’autel de la réconciliation entre Alger et Paris ? Tout porte à le croire, en tout cas.