Les Bukaviens, une semaine de tous les dangers, des lendemains incertains !
Il est inconcevable qu’au moment où tous les anciens mouvements rebelles et autres entités au dialogue inter-congolais continuent à se partager les postes au sein des institutions de la transition, au détriment des populations à la base, que celles-ci continuent à être tuées, pillées, abusées et déplacées de leurs maisons. La BOR en appelle à la conscience des animateurs de la transition, à la communauté internationale pour que cette situation chaotique soit connue et décriée par tous et que les coupables soient identifiés et sanctionnés.
* De la situation.
Le mercredi 26 2004 à partir de 17h 45’ :
Les Bukaviens rentraient de leurs occupations journalières quand soudain, des coups de feu à l’arme légère avaient été entendus dans la ville de Bukavu du côté de la frontière rwando-congolaise de Ruzizi : c’était vers 17h45’.
Rapidement, ces tirs dominaient par d’autres à l’arme lourde et automatique, ont évolué vers le centre ville : Nguba, Nyawera et La Botte. Aux environs de 20 heures, on notera une brève accalmie, interrompue par des coups de feu intermittents. Beaucoup de personnes ont passé la nuit sous le lit par crainte des balles perdues, dans une ville sans eau ni courant électrique, les assaillants ayant assiégé le barrage hydroélectrique de Ruzizi.
Le jeudi 27 mai 2004 :
Vers 5 heures de jeudi, l’ampleur et la fréquence des coups de feu aux armes lourdes et automatiques reprendront de façon inquiétante. La situation devenait confuse, parce qu’on ne connaissait pas qui contrôlait quoi. Déjà, on a fait état des cas de morts : deux corps des militaires non identifiés gisaient sur la route de Nyawera ; deux jeunes filles avaient été abattues, surprises par des balles dites « perdues » dans la commune de Kadutu ; Monsieur Kabamba Mbikayi, président de la cour d'appel au parquet général de Bukavu, descendu froidement par le colonel Eric Ruhoringeri. Celui-ci comme Laurent Kunda font partie des officiers RCD-Goma qui avaient sapé le processus de la réunification de l’armée congolaise. En plus des morts, l’on a dénombré des blessés graves qui ont été reçus, les uns à l’hôpital de Panzi, les autres à l’hôpital général de Bukavu.
Vers 7h 30’, la situation ne faisait que se détériorer et sous leurs lits, les Bukaviens entendaient un hélicoptère intervenir. C’est plus tard que l’on apprendra qu’il s’agissait de l’appareil de la MONUC qui patrouillait la ville à partir des airs.
Vers 15h40’, l’on a observé une petite accalmie interrompue par des tirs sporadiques à l’arme légère: le colonel Jules Mutebutsi se serait replié à Cyangugu, au Rwanda. Ce calme précaire a permis aux habitants de Nguba de fuir leur quartier les uns vers la Commune de Kadutu et vers Panzi et les autres à Cyangugu.
Alors qu’on apprenait que le général Mbuza Mabe maîtrisait déjà la situation, que la MONUC procédait aux patrouilles au sol et dans les airs et que les deux parties procédaient au ratissage de la ville, on signalera que ce sont des jeunes civils Banya-Mulenge qui assuraient la patrouille au quartier Nguba, en commune d’Ibanda et que des militaires Rwandais étaient déjà déployés aux postes douaniers Ruzizi I et II.
A partir de 20h00’, au moment où les habitants de Nguba subissaient le pillage systématique des leurs maisons, ceux des autres quartiers croyaient en une réelle accalmie, mais l’inquiétude demeurait parce qu’on ne connaissait toujours pas l’autorité militaire qui contrôlait la ville.
Le vendredi 28 mai 2004 :
Le vendredi matin, les hommes fidèles à Jules Mutebutsi, dont le quartier général est situé à Nguba, ont poursuivi le pillage. Ils exigeaient des dollars à la population et emportaient tous les biens de valeur. Dans l’entre-temps, à Kinshasa, le gouvernement de transition a interdit toute médiatisation de cette situation en mettant en garde tout organe de presse qui s’adonnerait à la diffusion vindicative de ce qui se passe à Bukavu. Les téléspectateurs de la Radio Télévision National Congolaise (RTNC) n’ont pas été surpris de constater que les journaux télévisés n’ont pas fait allusion à Bukavu. Les populations de Bukavu, coincés sous les lits, n’ont pas apprécié cette position gouvernementale au moment où elles attendaient impatiemment le renfort qui viendrait de Kinshasa pour contrer l’imminente entrée des militaires de Kigali au Kivu.
Après avoir fait appel à ses éléments affectés en Ituri, à Goma et à Kindu pour renforcer ses effectifs à Bukavu, la MONUC se serait interposer entre les militaires de FARDC et les éléments armés fidèles à Jules Mutebutsi. Le général Jan Isberg, commandant de la MONUC au Kivu a finalement lancé un ultimatum au colonel Jules Mutebutsi et ses hommes, leur intimant l’ordre de réintégrer leur quartier général tout au plus tard le samedi matin à 6 heures, sans quoi tout militaire irrégulier serait arrêté, même par force.
Officiellement et selon la MONUC, son hélicoptère de combat a craché du feu sur une position des éléments du colonel Jules Mutebutsi qui voulaient s’attaquer aux inoffensives populations civiles.
Le samedi 29 mai 2004 :
Il est clairement établi que les éléments armés « Banya-Mulenge » et autres rwandais contrôlent une partie de la ville de Bukavu : à partir de la place Mulamba jusqu’à la frontière Ruzizi. Le reste de la ville est sous contrôle des FARDC. En attendant la réaction de la MONUC par rapport à l’ultimatum lancé hier, celle-ci se serait déjà impliqué du côté de l’armée régulière pour imposer et rétablir la paix.
De nos correspondants au Kivu, nous venons d’apprendre l’ouverture d’un nouveau front « Banya-Mulenge » chapeauté par le général Laurent Kunda du RCD-Goma à la tête d’une partie de la milice de Serufuli casernée à Nyabibwe en territoire de Kalehe. L’élément de la MONUC tué la nuit dernière, serait l’œuvre de ses hommes. Laurent Kunda est bloqué à Nyabibwe attendant impatiemment le renfort de Kigali afin de faire irruption sur l’aéroport de Kavumu et la ville de Bukavu par jonction avec les récalcitrants de Nyabibwe.
Au moment où le nombre de morts était encore estimé à 14 dont 7 militaires et 7 civils par des presses indépendantes, des sources rwandaises parlaient de plus de 100 personnes qui auraient été tuées dans un affrontement à Bukavu, ce qui a provoqué le refuge au Rwanda de plus de 3000 Congolais à expression kinyarwanda.
En réaction à l’ultimatum lancé par la MONUC, celle-ci fait état cet après-midi de quelques militaires dissidents qui ont rejoint leur quartier général. D’autres restent encore cantonnés au collège Alfajiri. Le nombre de morts quant à lui n’a fait qu’augmenter : la Croix Rouge aurait ramassé une vingtaine de cadavres civils, ce samedi 29 mai 2004.
Dans la soirée, le porte-parole du Président de la République a donné la version officielle des événements de Bukavu. Il s’agissait, selon lui, de Mutebutsi qui effectivement voulait se rendre au Rwanda avec ses éléments armés. Non seulement ils ont été empêchés de sortir par les militaires des FARDC, mais aussi l’un d’eux avait été arrêté par la suite et amené au camp militaire Saio de Bukavu. C’est la tentative de libération du récalcitrant par ses pairs, qui aurait été à la base des tirs échangés.
* Les raisons de ce désordre.
Intervenant à la Radio Okapi, le commandant de la 10ème région militaire, le général Mbuza Mabe a confirmé que le colonel Jules Mutebutsi voulait se rendre au Rwanda avec sa garde rapprochée. Ils se sont heurté aux militaires de l’armée régulière congolaise postée à la frontière qui leur ont refusé la sortie. Il s’en est suivi les échanges des tirs entre les deux camps, échanges qui ont conduit à la situation que nous déplorons.
Suspendu consécutivement à la découverte des caches d’armes et de l’attaque de la résidence du Général Prospère Nabyolwa le 23 février 2004, le colonel Jules Mutebutsi, a dit qu’il s’agissait bien d’une autodéfense de ses militaires face à l’attaque déclenchée par les militaires du général Mbuza Mabe et de l’arrestation arbitraire d’un de ses éléments. Il a renchéri le vendredi qu’il s’agissait bien d’un coup monté pour éliminer les Banya-Mulenge.
Une autre version dit que la MONUC aurait lancé des PM (Policiers Militaires) dans une opération de recherche des militaires irréguliers : ceux qui ne s’étaient pas fait identifier et enregistrer au préalable. C’est ainsi que ces PM se heurteront au groupe des militaires fidèles au colonel Jules Mutebutsi. Ces derniers ayant refusé d’obtempérer aux règlements militaires dictés par la 10e région militaire et la MONUC, il s’en est suivi les échanges des tirs.
Une autre opinion n’exclue pas le fait que le colonel Jules Mutebutsi et ses militaires tenaient à rejoindre Xavier Chiribanya, cet ancien gouverneur du Sud-Kivu, qui vit au Rwanda depuis le 23 février 2004 avec un groupe impressionnant d'hommes en armes. L’objectif serait de renforcer la base militaire au Rwanda qui doit déstabiliser la nouvelle mise en place de la territoriale, concrétisation de la réunification et cela consécutivement aux bruits qui circulent à Kinshasa sur l’éventuelle éviction des ministres de la défense et du portefeuille issus du RCD-Goma.
D’autres sources, cette fois-ci, militaires, font allusion aux combats qui ont eu lieu suite au refus des hommes du colonel Mutebutsi d'autoriser d'autres unités de l'armée régulière à patrouiller dans les zones sous leur contrôle.
* Notre lecture des faits.
Ces désordres ont coïncidé avec la prestation de serment des nouveaux animateurs de la territoriale. Quand Jules Mutebutsi prétend défendre les intérêts des « Banya-Mulenge », il faut vite comprendre que ce groupe n’a jamais adhéré à la logique de la paix dans une République Démocratique du Congo réunifiée. Si l’on devrait considérer les « Banya-Mulenge » comme une ethnie des congolais kinyarwandaphone, elle serait curieusement -et cela comme à l’époque de l’AFDL- l’unique ethnie -foncièrement minoritaire- dont les membres sont scandaleusement représentés dans la haute sphère de toutes les institutions de la transition. C’est une erreur de la part du gouvernement qui demande qu’on ne puisse pas lier l’opération Mutebutsi aux ethnies parce que lui-même l’a dit.
Chaque fois, lors d’une avancée dans le calendrier des étapes de la transition, un belligérant créé toujours un incident pour pérenniser le blocage. Mutebutsi étant du RCD-Goma, ayant été suspendu pour faute lourde en tant qu’ancien officier du RCD-Goma, il n’est pas du tout aisé de détacher son opération de son parti politique.
Le gouvernement de transition a manqué de trancher beaucoup de situations dramatiques. Nous rappelons ici trois de plus remarquables : l’affaire des caches d’armes de Bukavu qui a failli coûter la vie au général Prospère Nabyolwa ; le scandale que des femmes avaient offert à Me Ruberwa, de surcroît Vice-président de la République, le 8 mars et les attaques des objectifs militaires dans la nuit du 27 au 28 mars 2004 à Kinshasa que certains animateurs du RCD-Goma avaient qualifiés de mise en scène. La population attend toujours les résultats des enquêtes promises par le gouvernement. L’opération Mutebutsi est un dossier en plus pour lequel le gouvernement vient encore, par la bouche du porte parole du Président de la République, de promettre des enquêtes à l’issu desquelles les coupables seront punis. Où sont les garanties pour qu’on croie à cette nouvelle promesse !
Depuis que l’on parle de la réunification du pays consécutivement à l’accord global et inclusif, certains animateurs issus des anciens mouvements rebelles n’ont jamais donné l’impression d’appartenir au Congo. Ceux du RCD-Goma s’en sont distingués. Le colonel Jules Mutebutsi, le colonel Eric Rurihongere, le colonel Laurent Kunda, anciens militaires du RCD-Goma n’ont jamais intériorisé leur appartenance à l’armée de la RDC. Ils continuent à entretenir des milices : Kunda à Nyabibwe, Mutebutsi et Ruhoringeri en plaine ville de Bukavu avec embranchement dans la plaine de la Ruzizi et à Minembwe.
Le déclenchement des hostilités entre deux parties des militaires d’une même armée régulière, dont une contenant des militaires indisciplinés, a causé le déplacement des habitants du même quartier. Un groupe d’habitants essentiellement des « Banya-Mulenge » dans un réflexe naturel centrifuge, a choisi de se réfugier au Rwanda voisin alors que l’autre groupe d’habitants essentiellement composé des autres ethnies ont pris l’option centripète en se déplaçant vers Kadutu et Panzi. Les réfugiés congolais estimés à plus de 2000 sont encadrés par le HCR tandis que les déplacés congolais sont abandonnés à leur triste sort dans les montagne du Sud-Kivu.
La MONUC a fait recours à ses éléments d’ailleurs mais cela n’a pas empêché qu’elle ne soit la cible des militaires dissidents et leurs alliés : la preuve est donnée par le décès d’un élément de la MONUC en territoire de Kalehe, hier vendredi.
L’on suppose que voulant se rendre au Rwanda, les éléments du colonel Jules Mutebutsi n’avaient que des armes portatives. La population continue à se poser la question de savoir d’où est venu spontanément le gros de l’armement qui a secoué la ville pendant quatre jours. Pourquoi spontanément, Laurent Kunda, Eric Ruhoringeri et même le commandant Masunzu se sont agité et ont recouru au secours de Kigali ? Le gouvernement n’a pas tellement raison, lui qui soutient qu’il s’agit simplement d’un conflit entre congolais.
La BOR refuse de croire en un simple changement des camps du colonel Jules Mutebutsi. Jusqu’à preuve du contraire, bien que suspendu, ce colonel récalcitrant restait sous la disposition de l’hiérarchie militaire congolaise. L’acte qu’il a posé ne présageait pas la paix au Kivu. C’est un chef rebelle, mieux un chef à la tête d’une énième rébellion-agression qui vient de se dévoiler. Sa connexion avec les autres dissidents ainsi qu’avec une armée étrangère fait penser à une nouvelle agression de la RDC, en gestation au Rwanda.
Subsidiairement à cette situation :
- Le colonel Jules Mutebutsi et tous ses complices, doivent être jugés conformément à la loi de notre pays, après qu’ils aient répondu de leurs actes ;
- Tous les éléments qui se sont adonné aux scènes de pillage doivent être identifiés et punis conformément à la loi ;
- Le gouvernement congolais ainsi que les autres institutions de la transition doivent considérer que ce cas est une haute trahison et que les mesures coercitives ad hoc doivent être prises à l’endroit des coupables;
- Le gouvernement doit cesser de maintenir le peuple dans le flou quant aux situations macabres qui le secouent car, un peuple sous-informé ou mal informé reste un danger public;
- Au moment de la réunification de l’armée et de la police nationales, nous recommandons que tous les éléments des anciens groupes armés soient éparpillés à travers le pays, sans tenir compte des anciennes unités militaires.
- La MONUC devrait muer effectivement de l’observation à l’imposition de la paix. Pour être efficace, ses éléments devraient être déployés tout au long de la frontière entre la RDC et les trois pays : le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ;
- Comme elle avait occasionné l’entrée des Rwandais (Interahamwe et FAR) en RDC en juillet 1994, l’ONU doit s’investir dans leur retour au Rwanda pour que prenne fin le prétexte dont se sert Kigali pour parler de sa sécurité « continuellement menacée à partir de la RDC. »
Samedi 29 mai 2004.
La Bor.
