LES DEVENIRS POSTPRESIDENTIELS (°)
(°)Ce texte est de Mme Sandrine PERROT, Docorant en Sciences Politiques et Chercheur au Centre d'etude d'Afrique Noire, Université Montesquieu, Bordeaux VI.
Nous l'avons lu et tiré du CENA, 1996.
L'étude, basée sur des recherches fouillées et d'une rigueur scientifique évidente, appelle bien de réflexions. A méditer par tous. (Groupe Culturel et Artistique Les"Kamikaze"/Kinshasa).
Devons - nous le redire, la sortie de pouvoir influe considérablement sur la suite de son itinéraire. Plus la chute du « big man » sera dure, plus son entreprise politique en sera affectée. D’autant plus que la compétition qui s’engage avec le pouvoir en place est féroce.
Certains anciens présidents peuvent être perçus comme une menace par le nouveau chef d’Etat, de par leur popularité, leurs ressources économiques ou même leur activisme politique. Certains semblent détenir un stock de ressources suffisant pour revenir en politique à tous moment.
D’autres détiennent des informations susceptibles de mettre en péril la « nouvelle » classe dirigeante qui, bien souvent, ne s’est que très peu renouvelée par rapport à la précédente. Aussi est - il obligatoire et parfois urgent de pouvoir prévenir les troubles qu’un ancien président pourrait causer et de neutraliser ses ressources avant même qu’il n’ait le temps de les utiliser.
Les mises hors circuit
Il existe plusieurs formes de mises hors circuit des anciens présidents de la plus violente (l’exécution, que nous ne confondrons pas avec l’assassinat comme alternance politique), à la plus nuancée, celle qui consiste à éloigner un ancien président en lui confiant des missions inter nationales.
Les exécutions
Huit anciens présidents ont été exécutés par leur successeur. F Akuffo, I. Acheampong et A. Massamba - Débat au Congo, enfin Aman Andom en Ethiopie et C. Ndzizeye (Ntare V) au Burundi sans autre forme de procès. Le cas du président comorien Ali Soilih est un peu particulier dans le sens où il fut abattu quinze jours après sa mise en détention alors qu’il tentait de s’évader.
Cette mise hors circuit rejoint les assassinats que nous évoquions auparavant si ce n’est que le commanditaire est dans ce cas officiellement au pouvoir et légitime ses actes en utilisant les ressources juridiques à sa disposition. Justifiée par un procès sous l’accusation des anciens présidents de complot ou de détournement d’argent, l’exécution es souvent rapide voire expéditive ne laissant pas la possibilité au chef d’Etat déchu de monte r une quelconque stratégie de défense.
Dans le cas de A. Massamba - Débat, par exemple, l’ancien président s’était effectivement retiré de la politique et avait rejoint son village natal lorsqu’il fut accusé du meurtre du président Ngouabi en mars 1977. Selon diverses sources, Marien Ngouabi aurait en fait souhaité peu avant son assassinat Massamba - Débat auquel il aurait souhaité remettre le pouvoir en raison des difficultés qui lui rendaient la gestion du pays impossible. Yhombi Opango accusa pourtant l’ancien président A. Massamba - Débat et le fit exécuter ainsi que le Cardinal Bayenda, archevêque de Brazzaville, probablement témoin du crime deux jours seulement après la mort de Ngouabi, sans procès, ni témoin (37).
Lorsque J. Rawlings prit le pouvoir au cours du mois de juin 1979, il organisa, quelques jours après, l’exécution des trois anciens présidents : Akuffo, A frifa et Acheampong accompagnés de cinq généraux de l’armée. N’était - ce pas, selon lui, la façon la plus efficace de ne plus être gêné par les relations collusoires entre officiers supérieurs et potentats civils qui affaiblissaient et mettaient danger son tout nouveau pouvoir ? (38) on sait par ailleurs que le lieutenant - colonel Ignatius Acheampong avait sa retraite dans l’armée avant d’être arrêté. Doit - on alors évoquer le soutien qu’il gardait auprès de ses troupes pour expliquer le geste de Rawlings ? A. Afrifa, pour sa part, avait repris une carrière politique et avait été réélu au Parlement en 1979 avant le coup d’Etat de Rawlings. Quant à F. Akuffo, il ne fut pas à même d’élaborer un plan de retraite sa chute du pouvoir.
La neutralisation de la gestion stratégique des ressources par l’exécution est alors définitive et sans appel d’autant plus qu’elle s’inscrit dans des références au droit et « légalise » cet acte de violence. La famille de l’entrepreneur est totale, l’entreprise de son successeur est florissante : il est en effet parvenu à limiter ses propres contraintes.
Les mises en détention
La mise en détention, pour être moins brutale, n’en est pas moins efficace pour « geler » une carrière politique. Quarante et un anciens présidents en tout ont été placés aux arrêts pendant des périodes allant de quelques jours à plusieurs années. Mais certaines détentions ne duraient guère que le temps d’installer le nouveau pouvoir. D’autres, comme celles d’Ahomadegbe, durèrent plus longtemps (neuf ans pour le président béninois), celle de D. Dacko (Centrafrique) trois ans. La durée de l’emprisonnement n’est pas le seul élément à prendre en compte du point de vue considérables sur la suite de la carrière postprésidentielle. Les mauvais traitements subis par G. Kayibanda pendant ses trois années de détention ont été la cause de son décès. Au contraire, D. Dacko a été rappelé après onze ans de détention en tant que conseiller personnel de J.-B. Bokasa.
Chaque fois pourtant, un ancien président devenu gênant ne peut plus être réactif une fois qu’il est en prison ou en résidence surveillée. Sa détention s’accompagne souvent de restriction voire d’interdiction de communication avec l’extérieur ; ainsi O. Obasanjo, accusé d’avoir formenté un coup d’Etat contre le président détenu en résidence surveillée pendant onze jours, il a été libéré sous les pressions internationales notamment celles de Jimmy Carter, puis assigné à résidence le 23 mars 1995 dans sa ferme d’Otta à 60Km au nord de Lagos sans avoir à sa disposition ni radio, ni télévision, ni téléphone, ni même de journaux (40).
D’autres parviennent à écarter toutes contraintes pour monter des stratégies de repositionnement politique. Ainsi Alphonse Alley au Bénin, condamné en 1969 sous l’accusation de complot contre la sûreté de l’Etat à dix ans de travaux forcés, fut relâché la même année et nommé secrétaire général de la défense nationale (40).
Garder un ancien président en prison constitue une assurance pour le gouvernement en place et qui laisse la mainmise sur la plupart de ses ressources. C’est pourquoi d’autres présidents ; souhaitant éviter les mauvais traitements subis par leurs homologues, ont préféré partir et continuer leur carrière en exil.
Les exilés
Quarante - deux anciens présidents au total ont choisi l’exil. Il nous faut nuancer ici encore les différents exils : présidents sur pris par un coup d’Etat à l’étranger (5ans) et qui, par la force des choses, se doivent d’y rester pour sauver leur vie, présidents en fuite à la suite d’un coup d’Etat (38 ans), exilés à la suite d’une incarcération ou de l’échec de leur stratégie de reconversion ( 2 cas). Il nous faut encore nuancer les cas de N. Soglo, Aristides Pereira et Pinto da Costa qui se sont installés dans un pays étranger sans en subir l’obligation. Enfin Mohamed Ould Haïdallah est resté sept ans en exil intérieur avant de pouvoir revenir à Nouakchott.
Le coup d’Etat qui précède un exil est souvent l’occasion pour le nouveau gouvernement de confisquer un maximum de ressources au président déchu. L’exil, par la distance qu’il instaure avec les soutiens ou les réseaux de clientèle que l’ancien président entretenait à l’intérieur de son pays adéquate du reste du stock. Si sa qualité principale est d’assurer l’intégrité physique de l’ancien président, l’exil n’assure pas pour autant la survie du capital accumulé au cours de la chute dépend d’abord de l’anticipation que l’ancien président a pu faire devant son itinéraire et notamment la façon dont il a su ménager ses soutiens extérieurs, internationaux. Il devient primordial à ce moment pour l’ancien président de trouver un pays d’accueil auprès duquel il trouve un soutien politique et économique. Le choix du pays d’asile est un instrument d’analyse intéressant dans le sens où il rend compte de la valeur des appuis internationaux dont diplomatique d’accueillir un ancien président, surtout lorsque celle - ci s’appelle Bokasa ou Amin Dada. Certains d’entre eux errent parfois à leur sortie du pouvoir d’un pays à l’autre en éprouvant quelques difficultés pour obtenir le droit d’asile.
L’exil errant
C’est bien l’activation de ces ressources internationales qui fut la pierre d’achoppement des carrière de F. Youlou, J.-B. Bokasa ou I. Amin qui se sont vu refuser le droit d’asile par les pays qu’ils avaient sollicités. L’épuisement total de leurs ressources au sortir du pouvoir les avait rendus particulièrement vulnérables et indésirables. F. Youlou, après avoir dû renoncer au soutien des troupes française qui devaient l’aider à faire avorter le coup d’Etat, s’est vu refuser le droit d’asile en France et a été contraint de finir ses jours en Espagne dans le plus grand dénuement économique. I. Amin, après avoir été refusé au Nigeria puis au Gabon, fut refoulé du Sénégal et consigné à l’aéroport de Kinshasa avant d’être accepté par la Libye puis, à contrecoeur semble - t - il, par l’Arabie Saoudite (41). J.-B. Bokasa enfin, après être resté deux jours sur la base militaire d’Evreux avec vingt - six membres de sa suite, fut accepté en Côte - d’Ivoire où l’asile politique lui fut accordé mais où il fut aussi mis sous clef par Houphouët Boigny qui aurait ainsi suivi les recommandations de Valery Giscard d’Estaing (42).
Tous les itinéraires cependant ne sont pas voués à un tel échec et une fois le pays d’accueil trouvé, l’exil peut parfois être le lieu de rebondissement des carrières politiques.
L’exil activiste
Comme nous l’avons dit, du fait de la distance que l’exil impose avec les soutiens de l’ancien président, le nouveau gouvernement peut sans trop de difficultés intercepter ou contrecarrer tous les plans de recomposition politique des anciens présidents. L’épuisement des ressources est rapide.
Mais certains parviennent par leur activisme et en faisant jouer le droit international à continuer une carrière « politique » en dehors de leur pays d’origine, à tel point qu’il n’est pas rare d’entendre les noms de Jaafar Al-Nimeyri ou Haïlé Mengistu mêlés à une tentative de coup d’Etat. Ce dernier est actuellement réfugié au Zimbabwe auprès de Wendemu Kassa, son oncle, ancien ambassadeur à Harare. Loin d’être sans ressources, Mengistu possède là - bas plusieurs fermes et jouit du soutien financier du gouvernement d’Harare. La distance avec son pays d’origine ne l’empêche pas de mener encore une action revendicatrice visant à déstabiliser Mélès Zenawi. Il entretient notamment des relations téléphoniques avec des opposants restés au pays (43). Le matériel le plus sophistiqué de télécommunication n’a plus de secret non plus pour Hissein Habré qui parvenait, grâce à un système de communication satellite très évolué, à contacter depuis le Sénégal ses hommes restés au Tchad (44). L’exil est souvent l’occasion pour les anciens présidents de monter un parti d’opposition (Andrew Juxon - Smith de Sierra Leone), de se déclarer président du gouvernement en exil (Goukouni Weddeye au Tchad) ou même de préparer un retour à la magistrature suprême. N’oublions pas que M. Obote grâce au renforcement de ses soutiens transfrontaliers et à la reconstitution de ses réseaux de solidarité revint, neuf ans après son départ, à la tête de l’Etat Ougandais (45).
Il faut pourtant apporter un bémol à cette d’activisme à distance, car si dans les premiers temps on accorde une oreille attentive aux présidents déchus, les négociations avec les acteurs politiques locaux font vite oublier les potentialités extérieures. Les relations diplomatiques sont souvent normalisées avec les « putschistes » et l’idée d’un retour du président exilé, même si elle se fonde sur le droit, apparaît de plus en plus saugrenue. En avril 1987, le recrutement d’anciens soldats de l’Uganda National Liberation Army ( UNLA) par M. Obote et ses agissements visant, depuis son exil de Zambie, à déstabiliser le régime de Museveni ont suscité de vives tensions diplomatiques entre les deux pays. Malgré l’amitié qui unissait K.Kaunda et M. Obote, le président zambien dut assurer de son soutien le nouveau président ougandais (46).
Après avoir été convaincu par les conseillers militaires américains de quitter la Gambie à bord du navire de guerre américain, le Lamoure country, Dawda Jawara avait décidé de faire une tournée des capitales européennes et s’était rendu par la suite aux Etats - Unis afin de réclamer une intervention militaire pour rétablir le droit dans son pays (47). Après avoir reçu l’asile au Sénégal, il vint à Paris et se réfugia en Grande - Bretagne. Quelques sanctions européennes furent prises à l’égard de l’Amed Forces Provisional Ruling Council ( AFPRC) du gouvernement mais aucune véritable action ne fut mise en place (48). Après quelques mois, D. Jawara ne recevait déjà plus la visite des ministres anglais et son écho international ne cesse de diminuer, tout autant que celui de Mengistu d’ailleurs.
A l’inverse, il est un cas qui, sans affecter la carrière de l’entrepreneur donne au contraire à son exil la couleur de l’or.
L’exil doré
A notre connaissance, aucun des anciens présidents recensés à ce jour n’a connu un exil plus confortable et si peu contraignant qu’Hissein Habré et cela malgré la commission d’enquête sur ces crimes, malgré son désaveu international officiel et malgré le pillage méthodique qu’il a pratiqué avant sa fuite. En dépit de celle - ci, dont la précipitation fut provoquée par l’avancée des troupes d’Idriss Déby, l’ancien président tchadien prépara son départ d’une façon très réfléchie. En effet, la veille, il fit piller toutes les réserves d’argent du pays en prétextant un « effort de guerre exceptionnel ». Harare fit ainsi collecter dans la seule journée du 30 novembre 1991 toutes les liquidités disponibles dans les établissements publics, les sociétés d’Etat ou mixtes, certaines entreprises privées ( Caisse nationale de prévoyance sociale, Cotontchad, Sonatsuc...) ainsi que dans toutes les banques, comme la Banque tchadienne pour le commerce et le développement (49). Le rapport de la commission d’enquête précise que deux jours avant ce pillage des diverses caisses du Tchad, le président Habré avait rencontré les responsables financiers civils et militaires de la présidence, pour leur demander de faire la situation de leur trésorerie. La somme volée est estimée à 7 milliards de francs CFA par Déby et à 3.032.080.000 f. CFA par la commission d’enquête. Aujourd’hui à la charge de l’Etat sénégalais, sur la demande de F. Mitterand semble -t-il, avec deux de ses épouses et une grande partie de sa grande personnelle, Harare se sert de l’argent détourné des caisses de l’Etat tchadien pour investir dans l’immobilier au Sénégal. Il aurait également tenté de financer le Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD), mouvement d’opposition armé au régime de Déby depuis le Cameroun (50).
Jamais l’Etat sénégalais n’a forcé Habré à rendre la somme faramineuse qu’il avait emportée avec lui dans son exil. Au contraire, c’est l’émissaire tchadien chargé de réclamer les armes , les voitures et même l’Herculé C130 qu’Habré avait emportés dans sa fuite qui a été tué par la garde personnelle de l’ancien chef d’Etat (51). Hissein Habré, qui serait étroitement surveillé, recevrait enfin la « protection »du groupe d’intervention polyvalente (BIP) qui s’associent en quelque sorte à ses gardes personnels et renforcent la valeur de ses ressources personnelles coercitives. Plus étonnant encore, jamais le gouvernement de Déby n’a demandé l’extradition d’Habré pour qu’il comparaisse devant les tribunaux. Soulignons enfin que s’il était aujourd’hui la popularité des habitants de Dakar. L’Ex-président tchadien a en effet parfaitement su activer les ressources issues de la religion musulmane, qu’il partage avec une majorité de sénégalais, en se rendant à la grande mosquée pour les prières et multipliant ses relations avec l’organisation de la confrérie islamique et les marabouts tidjanes ou mourides. Voici une ressource bien originale et innovante que celle de religion qui, comme nous le verrons, a aussi profité à Jean-Bedel Bokasa et à SayeZerbo. La fuite d’Hissein Habré ne semble donc en aucun cas avoir terni son génie d’entrepreneur et sa capacité à gérer son capital, à accumuler de nouvelles ressources ou à faire fructifier de plus anciennes.
Ainsi, malgré quelques exceptions, dans la majorité des cas évoqués sous la rubrique « mises hors circuit », la gestion postprésidentielle est lourdement. Ce sont justement ces pressions que vingt - six anciens chefs d’Etat ont réussi à éviter en abandonnant leur carrière politique pour se reconvertir dans un autre domaine.
Les reconversions
Nous avons qualifié de reconversion le processus qui consiste à déclasser les ressources obsolescentes, usées ou en voie de tarissement du stock de l’entreprise pour mieux en pouvoir d’autres. En d’autres termes, la reconversion vise à faire prendre à une carrière post-présidentielle une autre voie que celle de la politique. Ces entrepreneurs décident en quelque sorte de fermer une filiale pour en ouvrir une autre. Le phénomène de « stradding » ou chevauchement que relève Jean - François Médard dans son article sur le big man est sur ce point très utile (52). Le multipositionnement des acteurs politiques varie selon la dynamique contextuelle, et par l’échangeabilité des ressources qu’il facilite, permet aux anciens présidents de passer d’une fonction à une autre sans que leur entreprise subisse trop de déperdition.
Nous avons pu relever trois types de reconversion des plus classiques aux plus insolites : la reconversion dans les affaires, dans une carrière internationale ou dans la religion. A cette liste nous annexons tout d’abord qui, par sa profession initiale s’est aisément reconverti dans la médecine et celui de Yakubu Gowon qui, après s’être exilé en Angleterre, reprit ses études obtint son PhD et enseigne actuellement la science politique (53).
